Le jeudi 28 novembre, Bernard Arnault s’est pointé au tribunal de Paris, porte de Clichy pour s’expliquer dans l’affaire d’espionnage de la rédaction de Fakir… Tristan, directeur du journal amiénois et ami de Mouais, nous livre son récit. «Bernard Arnault, c’est pas grand-chose je me dis. Rien qu’un homme minable, misérable, comme tout le monde».

– Monsieur l’huissier, allez chercher le témoin.

L’huissier se lève. Un murmure parcourt la salle. Les têtes se tournent vers la porte qu’il vient de franchir. Quelques secondes s’égrainent. J’ai toujours du mal à croire qu’il est venu. C’est la voix d’Élise Lucet, hurlant ses questions dans le couloir, qui me fait réaliser qu’il est bien là. Puis, il entre. L’homme que l’on dit plus puissants que les chefs d’État. Ce qu’on découvre est pourtant d’une plate banalité. Un vieux monsieur tiré à quatre épingles dans un costume moche et hors de prix. Son visage n’est pas celui de la vieillesse habituelle. Non, lui sa gueule est ravagée. Mal rafistolée par des années de maquillage, peut être de chirurgie, difficile à dire. Le visage d’un homme qui fuit la mort en la portant sur lui.

Quand il prend place à la barre, c’est pas d’une voix d’empereur qu’il s’exprime, on entend que dalle. Des – Plus fort ! sont criés par des journalistes. C’est mal, mais c’est un peu jouissif de le voir se faire engueuler pour qu’il hausse le ton.

Bernard Arnault, c’est pas grand-chose je me dis. Rien qu’un homme minable, misérable, comme tout le monde.

Pour rappel, entre 2013 et 2016, LVMH a fait surveiller la rédaction de Fakir, Ruffin en tête, parce qu’on s’intéressait un peu trop à son empire à son goût. Dans notre numéro 53 de décembre 2012, on révélait comment ce fils à papa avait construit sa fortune sur le mensonge. En 1984, il avait racheté le groupe Boussac Saint-Frères, en empruntant 40 millions de Francs à son paternel et… 1 milliard à l’État français. En contrepartie il promettait de sauver tous les emplois dans le nord de la France. À peine deux ans plus tard, tout le monde était à la porte. Il n’avait gardé que Dior, et bazardé le reste. Alors non seulement ça lui a pas plu qu’un petit canard picard en parle, mais comble du blasphème, ce même petit journal préparait un documentaire (Merci patron !) consacré au sujet. S’en était trop, il fallait agir, et c’est à Bernard Squarcini, ancien numéro un de la DCRI qu’a été confié la mission. Vous trouverez tous les détails de cette affaire sordide dans notre numéro 115 actuellement en kiosque (évitez les Relay, Bolloré aussi est fâché…).

Aujourd’hui, à la barre il est là pour témoigner. C’est la moindre des choses quand on sait qu’il n’est même pas sur le bancs des accusés. On l’a quand même cité à comparaître comme témoin histoire qu’il s’explique. En réalité, on y croyait pas vraiment qu’il allait se pointer, mais Benjamin Blanchet, le président du tribunal avait déjà Sarko à son tableau de chasse. Il avait eu recours à la force publique pour le forcer à venir témoigner lors du procès des sondages de l’Élysée. Sarko escorté par des flics pour l’obligé à aller au tribunal, ça fait toujours un peu plaisir. Sûrement que Bernard a du se dire qu’il valait mieux éviter que ça lui arrive.

Pendant près de trois heures il a répondu aux questions du tribunal. Il est lisse, bien préparé. Il n’est au courant de rien. Tout est la faute à Pierre Godet, son BFF, le numéro deux de toujours de LVMH décédé en 2018, c’est pratique. Pourtant, quand c’est au tour de nos avocats de le questionner, le vernis craque. Il s’énerve, refuse de répondre à ces élucubrations débiles.

En le voyant là, à la barre, perdre son sang froid face à nos avocats, je ne peux pas m’empêcher de penser à un truc. Ce gars est un fantôme. Tout glisse sur lui, de la moral à la justice. Il maîtrise chacune de ses apparitions. Ce que l’on voit, ce sont les merdes qu’il nous vend. Ses sacs, ses robes, ses parfums, toutes ces conneries brillent pour lui, pendant qu’il reste dans l’ombre. Alors là, être assis sur les bancs du tribunal à le regarder s’énerver en publique, c’est un moment bien particulier, et ça m’a étrangement ramené sur les bancs de la fac de Nanterre. Grégory Delaplace, c’était un de mes profs quand j’étais en Master d’anthropologie (filière d’excellence de l’islamo-gauchisme comme chacun le sait). Delaplace donc, explore les notions d’invisible et d’apparition pour analyser la manière dont certaines réalités sociales ou personnes agissent. L’invisible ne signifie pas l’absence mais une présence diffuse, qui existe sans être directement perceptible. Ça peut être un pouvoir, une influence ou même une croyance, toujours agissants mais hors du champ visible quotidien. L’apparition, quant à elle, marque un moment où cet invisible se manifeste. Phénomène, souvent bref, qui dévoile une réalité cachée ou un acteur discret, sans pour autant dissiper son mystère ni sa puissance. Ces concepts montrent que l’invisible structure nos sociétés, et lorsqu’il apparaît, il ne disparaît pas, mais se révèle brièvement pour rappeler son influence essentielle.

Et je me dit que Bernard Arnault, avec son empire de luxe, c’est vraiment une allégorie du capitalisme. LVMH incarne la production du désir à travers ses marques de luxe. Cette quête incessante du toujours plus. Tout ça génère une présence invisible. Les campagnes publicitaires, jusqu’aux JO de Paris, et l’image des produits, transforment ce désir en une force agissante, qui structure nos attentes. Il est là le plus grand pouvoir de nuisance de ces gars là. Je sais pas s’il en a conscience. Ce que je sais, c’est que lui aussi s’est perdu dans cette quête du toujours plus. Toujours plus de pouvoir et d’influence. C’est pour ça qu’il était prêt à tout pour choper une place à l’Académie des sciences morales et politiques. Et c’est pour ça qu’il ne peut pas souffrir de critiques, même celles venant d’un petit journal picard.

D’ailleurs, venir au tribunal, ça a du lui faire mal à la gueule à Bernard, lui qui a si longtemps incarné l’invisible: un pouvoir gigantesque, lointain et intangible, se dérobant à toute véritable responsabilité. Son apparition à la barre, diffère de ses apparitions habituellement bien orchestrées, et révèle que l’invisible n’est qu’un masque. Derrière, il y a un humain qui se dérobe dès qu’il est confronté à la vérité. ‘En vos miroirs menteurs, vous faites mentir les miroirs’ chantait Ferré. Son pouvoir repose sur notre acceptation. Regardons-le, interrogeons-le, et faisons en sorte que l’invisible ne soit plus qu’un spectre qui se dissipe à la lumière. Se faisant, il restera encore un invisible à questionner, celui du désir capitaliste, tous ces petits Bernard Arnault qui nous rongent de l’intérieur.

Par Tristan Quemener, directeur de Fakir

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