Jonathan Denis est président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), qui existe depuis 45 ans. Il milite pour l’aide active à mourir et se dit bien évidemment favorable au projet de loi en la matière. Entretien. Par Edwin Malboeuf

Qu’y a-t-il de plus intime que notre rapport à la mort ? Si nous considérons l’intime comme politique, alors sans doute faut-il légiférer sur la fin de vie afin d’offrir une mort digne, sans souffrances exacerbées et éviter la clandestinité des pratiques pouvant mettre en danger soignants et patients. Néanmoins, de par la diversité des cas existants, d’un souci éthique majeur, d’un hôpital public lui aussi en fin de vie, détruit par les politiques néolibérales et d’une approche qualifiée de validiste et eugéniste par les opposants au projet de loi en cours, il faut s’attaquer à ce sujet avec des pincettes. Jonathan Denis, président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité a accepté de répondre à nos questions pour comprendre les arguments favorables au projet de loi.

Pouvez-vous présenter l’Association pour le droit de mourir dans la dignité ?

L’association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) a été créée il y a quarante-cinq ans. Elle compte près de 80 000 adhérents bénévoles, c’est une association à la fois militante pour une nouvelle loi sur la fin de vie qui incorpore à la fois un accès universel aux soins palliatifs et la légalisation de l’aide active à mourir (euthanasie et suicide assisté) dans des cas bien précis. Notamment pour des personnes atteintes d’une infection grave et incurable en phase terminale avancée, avec des souffrances physiques ou psychologiques qu’elles jugeraient insupportables. C’est aussi une association d’entraide et de solidarité, avec des représentants d’usagers une commission juridique, soignante, une ligne d’écoute et un fichier des directives anticipées que nous gérons.

Quelle est la sociologie de l’association ?

Il n’y a pas de typologie type. Nous avons des adhérents atteintes d’une maladie grave et incurable, mais aussi des proches qui ont du les accompagner, notamment dans des cas d’euthanasie clandestine en France comme c’est mon cas personnel, ou à l’étranger. Des personnes qui ont raisonné de façon philosophique à la question, des soignants conscients de la réalité et des insuffisances de la loi. Nous avons tous les âges, dont un groupe de jeunes, les moins de 35 ans.

Quel type de militantisme exercez-vous au sein de l’ADMD ?

Nous sommes une association en responsabilité donc nous rencontrons le Président de la République, le Premier ministre, députés, sénateurs, sénatrices et élus locaux. On rencontre tous les élus favorables ou non, on est là pour discuter, car on veut une loi qui respecte toutes les consciences. On organise également des réunions publiques avec les délégués départementaux.

Euthanasie, suicide assisté, aide active à mourir : est-ce la même chose ?

On parle de la même chose. Cela dépend des législations. Je suis pour assumer les mots. Derrière la notion d’aide active à mourir, vous avez l’euthanasie. C’est un médecin qui fait un geste létal auprès d’une personne malade d’une infection grave et incurable mais toujours à la demande de la personne. Le suicide assisté, c’est la personne qui va faire elle même le geste. Aux Etats-Unis, la personne récupère une “kill pill”, une pilule létale qu’elle peut prendre seule chez elle. En Suisse, ce sont des associations qui accompagnent la personne mais c’est toujours la personne qui fait le geste. Et puis, il y a des pays où c’est le soignant qui est autour. La différence entre euthanasie et suicide assisté dépend de qui réalise le geste létal.

Comment se positionne l’ADMD sur ce geste ?

On est pour une liberté de choix du patient, qu’il décide de réaliser le geste, ou qu’il le délègue à un médecin.

Que pensez-vous du débat public en la matière ?

Il faut se rappeler que le débat existe depuis 45 ans. La première proposition de loi déposée l’a été par Henri Caillavet, qui fut président de l’ADMD par ailleurs, à la fin des années 1970. Puis, de multiples propositions de lois ont été déposées par tout groupe parlementaire sur plusieurs années. Enfin, il y a eu un engagement d’Emmanuel Macron, notamment avec cette convention citoyenne. Elle a fait un travail de fond formidable, avec 184 citoyens réunis, non-spécialistes de la question, qui ont bossé pendant 9 semaines, avec au final une majorité souhaitant améliorer la loi. Au-delà de cette convention citoyenne, le comité national d’éthique a également rendu son avis. Il y a eu une mission d’évaluation parlementaire sur la loi actuelle, montrant les insuffisances de celle-ci. Enfin, il y a eu un travail gouvernemental avec un projet de loi, une commission spéciale ayant étudié ce projet de loi, a voté certains amendements. Le texte a été débattu à l’Assemblée nationale, et voté en grande partie. Tout s’est arrêté avec la dissolution à quelques jours du vote.

