Mouais a recueilli le témoignage d’Olivier, professeur d’histoire né dans une famille juive séfarade, « militant, athée et soutien de la cause palestinienne ». Ado, en 1986, il a fait un séjour en Israël et en Palestine. Il revient sur ce voyage, qui l’a « marqué ». «En 87 a démarré la 1ère Intifada. On ne peut pas traiter les gens comme des chiens et s’étonner qu’ils se révoltent ensuite».

Mon histoire avec la Palestine remonte quasiment à ma naissance. Né dans une famille juive séfarade, j’ai été bercé dès mes plus anciens souvenirs au soutien inconditionnel à la politique israélienne. Mes parents, plutôt de gauche, soutenaient au départ les gouvernements travaillistes mais lorsque la droite israélienne, c’est-à-dire le Likoud en la personne de Menahem Begin prit le pouvoir, ils les soutinrent tout autant dans leur politique étrangère, à commencer par l’invasion du Liban à partir de 1978, avec accélération en 1982, bien que gêné.e.s par les massacres de Sabra et Chatilah. Pour moi, bien que mes parents m’aient donné une éducation humaniste et antiraciste, un Palestinien était forcément un terroriste et les droits du « peuple » juif sur la Terre d’Israël étaient inaliénables, la preuve c’est écrit dans la Bible.

Plus tard, cette notion de « peuple juif » m’a posé problème. Je n’ai pas attendu Shlomo Sand et son ouvrage salutaire Comment le peuple juif a été inventé1 pour me poser cette question car s’il y a un peuple, il y une culture commune qui commence avec une langue commune. Or, les Ashkénazes, originaires d’Europe de l’Est, avaient une langue, le yiddish, essentiellement germanique matinée d’un peu d’hébreu. Mes parents, des séfarades originaires de Tunisie ignoraient tout de cette langue ; mes ancêtres parlaient un dialecte arabe. Le lien commun entre des Juifs séfarades, ashkénazes, yéménites ou encore fallashas c’est la religion. L’Hébreu, jusqu’à la création d’Israël n’était qu’une langue liturgique que peu de Juifs comprenaient.

Pour le mouvement sioniste, parler de « peuple juif » permet donc de revendiquer un territoire, qui était au début du XX° siècle la Palestine ottomane puis, sous mandat britannique. Il s’agissait de créer un nationalisme sur le modèle des nationalismes européens du XIX° siècle et était ainsi porteur d’un projet colonial. Et pour revenir sur l’hébreu c’est aujourd’hui une langue créée par le mouvement sioniste à partir de la langue de la Torah mais avec des différences. Cependant, c’est aujourd’hui une langue vivante, langue officielle de l’État d’Israël et donc du peuple israélien (c’est moi qui souligne).

J’ai donc été au Talmud Torah dans ma jeunesse, l’équivalent du catéchisme pour les cathos. J’y ait appris la religion juive mais aussi subit une intense propagande sioniste de défense d’Israël. Pour moi, il ne faisait pas de doute : défendre Israël était un devoir pour chaque juif. Ce que je ne savais pas mais que j’ai appris plus tard grâce à mes études d’histoire, c’est que jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, le sionisme était minoritaire chez les juifs. Les juifs qui fuyaient les persécutions, principalement de l’empire russe et, plus tard, de Pologne et d’Europe centrale (Allemagne comprise) migraient principalement vers l’Europe de l’Ouest (notamment la France) mais surtout vers les Amériques. Dans l’entre-deux-guerres, le parti qui état majoritaire chez les juifs de Pologne était le Bund, parti marxiste et antisioniste. Les bundistes ont quasiment disparus du fait de l’extermination par les nazis (travail parachevé par les staliniens après la guerre). La Shoah a donc rebattu les cartes. Mais Israël n’existe que depuis 1948, le sionisme depuis la toute fin du XIX°siècle, alors que le judaïsme est vieux de plusieurs millénaires. Donc, israélien, sioniste et juif ce n’est pas forcément la même chose.

Comme tout garçon juif, je rêvais de visiter Israël que je considérais comme la terre de mes ancêtres, alors que ceux-ci venaient plutôt de Tunisie (et un peu d’Italie). À l’été 1986, alors que j’allais sur mes 17 ans et que je me préparais à entrer en Terminale, mes parents m’ont payé un voyage de 3 semaines en Israël avec un groupe de jeunesse juive et sioniste. À cette date, il n’y avait pas encore eu de révolte généralisée des Palestinien.ne.s dans les Territoires occupés. Au passage, je dis Israël mais, en réalité, nous avons beaucoup circulé en Cisjordanie. Néanmoins, dans le milieu où j’évoluais, on ne parlait pas de territoires occupés mais de « terres récupérées » « grâce » à la Guerre des six jours de 1967. On disait que « grâce » à cette guerre, qui au passage était une guerre d’agression de la part d’Israël, on avait « réunifié » Jérusalem.

À l’aéroport, avant de prendre l’avion de la compagnie El Al, tous les passagers, quelles qu’ils et elles soient, subissent un interrogatoire de la part d’agents israéliens : pourquoi tu vas en Israël ? Qui tu connais là-bas ? Etc. Sur le moment cela ne m’a pas choqué. « Israël a beaucoup d’ennemis et doit se défendre comme il peut ». Cette paranoïa me semblait rassurante.

