Les appels à (auto)limiter les naissances de militants écologistes pour limiter le réchauffement planétaire posent plusieurs questions. Philosophiques, politiques, et surtout écologistes. Dans la plupart des cas, elles se fondent sur une erreur de diagnostic.
Par Edwin Malboeuf
D’un côté, un mouvement de société, dont il est difficile d’en saisir l’ampleur, qui ne veut plus faire d’enfants, notamment pour raison écologiste. De l’autre, une injonction économique fascisante à se « réarmer démographiquement » venue du haut de la pyramide. Et au milieu, nous. Où l’on se dit qu’un être humain ne peut être réduit à sa destinée de pollueur potentiel. Ni à un futur esclave du capital. Alors faire ou ne pas faire des enfants pour limiter le réchauffement planétaire ? Telle n’est pas la question.
Premièrement un point sur l’origine de ce mouvement que l’on doit à l’idéologie de Thomas Malthus (1766-1834), économiste anglais conservateur, qui dans son Essai sur le principe de population a théorisé la limitation de la natalité dans le but de préserver les populations des pénuries et des famines. Selon ses travaux, la population augmente de façon exponentielle, la production alimentaire de façon linéaire. Dès lors, si la natalité n’est pas contrôlée, une grande partie de la population, notamment la plus pauvre, se trouve en proie à la famine. « Rapatriées dans l’œuvre de Darwin, ces lois déterminent le contexte concurrentiel au sein duquel pourra se dérouler « la lutte pour l’existence » et la régulation du taux de population, de sorte qu’une sélection des variations avantageuses puisse s’opérer en même temps qu’une élimination des individus inadaptés », écrit Renaud Garcia (1). Une logique autoritaire, qui voyait surtout la prolifération des pauvres comme un mal à combattre, notamment en supprimant toute aide afin de leur opposer « une contrainte morale » dans l’envie de se reproduire. Le même argument est à l’œuvre aujourd’hui dans la diminution des allocations chômages pour « inciter à l’emploi ».
L’aisance pour tous
A cette vision du monde pessimiste, Kropotkine (1842-1921), théoricien anarchiste russe, opposait « une aisance pour tous », notamment par l’économie de l’entraide. En prolongeant l’œuvre darwinienne, ce dernier estimait au contraire la coopération comme facteur premier de survie d’une espèce plutôt que la compétition, prérequis de la « survie du mieux adapté ». « L’entraide est le fait dominant dans la nature », écrivait-il. Dans son ouvrage phare La conquête du pain, il critique l’économiste anglais, et défend une économie fondée sur les besoins à satisfaire pour la population plutôt qu’un contrôle de la population en fonction des ressources : « On dira peut-être que c’est logique : qu’avant de satisfaire des besoins il faut créer ce qui peut les satisfaire ; qu’il faut produire pour consommer. Mais avant de produire quoi que ce soit, ne faut-il pas en sentir le besoin ? », questionne-t-il de manière rhétorique, défendant ainsi une économie antagoniste au capitalisme.
A la fin du XIXème siècle, les théoriciens anarchistes se divisent sur l’héritage de Malthus. Certains reprennent sa théorie d’un point de vue de contestation de l’ordre, en refusant d’alimenter le patronat ou l’armée en chair humaine. Pendant des siècles, un fort taux de natalité était éminemment relié à la notion de puissance du royaume puis de l’Etat-nation, prompt à envoyer sa jeunesse masculine se faire massacrer au front. A la fin du XIXème siècle, Marie Huot, journaliste, féministe et anarchiste appelle à la « grève des ventres », dans un article du Parisien daté de 1892. Ce néo-malthusianisme représente les prémices d’une activité sexuelle non-procréatrice avec l’utilisation de moyens anticonceptionnels.
