Teresa Maffeis nous a brutalement quittés ce 4 février au matin. Comme le disait Paul Eluard : Tu ne supportais pas l’oppression ni l’injure / Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre / Tu rêvais d’être libre et je te continue. Bonne route, camarade. Retour sur des décennies de luttes fondées sur dans la culture, l’autodétermination, le partage et l’échange, la création, la liberté.

Il existe à Nice une association au fonctionnement assez libertaire : elle n’a jamais demandé la moindre subvention, n’a jamais déclaré une manif en préfecture, est autogérée et organisée en collégialité (pas de président·e), et depuis sa naissance, est de tous les événements culturels, pantaillesques et révolutionnaires, quand elle n’en est pas à l’origine.

Il s’agit de l’AdN (Association pour la démocratie à Nice), créée en 1992 par Teresa Maffeis, Michel Courbouleix et Arnaud Binoche. Seule la première y est encore active, les deux autres ont quitté la ville peu après. L’association a vu le jour en réaction à la candidature de J-M Le Pen (vous savez, le premier de la dynastie des hargneux·ses) aux élections régionales. L’idée était alors d’empêcher Le Pen d’être élu, mais en changeant un peu des modes classiques d’opposition, en rassemblant les gens contre la haine par le « pantaï » (c’est ainsi qu’on appelle, par chez nous, le « rêve », la folie douce de celles et ceux qui « travaillent du chapeau »), la fête, la création, la culture ; la lutte dans la joie, quoi. De la musique, de la couleur, de la vie, et comme on disait en mai 68, « l’imagination au pouvoir » ! Une des premières actions de l’AdN a été le « bouquet de la démocratie », des fleurs arrangées en un grand bouquet sur la Promenade des Anglais, en face d’un meeting de Le Pen au Théâtre de Verdure. C’était à l’époque le plus grand bouquet du monde : 71410 fleurs, 10,40 m de haut. Des dizaines de petites mains ont participé à son élaboration, le 13 mars 1993. Ce type d’événement festif fédérait du monde, créait des liens, touchait tous les publics et faisait passer des messages par le biais artistique et créatif.

« Ce type d’événement festif fédérait du monde, créait des liens »

Il s’agissait également de faire appel à la culture locale, de ce qui parle aux gens : ainsi est née la depuis célèbre affiche des culs tournés contre le Front National, rappelant Catherine Ségurane montrant le sien aux Turcs en 1540.

S’ensuivit plus tard un engagement au sein du collectif des Diables Bleus, à partir de 1999, squat culturel, militant et artistique au cœur de Nice, qui a fait vivre au pantaï de belles années jusqu’à l’expulsion du lieu le 1er décembre 2004.

L’AdN a assuré 12 ans de veille au conseil municipal sous Peyrat, et ça, aussi nécessaire que cela soit, on ne peut pas dire qu’il s’agisse d’un travail très joyeux.

L’association a été de toutes les luttes militantes, comme lors des contre-G8, G20 etc, et a toujours assuré un rôle de veille sur les atteintes à la démocratie, qui dans notre charmante région connaissent comme on le sait une tradition florissante. En 1996, Jacques Peyrat, le maire de Nice, a ordonné un arrêté anti-mendicité, et payé un voyage de luxe sur le Mont Chauve aux SDF de la ville. Cachez cette misère que nos touristes et nos bourgeois·es ne sauraient voir… Qu’à cela ne tienne, l’AdN a organisé ses propres charters afin de les rapatrier, et cela durant 3 mois. Et elle a régulièrement organisé des repas partagés avec les sans-abris, invitant des artistes musiciens, parce que la musique, disons-le, c’est la vie.

L’espace d’affichage obligatoire à disposition des associations n’est pas respecté par la mairie de Nice. L’AdN a envoyé une dizaine de courriers les exigeant, sans succès bien sûr, mais le travail de veille est respecté. Cette liberté d’expression qui lui tient à cœur s’est également proclamée après les attentats de Charlie Hebdo, lorsque l’association a organisé un « espace Charlie » place Garibaldi afin de permettre l’expression libre.

Ces actions de terrain sont parfois accompagnées de procédures juridiques, généralement victorieuses par ailleurs, mais c’est dans la lutte concrète que les AdN se reconnaissent le mieux. Le cœur de l’association est dans les quartiers, le contact humain, la création de liens. Elle a longtemps proposé au cinéma Rialto des projections-débats qui permettaient de découvrir, toujours dans le domaine des luttes et des droits humains, d’autres façons de vivre, de voir, de penser. Et l’AdN est membre de plusieurs collectifs comme celui des droits des femmes 06, ou encore le défunt collectif citoyen, multipliant les liens et les modes de lutte et d’expression, comme par des reportages vidéos[i], une expo photo sur les migrants, « Europe ouvre-toi ! », qui tourne depuis trois ans en France et en Europe, une autre sur les ouvrier·es du tram pour l’ouverture de la ligne 1. Une quarantaine de numéros d’un bulletin trimestriel, Adrénaline, ont en outre été publiés, avec la contribution d’adhérent·es et sympathisant·es, par des textes ou des illustrations.

« Le cœur de l’association est dans les quartiers, le contact humain, la création de liens »

L’AdN est également dans la lutte quotidienne pour les droits des sans-papiers, des Rroms (dont elle accompagne les démarches de scolarisation des enfants), et est présente à la frontière afin de soutenir les exilé·es, par une coordination des besoins à Vintimille et un travail avec les activistes italien·nes mobilisé·es sur place. Elle a aussi participé à plusieurs squats pour accueillir les demandeur·ses d’asile non hébergé·es par l’Etat (malgré l’obligation constitutionnelle) et les sans-papiers.

L’esprit AdN, c’est penser la lutte autrement que par le fait de brandir une pancarte dans un rassemblement (même si elle passe aussi par là) après avoir fait une conférence de presse, c’est la vivre au quotidien, dans le lien à l’autre, dans la culture, l’autodétermination, le partage et l’échange, la création, la liberté. Si possible en musique, sur des dessins, et le sourire aux lèvres.

On a toujours retrouvé l’AdN dans ce qui faisait selon moi vivre la ville, et qui m’a laissé parmi mes plus beaux souvenirs de Nice : le pantaï des carnavals indépendants, de la Santa Capelina, des descentes de carrioles sur la colline du Château. La lutte par la dérision, dans la joie, le partage, la culture, dans une philosophie autogestionnaire et spontanée. Liberté, solidarité, pantaï !

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Samedi 5 février.

Hier matin, j’ai perdu mon amie. Nice a perdu sa reine, le pantaï sa figure de proue, et la lutte militante sa guerrière infatigable. Teresa Maffeis est partie, trop vite, sans prévenir.

Mouais est en deuil, le chat est triste, parce qu’on l’aimait, qu’elle nous soutenait, comme elle partageait toutes les luttes, les constructions pour un monde plus juste, plus libre, plus beau, avec du pantaï, de la fête, et de la solidarité. Nous avons du mal à sourire aujourd’hui, mais cela nous reviendra, car le souvenir de Teresa nous emplira le cœur, et celui de toustes les joyeux.ses gauchistes, pour longtemps.

Comme le disait Paul Eluard :

Tu ne supportais pas l’oppression ni l’injure

Tu chantais en rêvant le bonheur sur la terre

Tu rêvais d’être libre et je te continue.

Bonne route, camarade.

Tia Pantaï pour Mouais

[i] Consultables à l’adresse suivante : https://www.dailymotion.com/ADN-NICE/videos