Aujourd’hui, nous avons une grande déception suite aux déclarations de François Bayrou de vouloir scinder le texte en deux, sur ses convictions personnelles. Elles ne doivent pas être mises sur le devant de la scène et il doit respecter le travail démocratique qui a été fait, et la majorité des Français qui pensent qu’il faut un seul et même texte.

Il veut un texte sur l’aide à mourir, et un sur les soins palliatifs.

Oui. Alors que depuis le début nous travaillons sur un seul et même texte. La première partie s’appelle les soins palliatifs et soins d’accompagnement, et la deuxième sur l’aide à mourir, car nous considérons que c’est un continuum de soins. Tout le monde travaille dessus depuis deux ans et demi et François Bayrou arrive et en un éclair veut tout changer. En réalité, il est contre l’aide à mourir, et le choix de ces deux textes est celui de tous les opposants de l’aide à mourir. Ne soyons pas naïfs, ce discours est là pour enterrer le texte sur l’aide à mourir en pensant que les soins palliatifs seront suffisants.

Des opposants de gauche sont contre ce projet de loi qu’on présente pourtant comme progressiste.

Ce n’est pas une question politique. Dans chaque groupe parlementaire vous avez des personnes favorables et des opposants. Cela touche à l’intime et aux convictions de chacun. Nous demandons l’accès universel aux soins palliatifs ET l’aide à mourir. Je suis le premier à dire qu’il y a énormément à faire dans les soins palliatifs. Mais cette discussion peut se faire dans le cadre budgétaire du projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Rappelons-nous quand le projet de loi, on a réussi à doubler le budget consacré aux soins palliatifs, d’un milliard à deux milliards. Il y avait un aspect sur la formation aux soins palliatifs, la création de maisons d’accompagnement, pour les personnes en souffrance et les proches. Maintenant il ne faut pas se mentir sur les soins palliatifs, plus de 20 départements n’ont pas d’unités de soins palliatifs, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de soins palliatifs dans ces départements. Mais 20 départements n’ont pas d’unité pour accompagner les cas les plus complexes, avec des personnes qui doivent faire des kilomètres pour trouver cet accompagnement, ce qui n’est pas normal. Il faut développer massivement les soins palliatifs à domicile, et les soins palliatifs pédiatriques. Il faut former, recruter, mieux répartir. Là-dessus, tout le monde est d’accord, mais je n’oppose pas les soins palliatifs à l’aide à mourir. Ce sont des choses complémentaires, comme ce qui est fait à l’étranger.

Pas de priorisation alors ?

Je regarde les choses en face, et ce faisant, je considère que les soins palliatifs ne peuvent pas tout. Même si demain tout le monde a accès aux soins palliatifs, certaines personnes ne voudront pas y aller. Ceux-ci ne peuvent pas soulager toutes les souffrances. Par exemple pour, des personnes atteintes de maladies neurodégénératives. Elles peuvent avoir envie de décider avant d’être en phase agonique. Les soins palliatifs ne pourront jamais répondre à tout.

Au-delà des soins palliatifs, il y a la loi Clays-Léonetti votée en 2016. Certains disent qu’elle prévoit déjà une aide active à mourir. Pourquoi est-elle si peu utilisée ?