D’autres anarchistes de l’époque contestent Malthus, en voyant dans l’avancement technologique la possibilité de nourrir l’humanité malgré son accroissement. Aujourd’hui, bien que la productivité alimentaire a effectivement considérablement augmenté grâce à la machine, l’on sait également que l’agriculture intensive a des effets néfastes pour la santé. Comment trouver un point d’équilibre entre une agriculture raisonnée, sans pesticides, et une population dense à nourrir ? Les solutions sont connues à vrai dire (permaculture, agriculture urbaine, fin de l’artificialisation des sols etc), mais elles impliquent une révolution de la production, et donc un dépassement du capitalisme.
Le problème n’est pas le nombre mais la répartition
Aujourd’hui, un siècle et demi de lutte féministe plus tard, la situation a quelque peu changé. Accès à la contraception, âge moyen du premier enfant repoussé à 31 ans, prise de conscience écologiste. Le néo-malthusianisme en question semble s’être transformé en une forme plus réactionnaire, mêlant à la fois des arguments apocalyptiques (monde de merde) et individuels (ne pas rajouter ma merde à la merde globale). « Comme tout choix individuel, la stérilisation n’est pas efficace. On se fait stériliser parce que c’est juste et en accord avec nos convictions. Avec l’écologie, on cherche à se donner bonne conscience plutôt qu’à être efficaces. En soi, le geste le plus écoresponsable serait le suicide, mais c’est bien trop coûteux. », exprime Sereb, stérilisé à 28 ans, dans un article de Reporterre (2).
La finitude terrestre et celle de ses ressources est aujourd’hui largement admise. Chaque année, le jour de l’année à partir duquel l’humanité a consommé plus que ce que la planète est capable de reproduire arrive de plus en plus tôt (appelé le « jour du dépassement », il était au 2 août en 2023). Alors Malthus avait-il raison ? Non, et pour une raison simple. La consommation terrestre est fonction des institutions humaines. En l’occurrence, la principale depuis deux siècles se nomme capitalisme. Le problème ne se trouve pas dans le volume de ressources, mais dans leur gestion économique et leur répartition. Quand le Nord global se goinfre, le Sud global se rationne. « Le postulat de La conquête du pain est ainsi le suivant : la rareté n’est pas un état naturel, mais une institution, elle ne vient pas au début de l’histoire humaine, mais résulte d’une appropriation violente de ce dont les sociétés jouissaient auparavant en commun », rappelle Renaud Garcia (3).
Des chiffres bidons
Au-delà de l’idéologie néo-malthusienne, on trouve également ce chiffre, largement relayé dans la presse ces dernières années, quoique très (très) discutable. Parmi une liste d’agissements écologiques sur le plan individuel, « le changement de comportement le plus efficace, selon des chercheurs de l’université de Lund (Suède) et de l’université de la Colombie-Britannique (Canada), reste encore de faire moins d’enfants. Un bébé pèserait en effet 58 tonnes de CO2 par an, tandis que le cumul d’un régime végétarien (en moyenne 0,8 tonne par an), de l’arrêt des voyages en avion (1,6 tonne) et de l’usage d’une voiture (2,4 tonnes) permettrait d’économiser au total 4,8 tonnes par an » (4). Chiffre étonnant lorsqu’on sait que la moyenne annuelle d’un Français se situe à 10 tonnes par an d’émissions de CO2. Soit six fois moins fois qu’un enfant ? En réalité ce chiffre repose sur un calcul biaisé, fait à partir d’une moyenne de différents pays, dont les volumes d’émissions sont très différents. Et le calcul se fait également sur la base de descendances multiples, à flux constant sur toute une vie. En somme, un chiffre qui ne veut pas dire grand chose, mais qui alimente la corrélation entre vie humaine et futur producteur massif de déchets. Comme toujours, les données chiffrées ne sont jamais qu’une construction sociale, pas toujours une vérité objective mathématique.
Par exemple, les projections démographiques sont toujours à prendre avec des pincettes puisqu’elles formulent des hypothèses « toutes choses égales par ailleurs ». Comment prévoir des guerres, des génocides, des pandémies, des baisses de natalité par élévation du niveau de vie etc. Deux projections s’opposent. Pour certains économistes la population pourrait être réduite de moitié d’ici la fin du siècle, car le taux de fécondité baisse en même temps que la population vieillit. Une thèse contestée par de nombreux démographes qui tablent au contraire sur un pic à 10,4 milliards d’êtres humains en 2100, avec une population africaine qui triplerait pendant que la Chine verrait ses habitants diminuer de moitié (5). Qui a raison ? Probablement plus les démographes que les économistes, mais ce n’est pas si important.
