2018 : grâce aux combats juridique de Cédric Herrou et ses proches, le Conseil constitutionnel érige la fraternité en principe à valeur constitutionnelle, abrogeant le « délit de fraternité ». 2024 : Cédric et les bénévoles et compagnons Emmaüs-Roya sont arrêtés et placés en détention, sans motif autre que ce « délit de solidarité » abrogé. Retour sur cette inquiétante régression répressive.
Mercredi 20 mars 2024 vers 14h00, une équipe Emmaüs Roya se rend sur les terrains agricoles de l’Association comme c’est notre quotidien depuis près de 5 ans. Dans le véhicule de l’association se trouvent nos salariés Cédric Herrou et Marion Gachet-Dieuzeide, deux bénévoles et leur chien ainsi que quatre compagnons, dont trois d’origine africaine. A peine sorti du village, l’équipage est pris en chasse par une voiture de gendarmerie mobile qui patrouille jour et nuit avec mission d’interpeller les personnes susceptibles d’être en migration. Les gendarmes suivent le véhicule sur un petit chemin en zone agricole où une salariée et un compagnon sont déposés sur un premier terrain avant de faire demi-tour pour en rejoindre un deuxième. La voiture des forces de l’ordre est toujours derrière nous. C’est quelques minutes après cette bifurcation que les gendarmes décident de faire arrêter notre véhicule.
Ici, les équipes de gendarmes mobiles tournent toutes les 3 semaines, ne laissant pas le temps aux fonctionnaires de comprendre le contexte de terrain et les aspects (il)légaux de leur mission. Ils demandent alors aux occupants du véhicule de présenter leurs documents administratifs. Contrairement à ce qu’explique publiquement la Préfecture, il ne s’agit pas d’un contrôle routier et les procès-verbaux le prouvent, il s’agit d’immigration. Il nous semblait que pour un morceau de plastique protégeant les ampoules des feux de signalisation, on ne prenait pas en chasse un véhicule et on ne contrôlait pas les documents d’identité de tous les passagers. Cette version vient maquiller un contrôle au faciès opéré sans fondement puisqu’il est engagé hors PPA, lieux matérialisant la frontière dans notre belle région.
Ce manque d’honnêteté de la Préfecture a pu nourrir tous les fantasmes et surtout, servir l’extrême droite raciste, notamment par le biais d’une ‘’députée’’ RN locale qui proclame que Cédric Herrou passe son temps à faire passer des migrants entre l’Italie et la France, ce qui est faux. Elle mériterait simplement une condamnation pour diffamation et cela devrait inquiéter tous les citoyens qu’une élue de la République puisse diffamer un des leurs sans aucune preuve ni fondement. Ses délires nocturnes répandus sur une chaîne d’information ont été relayés par d’autres médias sans vérification aucune ou droit de réponse proposé. Néanmoins, nous avons bien d’autres choses à faire et bien plus importantes que de perdre notre précieux temps de paysans solidaires. Elle ne mérite pas que nous portions plus d’attention à son cas.
Mais revenons à notre affaire. 14h30 environ, le contrôle se passe bien. Les gendarmes mobiles sont courtois et compréhensifs lorsque Cédric Herrou leur explique que notre situation est particulière et qu’il faut contacter la gendarmerie locale pour mieux le comprendre. En effet, par le biais du statut OACAS relevant du Code de l’Action Sociale et des Familles, les personnes accueillies au sein des communautés Emmaüs en France ont un statut particulier de travailleuses solidaires et ce, quelle que soit leur situation administrative.
La gendarmerie locale, qui a l’habitude d’intervenir pour ce genre de situation est ce jour difficile à joindre. Au bout d’une quinzaine de minutes, une deuxième voiture de gendarmes mobiles rejoint la scène. Cet équipage se montre moins compréhensif et patient et monte en agressivité. Ne supportant pas que le contrôle s’éternise, un gendarme attrape Cédric Herrou et toutes les personnes présentes sont menottées.
Alertés, la responsable de communauté Marion Gachet-Dieuzeide et le président de l’association Loïc Le Dall se rendent sur place. Quatre véhicules des forces de l’ordre sont alors présents et toutes les personnes menottées ainsi que le chien sont déjà embarqués. Les gendarmes sont extrêmement nerveux et aucun dialogue n’est possible. Entre-temps, le directeur de cabinet du préfet, joint par téléphone, nous explique que c’est un contrôle et que les personnes en situation régulière seront traitées comme telles et les personnes en situation irrégulière le seront comme telles. Il ajoute qu’il sait qu’il est enregistré et la conversation coupe. Ce discours froid vient contrecarrer plus d’un an de dialogue en bon intelligence avec l’ancien préfet, Bernard Gonzalez. Celui-ci avait pris pour consigne de laisser vivre en paix les personnes habitant dans la vallée de la Roya, puisque les contrôles sont censés concerner uniquement l’entrée sur le territoire et que les compagnes et compagnons Emmaüs sont dans un processus d’intégration reconnu. Ces personnes pratiquent l’agriculture, participent à la vie citoyenne et économique de la vallée, ont des enfants scolarisés dans les différents établissements du village et surtout, sont déclarées en Préfecture en qualité de travailleuses solidaires de la communauté.
