Comme l’a rapporté Bastamag hier, la cour administrative d’appel de Paris a donné raison au collectif qui lutte pour la préservation des jardins des Vertus, à Aubervilliers, estimant que le plan d’urbanisme permettant leur destruction est « incohérent ». Retour sur une lutte emblématique pour l’accès à la terre, la défense des jardins ouvriers, contre les grand projets urbains imposés d’en haut.

En ce début de siècle, dans la grande métropole parisienne, véritable jungle urbaine, des vivants (humains, plantes et animaux) tentent de s’épanouir dans un environnement ultra dense, fait de pierre et de béton. Certains sont dépendants de leur travail, de l’argent et des entreprises pour se nourrir et se loger. Par milliers, ils se croisent dans les souterrains, ou les métros et RER filent à toute vitesse.

Aujourd’hui, on peut faire le constat que la ville n’est pas vraiment pensée par ses habitants, mais plutôt à leur place par des urbanistes, architectes et autres professionnels diplômés et souvent privilégiés. D’ailleurs, si les habitants ne sont pas d’accord, on ne les écoute pas, et la police viendra faire appliquer les décisions par la violence. Ici comme partout, c’est l’argent qui compte. La ville est pensée comme un marché, et non pour les êtres vivants qui l’habitent. Dans ce processus d’artificialisation, le foncier, les terres et les friches sont des produits financiers. La rente des loyers à Paris représente 30 milliards d’euros par ans (1). On crée des zones commerciales immenses et vides, de nouveaux bureaux et logements neufs, alors que tant d’autres restent inhabités, ou tombent en ruine.

L’accès à la terre se retrouve aujourd’hui au cœur des luttes politiques urbaines. Faut-il maintenant le penser comme un droit pour les citoyens ? L’histoire de l’occupation des jardins ouvriers d’Aubervilliers est représentative de ce problème qui touche toutes les grandes villes de France. Pendant six mois, ces jardins sont devenus Zone à défendre = Zone ouverte, écologique, féministe, queer, anti-autoritaire.

Un collectif s’est formé pour lutter contre deux projets concomitants, les Jeux olympiques et l’extension du métro dans le cadre du Grand Paris, menaçant les espaces verts du fort d’Aubervilliers et les jardins ouvriers. Ces projets vont conduire à une augmentation du prix des loyers et enrichir les promoteurs immobiliers, tout en détruisant les rares espaces verts d’une zone urbaine déjà très dense.

Concrètement, ce sont un solarium, une immense gare de métro/centre commercial et de nouveaux bureaux et logements qui s’étendront à la place des jardins. L’État, propriétaire du fort, vend en dépit de l’avis de la population du quartier. Une logique capitaliste de privatisation des espaces et de priorisation des profits incompatible avec la préservation de l’environnement, et le fait de rendre accessibles tous les espaces de nature.

« En fait, nous voulons créer une parcelle collective à l’intérieur des jardins, qui serait ouverte à tout le monde, pour que les habitants du quartier puissent venir se poser, cuisiner avec nous.  C’est très important de pouvoir ouvrir ces jardins sur le quartier », nous relate un.e membre du collectif des jardins des vertus (2). « Je travaillais la journée, donc j’y allais le soir. Et j’avais vraiment le sentiment d’entrer dans un univers parallèle. On était un collectif qui s’entendait plutôt bien, donc c’était vraiment un moment de détente. En période scolaire, il y a eu pas mal de classes de maternelle, primaire, collège et lycée qui sont venues visiter les jardins et planter des trucs avec nous. Et c’était assez drôle car ils n’arrêtaient pas de marcher sur les plantations qu’ils venaient de planter, il a fallu leur apprendre à cultiver. Des visites guidées tous les samedis matin ouvertes à tous, des moments de cuisine collective, des débats sur le projet des JO et autres thématiques, une cérémonie traditionnelle d’Amérique latine, et des projections de films, notamment sur les zapatistes vu qu’il y a toute une équipe du Chiapas qui est arrivée en Europe. »

Malgré l’expulsion, le collectif reste à Aubervilliers, avec la crainte que de nouvelles parcelles soient menacées pour la construction de bureaux et commerces. « Nous, ce qui nous fait peur, c’est qu’à chaque fois la puissance publique va démolir 10 parcelles. Il ne peut pas y avoir de gros mouvement de lutte parmi les jardiniers, parce que l’État fractionne la lutte en détruisant 10 parcelles par 10 parcelles. »

Cette gestion capitaliste autoritaire de la ville a provoqué un bal de bulldozers le jeudi 2 septembre 2021. Les Jardins à Défendre d’Aubervilliers ont simplement été rasés.

Une bataille juridique a eu lieu en parallèle. Il est déconcertant de voir l’utilisation hâtive et brouillonne qui a été faite de la violence à l’égard des militant.e.s, des communs, d’un jardin vieux de presque une centaine d’années, alors que le 20 septembre, le juge des référés a suspendu le permis de construire à la suite de vices de légalité. Les travaux d’excavations continuent, malgré la décision juridique non respectée. De plus que faire maintenant que le jardin n’est plus qu’une friche grillagée ? Détruire, faire disparaître, mourir, rendre la justice, puis oublier. Dans cet ordre, le leur, les choses sont claires.

Par la Grande Timonière, article tiré du Mouais #21, octobre 2021

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Citations :

(1) Idée et chiffres de Yvan Fouquet, architecte urbaniste, dans l’émission de France Culture, « Sous le radar », de Nora Hamadi,  le 18/09/21, « Les Jardins ouvriers d’Aubervilliers : quelle place pour la nature en ville ? »

(2) Entretien réalisé lors de la manifestation du 18 septembre 2021

L’article de Bastamag : https://basta.media/victoire-juridique-pour-la-preservation-des-jardins-ouvriers-d-aubervilliers-Jeux-Olympiques-2024?fbclid=IwAR2z0yODYUSfDpt_0CXk14we7pT9AB1vTIMd2_zvekApC4nMt68H7jJcC2Q

Photo : https://www.jardinsaubervilliers.fr/