À l’arrivée à Tel Aviv, les éducateurs qui nous encadraient nous ont emmené boire un coup sur le front de mer. Là, on a rencontré le guide qui nous a accompagné durant ces trois semaines. Il s’agissait d’un français qui avait fait son aliyah, c’est-à-dire qui avait migré en Israël. Il était sympa mais première chose choquante il était armé d’un fusil comme beaucoup d’autres personnes dans la rue. Il faut savoir qu’en Israël les hommes font trois ans de service militaire (deux pour les femmes) et, qu’après cela, il doivent 30 jours par an à l’armée donc, ils gardent leur fusil. Deuxième chose que j’ai trouvé choquante après coup, le guide nous dit : « Vous avez vu tout ce monde, que des Juifs ! » nous dit-il avec un grand sourire.

Je n’étais pas au bout de mes surprises. Le même éducateur nous dit de ne pas nous inquiéter, on peut savoir qui est qui rien qu’en regardant les plaques d’immatriculation des voitures : elles sont jaunes pour les Israéliens, bleues pour les Arabes (le mot « palestinien » n’est jamais prononcé par les sionistes) de Judée-Samarie (comprendre la Cisjordanie et Jérusalem-Est) et grises pour les Arabes de Gaza. Tout sourire, il venait, sans s’en rendre compte, de nous donner une définition de l’apartheid à la sauce israélienne.

On nous a aussi rabâché de ne pas gaspiller l’eau. À cette époque, la Mer Morte avait déjà perdu un tiers de sa superficie. Et je me suis rappelé la propagande qui me disait qu’« Israël avait fait fleurir le désert ». Oui mais à quel prix ! C’est un désastre écologique. Par ailleurs, encore aujourd’hui, c’est Israël qui gère l’approvisionnement en eau en territoire palestinien.

Beaucoup d’autres choses me sont apparues évidentes : Jérusalem-Est, c’est à dire la vieille ville, était une ville palestinienne, de même que Hébron où est censé être situés le tombeau des patriarches. Mais ce qui m’a marqué le plus, c’est ma baignade dans la Mer Morte près de Jéricho. Lorsque nous somme arrivé.e.s sur la plage, il y avait déjà là un groupe de palestinien.ne.s de Jéricho en famille et en maillots de bains. Aussitôt, notre guide a armé son fusil en nous disant de ne pas nous inquiéter. Nous fûmes 3 ou 4 à être choqué.e.s par cette attitude car à vrai dire nous ne voyons pas ce que nous avions à redouter de simples baigneurs. Mais ce n’est pas tout. Lorsque je suis sorti de l’eau, un gamin palestinien de 3 ans tombe devant moi et pleure. Je vois la mère qui l’appelle. Je le relève et le lui amène. Elle me remercie et je vais rejoindre mon groupe. Je n’ai rien fait d’exceptionnel. Et pourtant, je me fais engueuler par notre guide comme quoi ce que j’ai fais était dangereux, que j’aurais pu me faire égorger… Ce à quoi je fit remarquer qu’iels étaient en maillots de bains…

Ce voyage m’a marqué plus que ce que je voulais bien admettre sur le moment. Et pas dans le sens que j’aurais crû. Un an après ce voyage, en 1987, a démarré la première Intifada, première révolte généralisée des Palestinien.ne.s des Territoire Occupés. Je n’avais bien sûr rien prévu mais cela ne m’a pas surpris. On ne peut pas traiter les gens comme des chiens et s’étonner qu’ils se révoltent ensuite. À ce moment, j’avais commencé mon chemin vers le militantisme, l’athéisme et le soutien à la cause palestinienne.

En 1993, lorsque furent signés les accords d’Oslo, comme tout le monde j’y ai vu un signe d’espoir mais j’ai tout de suite vu qu’il y avait un problème. Ces accords disaient Gaza – Jéricho d’abord ; sous-entendu avant la souveraineté pleine et entière sur les territoires occupés que l’ONU reconnaît comme étant le futur État palestinien ? Ben non. Pour les Israéliens, il fallait d’abord assurer leur sécurité avant d’avoir la paix. Donc, les frontières du futur État palestinien perdaient des territoires en Cisjordanie et n’avaient plus accès à la Mer Morte qui fait frontière avec la Jordanie. Donc Jéricho n’a plus accès la Mer Morte. En 1986, j’ai pourtant vu des personnes palestiniennes de Jéricho aller se baigner. C’était un loisir et elles ne demandaient à personne l’autorisation pour cela. À partir d’Oslo, elles devaient demander la permission à l’occupant. Aujourd’hui, elles ne peuvent plus y aller. Donc au nom de leur sécurité, les Israéliens ont enlevé un loisir aux Palestiniens. On a là un résumé de la politique israélienne : ils prétendent garantir leur sécurité pour avoir la paix. Résultat : ils n’ont ni l’un, ni l’autre. Ils ne partagent ni l’eau, ni la terre, et ils s’étonnent ensuite de la révolte des personnes qu’ils oppriment.

Par Olivier Sillam.

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1: Shlomo Sand, Comment le peuple juif a été inventé, Flammarion, Paris, 2010