«Allez les filles, on part» ! Participer à l’aventure qu’est l’installation de la grande tente… Courir partout et rencontrer d’autres enfants, se serrer dans la tente quand il pleut, squatter des centres commerciaux et des musées quand il pleut vraiment trop… Et au-delà même de ces joies, si dans le camping s’exprimait une voix alternative au tourisme de masse et à l’individualisme capitaliste ?

Profiter du soleil, des montagnes, de la mer, passer des après-midi à la rivière ou à la piscine, chiller, rencontrer des amis qui ont une autre vie que la nôtre (locaux ou campeurs), vivre tranquille… Apprendre à plier son matelas, à monter la tente, à faire à manger dans un réchaud, faire la queue pour la douche, se trimbaler en tongs avec un PQ à la main, avoir la tête dans le cul et boire son café au milieu des inconnus, rager quand les gens d’à côté font trop de bruit, se réveiller trempée de sueur, le dos qui colle au matelas quand le soleil frappe trop fort sur la toile de tente….

Mais d’où vient tout ceci ? Faisons un bref point historique.

Les débuts du camping vont de pair avec l’avancée de la société industrielle, le progrès technique et le développement des grandes villes. Camper est alors l’occasion de cultiver un lien perdu avec la « nature », de se ressourcer dans un paysage devenu inaccessible autrement, créant ainsi une expérience singulière, et une enclave en rupture avec l’espace et le temps du quotidien industrialisé.

Né au début du 20e siècle, le camping trouve ces origines dans la culture britannique des organisations de plein air, et se développe ensuite autours des loisirs, du tourisme, de la pédagogie, du sport et de l’aventure. Par exemple, aux USA, les camps YMCA -oui, comme dans la chanson- vont influencer les débuts des mouvements « boy scout ».

Bel exemple de cet esprit, le superbe film de Wes Anderson Moonrise Kingdom raconte les aventures de Sam et Suzy, deux enfants fuyant l’une son foyer l’autre le campement des scouts kakis, avec l’idée de vivre leur idylle en autonomie dans la forêt de l’île. Sous nos yeux, se déploie leur savoir-faire pour vivre sans encombre dans la nature. En France, le principe des « scouts » et ce modèle pédagogique est reprit par des organisations chrétiennes, et le mouvement protestant des « Éclaireurs ».

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En 1910 apparaît le camping club français. Cette organisation va participer au développement moderne du camping, en proposant des échanges de conseils, d’expériences et « un répertoire de camps, organisant une réglementation, regroupant les premiers fabricants matériels… » (1). Enfin, en 1936, les vacances de masse font suite aux mesures du Front Populaire et généralisent la pratique du camping, qui est à partir de ce moment largement associée dans l’imaginaire aux classes populaires.

Si l’histoire du camping est liée à l’histoire de ces classes, il n’y est pas réductible pour autant, puisque certains sociologues pointent la présence de toutes les catégories socioprofessionnelles, des patrons, cadres supérieurs et professions libérales (même si pas majoritaires) jusqu’aux ouvriers et employés. De fait, leur présence n’est pas simultanée, mais soigneusement triée par une organisation spécifiques des terrains de camping. Ceux-ci sont hiérarchisés par un système d’étoiles (équivalent aux hôtels), fixant des prix différents selon la présence ou la qualité du matériel et des aménagements (piscine, sanitaire, chalet, mobile-home, marquage des emplacements, ombre…).

Le camping, un espace-temps spécifique

Partir en vacances au camping c’est avant tout décrocher du travail (oui !), mais aussi des impératif de la vie domestique et urbaine. On y va pour y trouver du changement, une sorte de dépaysement.

Le rythme global de la vie est ralenti, et l’environnement induit des réorganisations simples et logiques, comme le fait de caler ses activités sur le rythme du soleil (nuit-jour), ou par rapport aux impératifs de la météo. On fait un peu les mêmes choses que chez soi, mais dans un espace collectif, où de fait il existe une certaine promiscuité, et donc une intimité partagée. Les actes du quotidien prennent alors un autre sens. On partage un espace et un temps collectifs fait de choses sommes toutes simples et anecdotiques, mais c’est bien ce qui constitue tout l’intérêt de l’expérience. Et cela peut être l’occasion, puisqu’il y a le temps, de réorganiser la répartition des tâches domestiques -souvent de façon moins genrée que dans le cadre « habituel », avec un partage plus égalitaire-, de transmettre à ses enfants des savoir-faire, et de faire des rencontres.

Tout comme un changement s’opère dans le quotidien du campeur sans changer grand-chose, en allant au camping, on peut trouver le dépaysement à côté de chez soi. A ce propos, je me souviens de ma mère qui me racontais qu’avec sa famille, ils partaient s’installer au camping au bord du lac du Bourget, se trouvant à seulement 3 kilomètres de chez elle ; ou encore l’été dernier, de notre installation avec les copines dans un camping en Chartreuse, un massif de montagne proche de chez nous. Dans les deux cas, on a beau connaître déjà le lieu, le fait d’y camper induit une appréhension de l’espace différente, et permet de créer des relations avec les autres campeurs ou les habitants du village -les « locaux ».

