Il n’y a pas que les retraites qui mobilisent une partie de la France actuellement. Les étudiant.e.s en art ont également lancé un mouvement national d’occupation de leurs écoles, pour contrer la précarisation de leur conditions d’enseignement, les inégalités territoriales entre écoles, et les problèmes locaux de budget, où plus particulièrement à la Villa Arson de fermeture prochaine de l’internat.

Par Edwin Malboeuf

Mercredi 15 mars, après la manif. Le cortège contre la réforme des retraites, moins fourni ce jour-ci, s’arrête à la sortie de la voie Mathis. Le blocage semble avoir été annoncée, les camions de CRS étant déjà positionnés à notre arrivée quelques dizaines de mètres avant la fin la voie rapide. Le bloc d’étudiant.e.s s’assoit sur le bitume, boit, mange et chante. « Pends, pends, pends ton Macron, t’auras ta retraite ! Pends, pends, pends ton Macron, t’auras ta pension ! ». Sur ce doux air, alors que nous quittons les lieux, nous apprenons dans la foulée qu’une occupation vient d’être votée à la Villa Arson, école des Beaux-Arts niçoise, située au nord de la ville.

A notre arrivée, une trentaine d’étudiants et étudiantes (dont aucun ne sera nommé pour préserver leur anonymat) sillonnent les couloirs, discutent, jouent aux échecs sur la face du bâtiment côté sud. On s’assoit avec quelques uns et unes d’entre elleux derrière, qui nous explique leur action. Bien que soutien du mouvement social actuel contre les retraites, il s’agit d’une occupation propre à leur condition d’étudiant.e.s en école d’art, qui s’organise nationalement. Comme dans de nombreux domaines régis par les deniers publics, baisse et restrictions sont de mises, remettant en cause « achat de matériel, postes, « workshops » [ateliers collaboratifs avec un.e invité.e extérieur.e] ». « Il y a des écoles nationales et territoriales. Les écoles nationales reçoivent leur budget uniquement du ministère de la Culture, et les écoles territoriales des villes, départements, régions ou DRAC [Direction départementale des affaires culturelles] et du ministère de la Culture », explique l’un des étudiants. Certaines écoles comme Avignon, Poitiers ou Valenciennes sont au bord du gouffre. Cette dernière est d’ailleurs également occupée depuis mardi. Ces inégalités territoriales entraînent une valorisation différenciée des diplômes obtenus, puisque pour certaines écoles il est de plus en plus difficile d’inviter des jurys avec une expérience reconnue, parfois internationale.

Le portail d’entrée de la Villa, décoré par des pancartes revendicatives : « On ne veut plus de cette villa ».

Fin de l’internat à la Villa

Concernant la Villa, les problèmes sont également nombreux bien que celle-ci soit financée directement par le ministère de la Culture. Précarisation de l’enseignement, « le ministère veut imposer un prix dissuasif pour les logements de nos enseignant.es. Avant ils pouvaient venir loger gracieusement le temps où ils donnaient leurs cours ». Néanmoins, un début de solution a semble-t-il était trouvé selon les occupants : « On a demandé qu’ils soient relogés, ensemble, dans un Crous proche (comme la plupart des logements CROUS) et qu’une convention ainsi qu’une vraie garantie de la persistance et pérennisation de cette convention (au minimum) soit prévue ». Côté logement étudiant, la fermeture annoncée de l’internat, composé de 20 logements, destinés prioritairement aux personnes boursières et/ou étrangères, fait également partie des revendications principales à la Villa. « Le ministère a proposé la fermeture de l’internat et le directeur a obtempéré. Pour des logements de longue durée, il a été préconisé par le ministère de fermer pour prévenir des risques de santé mentale, ou de proximité entre enseignant.e.s et étudiant.e.s. Ça n’a aucun sens. Dans l’idée ils veulent continuer uniquement pour les Erasmus, le dépannage, ou les étudiant.e.s en résidence. […] On a demandé à signer une convention avec le Crous, pour anticiper l’expulsion d’étudiant.e.s de l’internat. Bizarrement, deux jours après, il y a eu une entrevue avec les représentant.e.s de la CRPVE et les membres de l’internat, organisée par le directeur. Mais sur le secteur Nice-Toulon du Crous, 55% des étudiant.e.s boursièr.e.s n’arrivent pas à se loger. Et on retire encore 20 logements », raconte l’une des étudiantes, membre de la CRPVE. Quelques profs suivent et soutiennent le mouvement, ainsi qu’une partie de l’administration, usée par le travail, où « 20% sont médicamentés », nous dit-on, à cause de conditions de travail de plus en plus rudes.

Parmi les revendications, le départ du directeur

Les jeunes artistes dénoncent également la centralisation de l’art à Paris, mais aussi à l’intérieur de l’école. Depuis quelques années, les différents pôles qui constituaient l’institution Villa Arson (centre d’art, médiathèque, résidence et direction de l’école) sont désormais concentrés dans les mains du directeur. Depuis 2019, il s’agit de Sylvain Lizon. Les diverses pancartes que l’on croise affichées sur les murs de l’école ou sur le portail d’entrée sont claires : on demande son départ. En cause, sa gestion verticale et sans consultation concernant les décisions importantes de l’école. « On veut toucher la corde sensible, notamment sur l’image qu’il aime renvoyer de lui à l’extérieur ». Le but étant d’enclencher un rapport de force avec le ministère de la Culture, véritable pilote à distance de la Villa, le directeur étant nommé par la rue de Valois. Enfin, ils demandent également un accroissement du rôle décisionnel de la Commission de la recherche, de la pédagogie et de la vie étudiante (CRPVE), propre aux écoles d’art, où siègent les étudiant.e.s, mais dont l’avis est uniquement consultatif.

Pancartes à l’entrée : « Flash info, Lizon, t’es un mytho », en référence au directeur de l’école, Sylvain Lizon.

 

Ce samedi matin, l’occupation se poursuivait au moins jusqu’à la fin du weekend, après un vote en AG. Sur les 220 étudiant.e.s que compte l’école, une cinquantaine était sur le pont. La logistique se met en place. Des tableaux sont installés pour organiser la répartition des tâches qui incombent à la vie de groupe : nourriture, couchage etc. L’autogestion également prend corps, où assemblées générales, officielles et officieuses, jalonnent le quotidien. Les occupant.e.s se mettent en relation avec les autres écoles d’art, notamment celles du Sud, comme « Avignon, Marseille, Nîmes ou Monaco », afin d’unifier le mouvement. La solidarité s’organise, et la lutte avec.

Partie d’échecs à l’extérieur. Métaphore de la lutte ?

Malheureusement, ce que déplorent les artistes en formation de la Villa Arson n’est pas neuf. La gestion néolibérale des affaires publiques poursuit son œuvre, dans laquelle la mutualisation des ressources équivaut à une baisse généralisée des dotations, à une dilution des responsabilités et à une précarisation du personnel, des étudiant.e.s, et in fine à un appauvrissement de la formation. Cela craque de partout depuis bien longtemps, et peut-être les derniers coups de burin pourraient être fatals. Pour autant, le réel répond, la mobilisation s’étend. Bien que l’actualité des retraites prend le pas sur tout le reste, le mouvement des écoles d’art est lancé, pour défendre l’art, étudiant.e.s et enseignant.e.s. Victoire finale ou non, quoi qu’il en soit, la lutte est toujours une fin en soi.

Vue depuis la face du sud d’un des bâtiments de la Villa Arson.