Des travaux parlementaires récents initiés par plusieurs député·es avaient pour objectif l’inclusion de la notion de consentement dans la loi sur le viol. A priori, une évidence, mais quand on creuse un peu : une fausse bonne idée. Éclaircissements.
Par Tia Pantaï
Le viol figure dans le Code Pénal français depuis 1791 (article 222-223). En 1980, la loi est révisée pour en faire un crime puni de 15 ans de réclusion criminelle, élargissant la définition du viol à tout acte de pénétration. En 1992, la réforme du Code Pénal permet de clarifier davantage cette définition, y ajoutant la notion de menace. L’article 11 de la loi du 4 avril 2006 introduit l’alinéa 2 de l’article 222-22 du Code pénal : « Le viol et les autres agressions sexuelles sont constitués lorsqu’ils ont été imposés à la victime dans les circonstances prévues par la présente section, quelle que soit la nature des relations existant entre l’agresseur et sa victime, y compris s’ils sont unis par les liens du mariage. Dans ce cas, la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel ne vaut que jusqu’à preuve du contraire. » Le viol conjugal est reconnu par la loi, avec des circonstances aggravantes.
La loi actuelle définit le viol ainsi : tout acte de pénétration sexuelle commis avec « violence, contrainte, menace ou surprise ». Ajouter ici la notion de consentement ne semble pas apporter grand-chose à cette définition. Et en réalité, elle marque un recul de la considération de la parole des victimes. En effet, inclure cette notion revient à nier tout ce que nous savons: céder n’est pas consentir, et une femme peut donner une apparence de consentement par sidération, par peur. Le consentement doit être éclairé, or peut-il réellement l’être dans une société historiquement patriarcale ? Il faut d’abord imaginer que la femme soit en pleine possession de ses moyens au moment de « consentir », qu’elle soit correctement informée de la situation en cours. Il s’agit d’une défense bien connue des agresseurs : « mais elle avait l’air consentante ! » et, avec l’inscription du consentement dans la loi, qui donc devra se justifier de son viol en justifiant de son (non-)consentement ? Encore et toujours, les femmes.
Une société patriarcale
Dans un monde où les hommes, dès petits garçons, prennent ce qu’ils veulent car éduqués ainsi, et où les femmes, dès petites filles, ne connaissent pas leur propre corps, leurs propres besoins, parce qu’on ne leur apprend pas, comment peut-on parler d’égalité ? Qui peut affirmer aujourd’hui que les hommes et les femmes sont égaux dans notre société empreinte de culture du viol ? Il faudrait être aveugle et sourd à tous les chiffres, tous les récits d’expériences, toutes les études sociales et psychologiques. Il faudrait l’affirmer non pas naïvement, mais avec conviction du contraire, par intérêt, pour asseoir une position dominante, par exemple, pour ne pas perdre ses privilèges, pour ne pas que le monde change à son propre détriment (du moins le croit-on).
En parlant de conditionnement social… avez-vous entendu parler du « test du yaourt salé » ? Vous proposez un yaourt salé à des enfants de 6 à 8 ans environ, par groupes de filles et de garçons. Immanquablement, les garçons le recrachent à grands renforts de « beurk c’est dégoûtant ». Les filles, en revanche, se forcent à le manger malgré leurs grimaces. Parce que les femmes sont élevées à être sages, polies, et surtout à plaire. Quel qu’en soit le prix, ne pas être rejetée. Ce qui est vrai dans la société est vrai aussi dans la sexualité ; le privé est politique. Du pain béni pour des violeurs en puissance qui ne pensent qu’à ce qu’ils veulent, eux.
Les femmes pâtissent, encore aujourd’hui malgré la vague #metoo, d’une sempiternelle présomption de consentement. Parce qu’elle est habillée comme ça, qu’elle a mis du parfum, qu’elle a dit ceci ou cela, qu’elle a bu du vin, qu’elle se touche les cheveux, parce qu’elle est là, tout simplement. Et le fameux « quand elle dit non elle veut dire oui», appuyé par toute une culture populaire (la fameuse scène de Leia et Han Solo dans Star Wars), et de toute façon, « qui ne dit mot consent », si elle ne se débat pas c’est qu’elle aime ça. De quoi faire les choux gras du patriarcat.
Quel consentement ?
Le consentement (mot auquel je préfère personnellement celui de « désir », plus clair) dépend du contexte, des enjeux éventuels (de pouvoir, d’argent, de domination). De plus, sachant que 1 % des plaintes pour viol seulement ne sont pas classées sans suite, et connaissant le parcours de la combattante pour porter plainte, beaucoup de femmes ne feront jamais ce pas, encore moins si elles doivent justifier de leur non-consentement. Rappelons que le maire de Mazan, durant le procès récents des 51 violeurs, a commenté : « il n’y a pas mort d’homme ». Sans commentaire… Mais comment se fait-il que lorsque l’on juge un meurtre, on ne se pose jamais la question du consentement, alors qu’il s’agit d’un crime tout comme le viol ?
Inscrire le consentement dans la loi, c’est mettre le focus sur la victime, comme on l’a toujours fait, laissant de côté le salopard qui est l’auteur du crime. Combien de temps les féministes devront-elles répéter que le viol n’est pas un acte sexuel mais un acte de torture, de domination, de destruction ? « Si le viol c’est du sexe, un coup de pelle c’est du jardinage ? », peint-on sur nos affiches. Et on doit encore le rabâcher.
Devoir expliquer que l’on n’était pas consentante, c’est un énième rappel que le corps des femmes ne leur appartient pas. Lors, toujours, du procès des violeurs de Mazan, l’un d’entre eux (voire plusieurs) s’est justifié en arguant que « le mari était d’accord ». Il ne s’agit pas d’un « monstre », mais simplement d’un homme élevé dans une société de domination masculine où le pouvoir des hommes se nourrit de la soumission des femmes.

L’enfer est pavé de bonnes intentions
Une grande partie des féministes s’inquiète beaucoup de cet éventuel changement de loi, et constate un manque de sursauts dans sa communauté. Le 19 novembre, la France Insoumise a présenté une proposition de loi initiée par la députée Sarah Legrain, visant à introduire la notion de consentement. La proposition a été rejetée en commission des lois. Mais nous savons qu’elle rassemble beaucoup d’adeptes, y compris parmi les féministes, et contre cela une seule action possible : expliquer, débattre.
La loi finalement importe peu, selon des juristes : c’est son interprétation par les juges qui compte. Et dans une société de domination masculine où la plupart des juges sont des hommes élevés dans une culture du viol et sans formation sur celle-ci…
La définition du viol telle qu’elle est actuellement dans les textes suffit à blâmer l’agresseur. Ce que veulent les féministes, ce sont des moyens, pas un changement de loi qui, lui, ne coûte rien. Sachant que seulement 1 % des viols se soldent par un procès, 50 % de ces derniers aux assises portent sur des viols. Le manque de moyens est flagrant : pas assez de salles d’audiences, de policier.es, de juges d’instruction, de personnel formé… Mais quand donc les gouvernements successifs se réveilleront-ils ?