Ce 24 mai, un sabotage a éteint Cannes lors de la journée de clôture du festival, ainsi que 160.000 foyers. Des anarchistes ont revendiqué l’action. Une élue locale les a qualifiés « d’abrutis décérébrés irresponsables » (sic) tandis que la sous-direction anti-terroriste a été saisie pour coordonner l’enquête. Et nous, nous alertons : attention à ne pas faire un nouveau Tarnac…
Ce Samedi 24 mai donc, un double sabotage a privé de courant la ville de Cannes lors de la journée de clôture du festival, ainsi que 160.000 foyers des Alpes-Maritimes et du Var. « Nous revendiquons la responsabilité de l’attaque contre des installations électriques sur la Côte d’Azur », a-t-il rapidement été exprimé dans un communiqué, relayé par un site d’information nantais, Indymedia, et signé par « deux bandes d’anarchistes » affirmant avoir saboté le « principal poste électrique alimentant l’agglomération de Cannes» et « scié la ligne de 225 kV venant de Nice », et se trouvant à Villeneuve-Loubet.
Dans la nuit de samedi à dimanche, à Nice, un transformateur électrique a ensuite été incendié, perturbant le réseau de tramway et l’aéroport.
« Cette action visait non seulement à perturber le festival, mais aussi à priver de courant tous les établissements industriels », peut-on lire dans ce communiqué titré « Coupez ! » : «Coupez ! Votre spectacle qui sert de vitrine à une République française grandiloquente […] votre cérémonie obscène au bord d’une mer devenue cimetière de réfugié-es […] le courant de vos industries militaires-technologiques » (1).
Dans son ample « Histoire du sabotage » en deux volumes (2), Victor Cachard parcourt « les nombreux mouvements qui s’opposent à toutes les formes d’exploitation et d’oppression. Des attaques contre la fortification, durant le Moyen Âge, aux incendies contre les antennes 5G aujourd’hui, en passant par les traîne-savates dans les usines et le sabotage de la colonisation, ces deux tomes permettent de comprendre ce qu’est le sabotage et pourquoi il est toujours d’actualité », nous indique l’éditeur. C’est donc une tradition de lutte qui remonte à loin -et qui a fait ses preuves. Le premier tome revient sur « les origines anarchistes de la pratique » : « C’est au moment où les militants renoncent à l’assassinat politique que la décision est prise de porter atteinte à la production ». Puis, dans le tome 2, « après les deux grandes guerres mondiales, le sabotage change de visage. Il sort des industries, quitte le monde du travail pour s’attaquer plus largement aux technologies meurtrières » – dont Thales-Alenia Aerospace, donc, « leader du secteur de la défense, [qui] fabrique des systèmes de visée pour canons et de guidage de missiles, et de télécommunications spatiales. C’est de loin le principal fabricant de satellites en Europe, et plus particulièrement de ceux à usage militaire » nous dit le communiqué des saboteurs.
Disons les choses très clairement : à Mouais, journal anarchiste, nous ne faisons pas ça. Propagandistes, nous le sommes par l’écrit, pas par le fait, même si nous soutenons les camarades qui s’y livrent, et qui ne font de mal à personne. Tenant·e·s de l’écologie sociale du regretté Murray Bookchin, nous sommes plutôt adeptes de la plantation de potagers punks urbains et de l’écriture de poèmes.
Et une chose nous inquiète. C’est que cet acte, somme toute relativement inoffensif – le courant est rapidement revenu, et aucune victime n’est à déplorer – n’entraîne à sa suite une répression sans commune mesure avec les faits reprochés, sous la houlette de la Sous-direction anti-terroriste (SDAT) a qui a été confiée l’affaire.
Or, les méthodes anti-terroristes, pour tout ce qui relève de l’anarchisme – enfin, en termes policiers on dit « mouvance anarcho-autonome » -, nous les connaissons. Ce sont notamment celles qui ont été infligées aux neuf personnes arrêtées simultanément et au petit bonheur la chance en Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine, Val-de-Marne et Dordogne le 8 décembre 2020 à six heures du matin, cagoulées, et longuement incarcérées, parfois plus d’un an, comme ce fut le cas pour le surnommé Libre Flot, finalement libéré en avril 2022 suite à 37 jours de grève de la faim, et dont nous avons assisté au procès grotesque (3).
C’est aussi, évidemment, le fiasco de la piteuse « affaire de Tarnac », qui a vu, après l’arrestation en novembre 2008 de dix personnes, désignées par la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie comme appartenant à un groupuscule dit de « l’ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome », le nommé Julien Coupat se retrouvant mis en examen pour « direction d’une structure à vocation terroriste », « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste » et « dégradations en réunion en relation avec une entreprise terroriste ». « L‘antiterrorisme est la forme moderne du procès en sorcellerie », déclarera-t-il par la suite.
Tout le monde sera relaxé. Comme l’a dit un éditorial du Monde :
« De manière logique, la décision de la juge tire le bilan piteux d’une enquête erratique, confuse et lacunaire. Le seul fait concret retenu est la pose d’un crochet sur une caténaire. Mais il n’y a ni flagrant délit, ni preuves, ni aveux que Julien Coupat et sa compagne, directement mis en cause, ont participé à ce sabotage. En outre, les experts admettent que cet acte de malveillance ne menaçait en rien des personnes. Quant à l’enquête, elle a mis au jour bien des irrégularités et des incohérences, opportunément couvertes par le secret défense, au point de jeter le doute, voire le discrédit, sur les méthodes de la DCRI » (4).
Ainsi, nous prévenons ceux qui seraient tentés par un coup de filet chez tous les anarchistes innocents de la Côte d’Azur (déjà pas très nombreux, pauvres de nous) : prenez garde à ne pas refaire des « procès en sorcellerie » ineptes.
La rédac’
(1) https://nantes.indymedia.org/posts/146409/communique-du-sabotage-contre-des-installations-electriques-sur-la-cote-dazur/
(2) https://www.editionslibre.org/produit/histoire-du-sabotage-tome-1-2/
(3) https://blogs.mediapart.fr/macko-dragan/blog/201023/la-justice-n-vraiment-que-ca-foutre
(4) https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_de_Tarnac