Notre regard change sur des espaces pourtant déjà connus et parcourus ponctuellement durant l’année, pour un après-midi de baignade ou une randonnée. Au camping donc, on garde tout, mais pas vraiment, le changement sans le changement, les habitudes sans les habitudes, le dépaysement à côté de chez soi.

Un expérience de vie collective

Partir au camping est souvent le fruit d’un projet collectif, qu’il soit familial ou amical. Le cadre du grand terrain clôturé et l’inter-connaissance des campeuses et campeurs permet aux enfants de s’autonomiser des parents. Ils peuvent se balader à leur aise, aller jouer au parc. Et leur spontanéité est un des éléments fondateur de l’émergence des rencontres entre campeurs. Réciproquement, cela permet aux parents de faire des choses sans leurs enfants, ce qui est une opportunité non-négligeable pour trouver un peu de repos, mais aussi un prétexte ensuite pour organiser apéros et repas collectifs. Le camping c’est donc le paradis des enfants libérés … comme des parents !

Les différentes activités qui peuvent être proposées le soir, ou les espaces partagés en dur (cuisine, frigo, tables et canapés) mis à la disposition des campeurs sont autant de prétextes pour renforcer ou créer une sorte de communauté temporaire du campeur, qui se fonde sur une sorte d’inversion du quotidien.

Comme le disent magnifiquement les ethnologues Gilles Raveneau et Olivier Sirost dans leur article Le camping ou la meilleure des républiques (2), « en fait, le camping représente l’un des derniers îlots d’une sous-culture communautaire au cœur d’une société individualiste, d’où son côté subversif. Il forme donc un lieu de résistance qui substitue au paradigme des intérêts et de l’utilité celui des affects et du jeu. De la même façon, le camping affirme le rejet des rapports hiérarchiques au profit des relations d’égalité, la valorisation des liens sociaux et de la communauté au détriment de l’individualisme et de l’indifférence. »

Nous y voilà : Mouais voulait vous faire comprendre que le camping c’est un truc d’anar, en vrai, -quoique !

Airbnb et gentrification du camping, la contre-offensive du système ?

MAIS, parce qu’il y a toujours un MAIS, voici une anecdote. Il y a 5 ans, ma mère, un peu en dèche, voulait aller passer du temps au bord de la mer et s’installer au camping. Las, les prix étaient trop élevés, ou les places dans les campings à bas prix déjà toutes occupées. Par expérience, un constat s’impose : les camping municipaux se raréfient drastiquement au profit d’une expansion des campings étoilés…Il devient alors très compliqué de trouver de quoi s’installer quand on est itinérant, juste pour une ou deux nuits avec sa mini-tente, ou bien pour trouver une place bon marché. Des lieux sont particulièrement visés par ces changements, et ce sont souvent les plus touristique et les moins paumés.

Et puis, à certains endroits il n’y a pas de camping du tout. Vous imaginez des campings à Nice, sur notre belle côte d’azur ? Le rêve ! Mais c’est peut-être trop populaire et trop collectiviste au yeux de la mairie ?

A contrario, dans ces lieux, et dans les zones urbaines, on note une expansion du modèle de la location individuelle de type Airbnb, ceux-ci n’induisant guère chez leurs occupants une quelconque volonté de changer leur quotidien capitaliste, ni l’occasion de faire des rencontres localement ou de vivre une expérience de vie collective, on s’en doute.

Ces types d’offres proposent des prix plutôt bas, et permettent à des personnes qui ne pourraient pas se payer l’hôtel de se loger en ville. Mais on connaît bien tous les méfaits pour les locaux entraînés par ce type de logement touristiques. Une solution pourrait être au contraire de recréer des campings municipaux aux abords des villes ? Afin de que l’utopie anarchiste de ces campements de tentes variées, « cette expérience communautaire [visant] à remplacer une logique utilitaire (intérêts, travail, individualisme, contraintes) par un principe humanitaire (affects, vacances, liberté, plaisir, sociabilité) » (3) puisse continuer à prospérer…

Par la Grande Timonière.

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Un article tiré de notre Mouais n°41, dont le dossier central est consacré au tourisme, nous vous l’offrons en accès libre mais soutenez-nous, abonnez-vous ! C’est ici on vous en prie : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais

(1) Olivier Sirost. « Les débuts du camping en France : du vieux campeur au village de toile », Ethnologie Française, vol. 31, no.4, 2001, pp. 607-620

(2) Raveneau, Gilles, et Olivier Sirost. « Le camping ou la meilleure des républiques. Enquête ethnographique dans l’île de Noirmoutier », Ethnologie française, vol. 31, no. 4, 2001, pp. 669-680

(3) Ibid.