Y a de la magie dans l’air ! J’ai l’impression d’être un moldu dans un monde féerique où l’on découvre les pouvoirs de nos énergies cachées que nous devons harmoniser, des cristaux qui ré-alignent nos points de connexions avec Gaïa, nos facultés prémonitoires et de guérison, les bienfaits des fleurs et des cailloux, les facultés des sons accordés aux planètes, et surtout, on réalise enfin que chaque individu est porteur, sans le savoir, d’une puissance surnaturelle qui, si elle est réveillée, l’épanouira telle une violette poussant sur un sol asséché mais sacré (et tibétain bien sûr).

Depuis les confinements liés à la pandémie et les introspections personnelles qu’ils ont entraînées, chacun se cherche, imagine qu’il peut effectuer un virage à 180 degrés dans sa vie morne et dévolue au système capitaliste, et cela peut créer des vocations particulières. Passer d’un sentiment d’inutilité à une conscientisation de son alter magicien, ça a de quoi allécher. Réaliser que nous ne sommes pas les rouages d’une machine mortifère mais plutôt les atomes d’une chaîne ésotérique, d’une émanation brute de la vie, que nous sommes connectés au cosmos et que nous avons en nous une puissance inespérée et insoupçonnée, ça donne envie d’exploiter nos possibilités d’action et de guérison. Que ce soit par des soins énergétiques liés au karma ou l’ardeur mystique d’une sonorité qui réorchestre notre être en profondeur, en « recodant notre ADN » par exemple (facile !), c’est l’heure de la cohésion et du couplage universel qui sauvera nos âmes en nettoyant nos vies antérieures.

Nouveau New Age, cinquante ans après celui des années 70, l’incursion du fantastique (et fantasque) dans la vie de certains naturophiles (qui s’imaginent proche de la nature, écolos mystiques et crédulotantriques) n’étonne pas vraiment. Quand on ne sait pas faire grand chose de ses dix doigts mais qu’il paraît important de quitter le modèle libéral, on peut avoir tendance à chercher une nouvelle explication à sa vie dans des aspirations extraordinaires, féeriques et merveilleuses, à la limite de la sorcellerie et du miraculeux, en s’adonnant par exemple à la parapsychologie et en se vautrant dans l’immatériel étoilé.

Ce que l’on nomme couramment les pseudo-sciences

Après tout, qui aurait pu prévoir l’existence des micro-ondes ou des ultraviolets ? Des ondes électromagnétiques ou l’infrarouge que l’on peut aujourd’hui observer et utiliser ? Hé ben là c’est pareil. On sait que nous sommes connectés aux étoiles par des processus électro-chimico-quantico-sensoriels, que l’on peut voir dans l’avenir, soigner par apposition des mains ou grâce au son d’un bol tibétain, que les cristaux ont des vertus fabuleuses et que l’on peut nettoyer ses âmes antérieures, mais on ne peut simplement pas le prouver. Pour l’instant…

C’est sur ce registre que surfent les adeptes, progressivement plus nombreux, des énergies universelles, des chakras à aligner et autres maîtrises en divination neuro-électriques. On appelle tout cela les pseudosciences (ou altersciences), et leur visibilité ne cesse de croître dans ce monde connecté en perdition. Dans les salons bios et écolos (genre Naturabio), dans les festivals écoresponsables, sur les réseaux sociaux, parmi nos proches, nombreux sont ceux qui se laissent séduire par ces promesses fantasmagoriques empruntant aux religions, superstitions et croyances diverses (si elles sont chamaniques ou ancestrales asiatiques, c’est mieux, et c’est la grande classe si elles sont issues de livres anciens jamais retrouvés).

Comment « contacter son ange-gardien » ? Se « libérer émotionnellement » ? Peut-être grâce à « l’hypnose spirituelle de régression », au « Reiki arcturien », à une « lecture d’âme salvatrice », au « magnétisme de soins énergétiques par des chants du cœur », à la « kinésiologie », aux « fréquences sonores curatives », à la « lithothérapie et pierres naturelles », à « l’harmonisation astrale », la « connexion lémurienne cosmologique », le « recodage ADN par fréquences », la « géométrie sacrée », « l’oracle chamanique des runes », le « chamanisme éveillé », les « neurosciences bouddhistes », ou avec des « danses elliptiques embaumantes »… Il est impossible d’être exhaustif puisque chacun peut créer sa propre pratique et inventer un langage spécifique aux consonances scientifiques.

