Vous connaissez l’activiste-paysan Cédric Herrou. A l’heure de la loi immigration, Mouais revient en 2017 et l’ampleur de la répression contre son aide apportée aux exilés, avec un dispositif policier délirant autour de son « camping » d’accueil. Il y démonte tous les mirages de ces coûteuses politiques racistes : « Ce serait bien que les gens comprennent qu’on les prend pour des cons ».

La Marmotte Déroutée, journal libre de la vallée alpine-maritime de la Roya ayant pris une retraite bien méritée dans son terrier il y a quelques années, est allée, en septembre 2017, poser quelques questions à cet adepte du 36e degré dans ce qu’il appelle sa « principauté ». Nous re-publions ce texte d’intérêt public, où l’odieux activiste-paysan est nommé M. X pour préserver son anonymat et ne pas verser dans la starification ambiante.

M : Tu es choqué par le déploiement des forces de l’ordre dans la Roya ?

X : J’ai un camping qui a une notoriété internationale et c’est normal que l’État gère sa sécurité. Les relations sont bonnes. En plus, c’est un service gratuit ! Je remercie tous les gens qui payent les impôts et la TVA pour ça.

M : L’État n’empêche-t-il pas les campeurs d’arriver ?

X : Non, 250 sont arrivés le week-end dernier. Il faut que les forces de l’ordre soient là pour faire courir mes clients, pour qu’ils arrivent plus vite chez moi.

M : Depuis l’ouverture du camping, combien de personnes sont passés chez toi ?

X: Depuis fin avril, 1400.

M : Elles ne sont pas perturbées ?

X : Ah, vous savez, elles viennent d’Afrique, elles ont l’habitude d’être entourées par des forces militaires françaises. Ça ne les bouleverse pas beaucoup. Pour leur intégration, du coup, c’est une bonne chose, elles ne sont pas désorientées.

M : Ceux qui arrivent, ce sont des terroristes ?

X : Oui, c’est bien connu, ils font tous escale en Italie, pays où il n’y a eu aucun attentat.

M : Et pour les forces de l’ ordre, ce n’est pas trop dur ?

X : Ça va. Elles se remplacent et elles dorment beaucoup. Et elles prennent le soleil.

M : Et pour toi ? Ça n’impacte pas un peu ta vie privée ?

X : Oui, parfois. J’ai même été obligé d’arrêter de fumer de l’herbe. Trop de surveillance.

M : Bon, certains disent que ton camping crée un appel d’air pour ceux qui veulent passer ? Et donc, que c’est aussi à cause de toi qu’il y a autant de flics partout, qu’on ne peut plus être tranquilles !

X : L’appel d’air, c’est la France, les droits de l’Homme, la démocratie, la protection de l’enfance, l’image qu’ils ont de l’Occident. Les gens qui n’en veulent pas n’ont qu’à changer de pays. Quant aux flics, ceux qui votent FN ont eu ce qu’ils voulaient. La fermeture des frontières, ça ne se fait pas avec des fleurs et des pom-pom-girls, ça se fait avec des armes.

M : Comment te situes-tu par rapport à la frontière légalité-illégalité ?

X : Je suis un équilibriste. Un peu pantaï. Ça ne fait pas rire tout le monde, mais nous on rigole.

M : Il paraît aussi que tu les fais bosser, tes clients ?

X : [Une quinzaine de gars sont assis derrière nous, plus ou moins en cercle, plutôt en silence]. Oui, là ça bosse dur, ils sont en train de réfléchir. C’est un think tank international ! Y en a qui bossent, oui, le camping est autogéré, six personnes vivent ici en permanence, c’est elles qui font tourner la boutique : cuisine, ménage, information, programmation des soirées… Mais la plupart de mes clients sont chiants, ils ne boivent même pas. Je suis obligé de boire seul. Je lance d’ailleurs un appel [d’air] aux amis musiciens d’Afrique de l’Ouest : venez, y a qu’avec vous qu’il y a moyen de faire la fête !

Puis, plaisanteries à part, voilà comment il décrit la situation et ses enjeux :

« Cinq dispositifs des forces de l’ordre, de deux à trois personnes chacun se relayant trois fois par jour » entourent son domicile en basse Roya, proche de la frontière italienne. Cela fait près de 40 personnes mobilisées quotidiennement. A cela s’ajoute le dispositif général de surveillance et de contrôle déployé dans la vallée, que nous commençons à connaître. Des centaines d’agents en permanence (300 à 400 personnes par jour selon notre interlocuteur), des dizaines de milliers d’euros par jour d’argent public. A quoi sert ce dispositif ? A empêcher les gens de passer ? Visiblement, ils continuent à arriver en grand nombre. Alors quoi ? « Ce n’est pas une question de fermeture des frontières, mais d’un simple ralentissement des passages […]300 personnes, ça ralentit trois mois. Combien ça coûte de bloquer une personne trois mois ? Je pense que ça fait plusieurs millions d’euros ! Ça coûterait nettement moins de l’accueillir ». Et donc ? « L’État utilise les moyens publics pour alimenter un discours populiste. C’est un véritable détournement de fonds ».