Je pense que c’est une loi hypocrite. Elle a renforcé le rôle des directives anticipées, ce qui est très bien. Mais elle a aussi légiféré en créant une procédure autour de la sédation profonde et continue jusqu’au décès. Cela concerne des personnes atteintes de maladies graves et incurables, dont le pronostic vital est engagé à court terme. Elles peuvent être accompagnés dans le cadre de cette sédation. On va les endormir, on va altérer leur conscience et on va attendre. On arrête l’alimentation et l’hydratation. Vous avez des sédations qui se déroulent en quelques instants et certaines qui durent plusieurs jours, plusieurs semaines. Cette loi, lorsqu’elle a été votée quasiment à l’unanimité (436 voix pour 34 contre N.D.L.R.), personne n’a réfléchi à ce qu’était le court terme. Il a fallu attendre deux ans pour qu’on nous dise, le pronostic vital engagé à court terme, c’est de quelques heures à quelques jours. Quand on discute avec les députés qui ont voté la loi, ils nous disent que dans leur esprit ce n’était pas ça. Et c’est là l’hypocrisie. Pour eux, ça devait pouvoir accompagner d’autres personnes. Aujourd’hui on ne sait pas combien il y a de sédation en France, combien sont proposées et combien sont acceptées. Tout ce qu’on a, ce sont des retours de proche qui nous disent que cette sédation se passe très mal parfois. Je ne dis pas que c’est une mauvaise loi je dis qu’elle n’est pas suffisante. Elle ne répond pas à des cas qui peuvent se présenter.

C’est quoi une directive anticipée ?

Les directives anticipées, c’est le seul document aujourd’hui qui permet de dire ce que vous souhaitez ou ne souhaitez pas si vous n’êtes plus en état de vous exprimer dans le cas d’une fin de vie. Ce document est censé vous protéger, vous avez désigné des personnes de confiance qui vous représentent et faire valoir vos droits.

Il y a eu un examen de cette loi en 2023…

… qui a pointé les insuffisances de cette loi. C’est nébuleux. La différence entre une sédation profonde et continue jusqu’au décès et l’euthanasie, c’est une question de dosage, de protocole. Les opposants disent : dans la sédation, il ne s’agit pas de dater le décès mais de soulager les souffrances. Si on est honnête intellectuellement, on sait que cette sédation mène au décès. Il faut bien que toutes ces choses existent comme c’est le cas dans d’autres pays du monde. En revanche, nous sommes le seul pays à avoir une loi précise sur ce qu’est la sédation jusqu’au décès. Il y a peut-être des raisons.

Finalement, c’est une question de curseur. Y-a-t-il un calcul économique qui peut être fait également dans les motivations de cette loi ?

Personne ne réfléchit comme cela. Nous réfléchissons sur comment accompagner et ne jamais abandonner quelqu’un. Effectivement, les législations diffèrent : certaines sont sur le suicide assisté, d’autres sur l’euthanasie, d’autres sur les deux, définissent la durée du pronostic vital engagé pour décider etc. Le socle commun, c’est qu’à chaque fois il y a eu un renforcement des soins palliatifs. Vous avez des aides à mourir qui se pratiquent dans le cadre d’unités de soins palliatifs car on n’a pas opposé les deux. Et nous décidons, par le cas de François Bayrou d’opposer les deux de manière stérile et qui ne mène à rien.

Pour poursuivre sur les oppositions (lire “Projet de loi fin de vie : des risques eugénistes et validistes ?”), des collectifs alarment sur le risque validiste et eugéniste de cette loi, étant donné qu’un grand nombre de personnes atteintes de maladies graves et incurables sont porteuses de handicap et pourraient se voir proposer l’aider à mourir. Que répondez-vous à ça ?

Une chose simple : on ne se voit jamais proposer l’aide à mourir. C’est la personne qui demande. Ensuite elle rentre dans le cadre de la loi. Ensuite un médecin l’accompagne ou pas. Aucun pays au monde ne propose l’aide à mourir. Sébastien Peytavie, député écologiste et en situation de handicap, le dit fréquemment. Il n’est pas question qu’on se voit proposer l’aide à mourir simplement parce qu’on est porteur de handicap. Ce n’est pas du tout l’esprit du texte de loi. Ne commençons pas à travestir un texte qui n’est pas celui-ci.

Les craintes ne sont-elles pas légitimes avec l’accès à un nouveau droit d’ouvrir une boîte de Pandore, avec pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un choix de mourir légalement ?

Cette question de l’aide à mourir est très vieille. Déjà du temps des Grecs. Euthanasie vient du grec, qui veut dire “mort douce”. Aujourd’hui, vous avez des personnes qui partent en Suisse ou en Belgique et nous sommes incapables d’avancer car l’on se cache derrière différentes choses. Bien sûr qu’il faut se poser ces questions. Mais je n’aime pas le terme “boite de Pandore”. Il n’y a pas d’endroits où parce que vous êtes âgés vous pouvez demander une aide active à mourir. La vieillesse n’est pas une maladie, ni un naufrage.