Tiens, par exemple. Je pourrais vous expliquer que ma discipline consiste à tapoter le crâne avec mes majeurs, doigts les plus longs, parce qu’il s’agit de l’extrémité ultime de mon corps et que c’est là que se concentrent mes énergies intrinsèques. J’appelle ça la « magnusthérapie » ou « soin major ». Par ce procédé, je vous transfère une part de ma puissance, comme une prise électrique qui rechargerait un appareil. En plus, comme j’ai découvert que mon âme est bien plus ancienne que je ne le pensais, j’ai cumulé une énergie colossale sur plusieurs vies, c’est ce trop plein qui me connecte à l’essence de l’univers, et comme je suis altruiste, je me dois de partager mon intensité cosmique avec vous. La première demi-heure de formation est gratuite. Voulez-vous acheter mes rognures d’ongles célestes sidéralement jumelées ?

Les arnaqueurs en série

Les « centres de formation » fleurissent sur la toile, les « professeurs » et autres « maîtres » proposent des diplômes et certificats en aptitudes surnaturelles diverses, souvent pour plusieurs centaines d’euros. À l’issue de votre éducation spirituelle élévatrice, vous obtiendrez un bout de papier et vous pourrez pratiquer votre art en toute légalité. Enfin, faites plutôt ça au black, sauf si vous désirez expérimenter la décorporation cosmique en prison. Car disons-le tout net, ces activités plurielles sont passibles de 5 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende, pouvant monter à 7 ans de prison et 750 000 € d’amende en cas de circonstances aggravantes.

« L’escroquerie consiste pour l’escroc à obtenir un bien, un service ou de l’argent par une tromperie (…) L’infraction est jugée par le tribunal correctionnel et punie principalement d’une amende et/ou d’une peine d’emprisonnement inférieure à 10 ans s’il est démontré que l’auteur des faits a eu l’intention de tromper sa victime » (service-public.fr). L’escroquerie est différente de l’abus de confiance et de la filouterie, le droit français le sépare également du canular.

En clair, si une personne vous propose ses talents de radiesthésiste sonore aligné planétairement et que vous acceptez sans rien lui donner en retour, hé ben il n’y a aucun problème, amusez-vous dans vos jeux de rôles et tout le monde sera content, prenez-vous pour des sorciers, des fées, des farfadets ou des gnomes, au pire cela fera sourire. Par contre, si cette personne astrale vous demande une rémunération, l’escroquerie est avérée aux yeux de la loi. De même, si vous vous formez aux ondes spectrales qui soignent grâce aux cristaux et à la gravité tellurique quantique, vous repartirez chez vous tout sautillant avec un « certificat » qui prouve que l’entreprise ou la personne vous a bien accueilli durant une semaine d’éveil sensoriel. Par contre, si l’organisme vous délivre un « diplôme », il tombe aussi sous le coup de la loi puisque seul l’état peut délivrer un diplôme reconnu.

Que des crédules (volontaires ou abusés) s’adonnent à ces expériences métaphysiques, personne n’y voit rien à redire (sauf si l’on vous conseille d’oublier votre traitement médical au profit de soins énergétiques), il s’agit de hobbies, de passions, de découvertes, d’amusement, chacun est libre d’utiliser son temps libre à croire aux « pouvoirs exaltants et réordonnateurs des senteurs florales » ou à « l’énergie du cœur se déployant en arc corporel moléculaire » (oui c’est cool d’ajouter neuro, molécule, quantique et n’importe quel autre terme scientifique qui vous vient à l’esprit) ; mais que des apprentis charlatans vendent leurs chimères en leurrant leurs clients, les dupant avec leurs imageries verbeuses et pseudo-poético-écologico-scientifique, promettant aux plus fragiles (victimes potentielles habituelles) de les aider, les soulager, les guérir, les former et épanouir leur conscience, cela devrait éveiller tous nos sens et nous enjoindre à tenter de protéger nos concitoyens des arnaques et tromperies soi-disant raccordées à l’infini.

Ne devrions-nous pas exiger que soient bannis de nos festivals, salons, rencontres et congrès ces tripoteurs malhonnêtes, ces fripons truands de la magie, et que cesse l’exploitation de la naïveté ? Car les clients abusés sont pour la plupart de gentils candides avalant de bonne foi les élucubrations malveillantes de ces magiciens de bazar. Ou bien, attendons simplement qu’ils aient vidé leur compte en banque aux profit de roches gardiennes et massages synergiques et géosynthétiques neuronalement imprégnés de photons issus des tantra cosmologiques, en observant avec accablement une contagion sociétale qui n’est pas sans inquiéter ? La pseudo-science n’est pas la science, aucune de ces nombreuses pratiques n’a démontré formellement son efficacité (autre que placebo), toutes sont des élucubrations plus ou moins malveillantes. Alors gardons l’œil ouvert (pas celui du front hein) et n’hésitons pas à aller discuter avec ces extravagants énergétiseurs pour déconstruire patiemment leurs divagations devant leurs futurs clients, dénonçons leurs pratiques ; avec un peu de chance ils se mettront au tricot ou à élevage de gastéropodes, et redescendrons brutalement sur notre bonne vieille planète tellurique.

Par Bob