Depuis l’arrivée de M. Moutouh en octobre 2023, les services de la Préfecture ont coupé tout dialogue avec notre association malgré de nombreuses relances de notre part. Le Préfet, via ses réseaux sociaux très actifs, a taxé Cédric Herrou “d’organisateur de la désinformation” (la fameuse bande organisée) quand celui-ci alertait sur les contrôles illégaux opérés par les forces sentinelles. Pour finir, La préfecture a laissé déraper une situation inédite depuis la création de la communauté alors que chaque semaine, les compagnes et compagnons se font contrôler dans leur village sans que cela n’ait de graves conséquences.
L’équipage de salarié, bénévoles, compagnons et le chien sont ensuite amenés au commissariat de police nationale de Nice. Le compagnon français a été entendu. Il en est de même pour les deux bénévoles, qui ont pu promener leur chien sous escorte policière afin qu’il fasse ses besoins. Parmi les questions posées : « avez-vous vu Cédric Herrou recevoir de l’argent en échange d’un passage de frontière? » – Ce qui a tout à voir avec un contrôle routier déclenché à cause d’un cache en plastique amoché. Ces trois personnes et le chien sont libérés vers 21h00, sans poursuite. Quant aux deux compagnons, ils ont été emmenés en LRA (local de rétention administrative) de l’aéroport de Nice. Un des compagnons a pu joindre sa femme et lui apprendre que demain, il sera expulsé vers la Mauritanie. C’est ce qu’un policier s’est amusé à lui expliquer sur le chemin. Terreur durant 24 heures pour sa femme et leurs 4 enfants de 5, 8, 9 et 11 ans, restés à la Communauté. Nous avons fini par apprendre tardivement par le biais des avocats que les deux n’étaient pas en rétention mais toujours en retenue administrative pour des vérifications.
Pour Cédric Herrou, la situation fût ubuesque. Les policiers ont informé les avocats qu’il était placé en garde à vue pour aide à la circulation de personnes en situation irrégulière sur le territoire. Délit qui a été définitivement abrogé par l’inscription dans la Constitution du principe de Fraternité en 2018 grâce au dossier…. Cédric Herrou. Puis finalement, le motif aurait été une infraction routière, ou bien un refus de contrôle d’identité ou qu’il avait 8 doigts à la main gauche, peu importe finalement. L’objectif était de trouver un motif, bien qu’aucun de ceux cités ne puisse légalement mener à la garde à vue. Les policiers se trouvaient bien embêtés devant l’avocate de Cédric, avouant aisément que cette garde à vue n’avait pas de fondement juridique et que l’affaire était, de leur avis comme du nôtre, politique et médiatique.
Une semaine avant cela, Cédric et Marion avaient posté sur les réseaux sociaux des vidéos d’une interpellation violente par des forces sentinelles qui voulaient vérifier si “ces personnes avaient des papiers’’. À comprendre celles de phénotype africain. La vidéo a fait grand bruit et l’association Emmaüs Roya s’apprêtait ce mercredi 20 mars 2024 à déposer un référé suspension pour que les contrôles d’identité militaires et illégaux cessent dans la vallée.
Revenons au présent. Jeudi 21 mars, nos trois enfermés sont libérés vers 11h30, sans poursuite. Quasiment 22h00 de privation de liberté qui restent difficiles à justifier de la part des autorités. Est-ce là, la réponse du représentant de l’Etat à notre demande de dialogue ? Ce qui est certain c’est que la couverture médiatique, la solidarité nationale, les interventions des instances d’Emmaüs France et de tous les acteurs du mouvement ainsi que des associations de défense des droits des personnes – sans compter le travail acharné des avocats et des membres d’Emmaüs Roya – ont aidé au dénouement d’une situation abjecte ayant traumatisé tous les membres d’une communauté, en ce compris les 5 enfants qui pensaient y vivre heureux. Nous ne pouvons pas tolérer que cela se reproduise, ni accepter silencieusement que l’Etat français continue à se couvrir d’ignominie.
Nous espérons en conséquence que les autorités sauront rebondir de manière intelligente et efficace à cet épisode et que nous pourrons renouer un dialogue afin que les membres de la communauté Emmaüs Roya puissent vivre en paix dans notre si belle vallée. Nous refusons qu’ils puissent servir de moyen de pression pour empêcher l’association d’assumer sa deuxième mission : fidèles aux valeurs de l’Abbé Pierre, fondateur du Mouvement Emmaüs, notre rôle est aussi de “porter la voix des sans-voix”. Pour ce faire, nous n’aurons de cesse entre autres, d’alerter et de dénoncer les pratiques illégales opérées à la frontière depuis 2015 qui mettent en danger des personnes vulnérabilisées, trouvant pour certaines la mort lors de chasse à l’humain dans les montagnes françaises. Une démocratie en bonne santé a besoin de contre-pouvoir et d’un débat politique nourri par les idées de tout bord. Surtout, les dérives d’un État doivent pouvoir être dénoncés par la société civile sans avoir peur des représailles. Organisons-nous pour garantir l’accueil digne et inconditionnel et notre lutte militante.
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Dans la Roya – Quiéry à venir
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