Un autre constat : pour lui, « les autorités ne comprennent pas la loi » et ne la respectent pas. « Le rôle de la PAF [Police aux frontières] est de prendre en compte et gérer les demandes d’asile », « chaque personne qui passe la frontière devrait pouvoir faire une demande d’asile à la PAF [à Menton] ou à la Préfecture des Alpes-Maritimes » (1). Mais plutôt que d’accepter la réalité des flux migratoires et d’organiser leur accueil, l’État, dans les Alpes-Maritimes, renvoie les gens à la frontière, et donc « les oblige à rentrer en situation irrégulière. Les seules personnes qui arrivent à Nice de façon régulière sont celles qui passent par ici, qui se déclarent ». Résultat ? Toujours plus de clandestins prêts à prendre des risques inconsidérés pour passer la frontière, coûte que coûte, quoi qu’il en coûte. D’ailleurs, d’après notre interlocuteur, 15 personnes seraient déjà mortes dans ce contexte et la possibilité que des baigneurs ou des pêcheurs rencontrent un cadavre en bas de la vallée n’est pas exclue…

Nul n’est censé ignorer la loi, mais quand ceux qui s’appellent « les solidaires » commencent à trop bien la connaître, notamment pour ce qui concerne le droit des étrangers, les autorités se tendent : « On arrive parfois à faire péter les Dublin à cause de vices de procédure dans des documents administratifs français. Ce que nous faisons a aussi permis des avancées dans le respect des droits, notamment pour la prise en charge des mineurs. Mais en même temps on nous reproche de l’avoir fait ! »

Passeur, il se considère comme tel : « passeur d’idées, passeur d’informations sur ce qui se passe ici, oui ». Ce qui le fait courir ? « J’ai hâte que tous ces gens aient une vie normale et qu’ils puissent enfin parler. J’ai hâte qu’arrive le jour où la France devra se justifier de la manière dont nous les avons accueillis aujourd’hui ».

La question « qu’est-ce qu’est la sécurité pour toi ? » le laisse pensif. « La prévention ? Se sentir en sécurité, c’est se sentir protégé ? Je n’en sais rien ». Est-ce que ses invités sont en sécurité chez lui ? En sécurité ou libres ? « Libres non, ils ne le sont pas, ils sont protégés ». Quel est alors le rôle des forces de l’ordre ? Pour lui, ce que l’État fait dans la Roya au sujet des migrants « n’est pas de la sécurité, c’est de la com’ ! Au moins 15 morts, quelle sécurité ? Tout le monde sait que c’est une grosse blague, ils n’empêchent pas les passages […] Ce serait bien que les gens comprennent qu’on les prend pour des cons. Ce serait bien ».

La situation décrite est celle de juillet-mi-août 2017. Il n’est plus possible de faire sa demande d’asile depuis la Roya sauf en présence d’huissier et avocat, et seules quelques personnes demeurent chez M. X. La situation s’est verrouillée et les renvois illégaux de demandeurs d’asile (mineur y compris) en Italie, avec fabrication de faux stipulant le refus d’accéder à ses droit sont revenus, et même devenus quasiment systématiques (depuis la PAF de Menton).

Et maintenant ?

Si les nombreux procès de Cédric ont fini par inscrire, de haute lutte, le principe de fraternité comme principe constitutionnel majeur, mettant fin, du moins sur le papier, au sinistre « délit de fraternité », sur le terrain, pour les personnes en situation d’exil, les choses ne se sont hélas guère amélioré, bien au contraire.

Pour rappel, selon l’ONU, plus de 2 500 hommes, femmes et enfants sont morts ou disparus en Méditerranée en 2023.

Les centres de rétentions administratives (CRA), où l’on incarcère les personnes en situation d’exil le temps de leur expulsion, et qui privent de liberté -alors même qu’elles ne sont pas des prisons, ce qui pose la question de leur cadre légal- des milliers de personnes dans des conditions douteuses -pour ne pas dire pire-, passeront partout sur le territoire de 2.000 à 3.000 places ; 11 nouveaux seront créées, d’une centaine de places quant à eux, dont Nice bien sûr, mais aussi Béziers, Mérignac, Aix-en-Provence ou encore à Mayotte.

Et pourtant, comme l’on noté 5 associations (Forum réfugiés, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte) dans un communiqué, on observe déjà en 2022 « une nette reprise suite à la réouverture progressive des frontières, avec 43.565 personnes enfermées dans les centres de rétention de l’hexagone et d’outre-mer ».

Elles concluent : « Malgré nos nombreuses alertes, des parents d’enfants français, des personnes ayant grandi en France, des personnes gravement malades, des personnes protégées au titre de l’asile ont été enfermées sans examen approfondi de leur situation. Certaines ont même été éloignées de force en dépit de toute considération pour leur vie familiale ou leur vulnérabilité, voire en complète illégalité. Nous avons observé des privations de liberté trop souvent injustifiées. Plus de la moitié des personnes enfermées dans les CRA de métropole ont été libérées, souvent par les juges, car leurs mesures de placement ou d’éloignements étaient illégales, ou que leur expulsion effective était impossible ». Vous avez dit « France de Vichy » ?

Un article tiré du Mouais #45, consacré aux luttes antiracistes, en accès libre mais soutenez-nous, abonnez-vous ! https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais

Notes :

(1) GUIDA (Guichet Unique d’Accueil des Demandeurs d’Asile : service d’état, où sont prises les empreintes Eurodac, avant de transmettre le dossier à l’OFPRA). Mais il faut préalablement passer à la PADA (Plateforme d’accueil des demandeurs d’asile : association Forum Réfugiés pour le 06) pour prendre le rendez-vous et y remplir le dossier de préinscription (Nom + photo sont inscrits au fichier national).

A voir : Autrement, de Michel Toesca, sur SaNoSi.live

Depuis, la bande du CCH (Camping Cédric Herrou, dont beaucoup des membres de notre rédac’ font partie) est devenue DTC (Défends Ta Citoyenneté), puis Emmaüs-Roya, première communauté Emmaüs Agricole, logée dans les Tuileries, toujours à Breil. Cette série documentaire de Michel Toesca revient sur cette aventure.