Après 1945, la fin de conflits meurtriers de gigantesque ampleur (les deux Guerres mondiales représentent 80 millions de morts), la libération des corps couplée à la mise en place de la Sécurité sociale et des allocations familiales reconnaissant l’éducation d’un enfant comme un travail soutenu par la collectivité, l’instauration de systèmes de protection sociale dans de nombreux Etats assurant une subsistance et un accès aux soins massifs à une large partie de la population a provoqué un allongement de l’espérance de vie. Mais malgré une augmentation constante de la population mondiale depuis, il reste beaucoup de place pour habiter l’espace terrestre. Tous les humains de la planète, mis côte à côte pourraient par exemple tenir sur le territoire de la Guadeloupe, avec une moyenne de 4,5 personnes au mètre carré. Une donnée certes absurde mais qui montre la faible densité de l’humanité sur Terre. Une donnée certes absurde, mais qui montre la faible densité de l’humanité sur Terre.
Un contrôle des naissances forcément autoritaire et inefficace
Politiquement enfin, limiter les naissances est forcément autoritaire, classiste, sexiste et/ou raciste. A qui va-t-on empêcher d’en faire ? A qui va-t-on commander d’en faire ? La politique de l’enfant unique en Chine n’a pas freiné la croissance démographique du pays. Pire, elle a créé des générations d’anonymes, non-reconnus civilement. Selon Emmanuel Pont, auteur d’un livre sur notre question, si l’on appliquait cette politique de manière stricte en France, il faudrait attendre 2100 pour que la population du pays soit divisée par deux. De plus, limiter les naissances est forcément sexiste puisqu’une telle politique va se concentrer sur le corps des femmes. Aussi, le contrôle nataliste décidée par le haut organise le tri racial entre bonnes et mauvaises naissances. Alors qu’Emmanuel Macron appelait au « réarmement démographique », il annonçait dans le même temps la fin du droit sol à Mayotte, département français. Preuve qu’une certaine natalité prévaut sur une autre. Enfin, les émissions de gaz à effets de serre ne sont pas les mêmes selon votre endroit de naissance. « Dans leur étude « Carbone et inégalité : de Kyoto à Paris » publiée en novembre 2015, les économistes Lucas Chancel et Thomas Piketty rappellent que chaque consommateur nord-américain émet en moyenne 22,5 tonnes d’équivalent CO2 (tCO2e) par an, soit presque deux fois plus qu’un habitant d’Europe de l’Ouest (13 t), trois fois plus qu’un résident du Moyen-Orient (7,6 t), et quatre fois plus qu’un Chinois (6 t). A l’inverse, les habitants d’Asie du Sud et d’Afrique émettent environ 2 tonnes d’équivalent CO2, bien en dessous de la moyenne mondiale qui s’établit à 6,2 tCO2e par habitant, et vingt fois moins qu’un Nord-Américain ! ».(6)
En vérité, la seule décision qui devrait présider à avoir des enfants, c’est la volonté d’un couple, ou d’une mère seule, au-delà de toute considération politique. Parce que la vie ne se résume pas à une vie de pollueur. Et que l’on peut décider d’élever son enfant en futur lutteur. Faire des enfants, c’est également lever la future armée d’écologistes radicaux de demain. Voilà pourquoi ce ne sont pas les naissances qu’il faut limiter mais les salaires car comme dit Bernard Friot, « au-delà de 5 000 euros par mois, on ne sait pas à quoi cela sert à part emmerder le monde ». Et qui dit salaire maximum, dit fin de la bourgeoisie. Cette espèce invasive et « parasite » (7) qu’il faut éradiquer (juridiquement, calmez-vous). Après cela, procréer ne sera plus une question.
Notes :