Saïd, exilé somalien de 27 ans, a été retrouvé mort dans la mer à quelques kilomètres de Vintimille, le 4 juin 2023. Il avait fui son pays en raison de homosexualité, punie de mort en Somalie. Depuis 2013 et son arrivée à Lampedusa, Saïd, pris dans la tenaille administrative, juridique et policière, a fini par mourir dans la mer qu’il avait traversé pour arriver en Europe. Les circonstances ne sont pas encore connues. Mais ses arrestations et renvois vers l’Italie, alors que lui souhaitait s’établir en Allemagne, ont fini par le décourager. Récit d’une tranche de vie triste, symbolique du sort réservé aux migrants. Par Edwin Malboeuf

 

 

Tristesse et colère froide. Ce dimanche 11 juin, à 16h30, devant le poste-frontière Saint-Ludovic de Menton proche de la mer, côté italien, une quarantaine de personne s’est réunie pour rendre hommage à Saïd Mohamud Momin. Ce Somalien de 27 ans, exilé de chez lui car homosexuel, a été retrouvé mort le 4 juin à Bordighera, dans la mer. Les circonstances de son décès sont encore inconnues à ce jour, quoique la thèse de l’accident de noyade est envisagée. Parmi les personnes présentes, on trouve des militants no-borders, ses amis exilés, son cousin venu d’Angleterre, son ami venu d’Allemagne, avec qui il a logé pendant trois ans. Une de ses amies lit une lettre retraçant sa vie, et les yeux s’embuent de larmes. Des bougies et trois grandes photos de Saïd sont disposées sur le mausolée installé en février dernier, en hommage à toutes les personnes mortes à la frontière. Après quelques prises de paroles, notamment de son cousin, sa seule famille présente, le silence se fait pendant une dizaine de minutes. Derrière nous, le bruit de la file ininterrompue de voitures attendant de passer le bref contrôle policier, vérifiant uniquement la présence de personnes potentiellement clandestines dans les voitures, c’est-à-dire racisées.

Des photos en grand format de Saïd sont déposées devant le mausolée en hommage des exilés morts à la frontière. Des bougies sont allumés par ses proches. Crédit photo Edwin Malboeuf

Le lendemain, on rencontre Randy, venu depuis la banlieue de Stuttgart pour les funérailles de Saïd. Dans un café de Vintimille, près de la gare que les exilés connaissent bien puisque beaucoup y dorment aux alentours, Randy raconte la vie de son ami, de son amant, de son aimé. Saïd est originaire de Beledweyne ville moyenne proche de la frontière avec l’Ethiopie, au nord de la capitale Mogadiscio. Depuis quinze ans, les shebabs somaliens, des groupes de djihadistes armés, mènent une guérilla contre les autorités fédérales dans tout le pays, et notamment dans cette région. Orphelin dès 3 ans, Saïd quitte son pays en raison de son orientation sexuelle à l’âge de 16 ans. En Somalie, l’homosexualité est passible de la peine de mort. Son exil dure un an depuis son départ de sa terre natale. Il passe par l’Ethiopie, où il est emprisonné quelques mois, le Soudan, puis parvient à payer un passeur en Libye pour prendre la mer. Le bateau dysfonctionne et celui-ci est secouru par les autorités italiennes. « En 2013, il arrive à Lampedusa. Il a 17 ans. On lui prend ses empreintes digitales », poursuit Randy.

En 2014, on lui accorde le statut de « protection subsidiaire », sorte de sous-statut de réfugié. Il vit environ trois mois dans un centre de rétention à Ancona. En janvier 2015, il débarque en Allemagne et y demande l’asile pour la première fois. Celle-ci lui est refusée. Il tente des recours, qui lui sont de nouveau refusés, arguant qu’il bénéficie déjà d’un statut de protection en Italie. Néanmoins, on lui accorde des papiers « duldung », qui en allemand signifie « tolérance ». Un titre de séjour pour quelques mois. « Lorsqu’une personne bénéficie du statut de Duldung, il s’agit en réalité une “suspension temporaire de l’expulsion”. Le statut s’applique lorsqu’une demande d’asile est rejetée mais qu’une expulsion n’est pas possible, que ce soit pour des raisons humanitaires ou administratives. » (1), écrit le site InfoMigrants.

En novembre 2015, Saïd rencontre Randy en club gay. « On est tombé amoureux immédiatement, j’étais sous le choc ». En juin 2016, il est arrêté à Munich et va être renvoyé en Italie puisque les Accords de Dublin prévoit que la demande d’asile se fasse dans le premier pays européen par lequel vous êtes arrivés. Il parvient à passer un coup de téléphone à Randy, lequel prend sa voiture et roule jusqu’en Italie pour accueillir Saïd à l’aéroport et le ramène immédiatement en Allemagne. Souvent, Saïd fait des séjours en centre de rétention après des arrestations par la police, notamment par exemple pour absence de ticket de train lorsqu’il se déplace. Randy raconte qu’il est souvent tabassé par ses congénères de cellule, Somaliens pour certains, en raison de son homosexualité.

Saïd à gauche, et Randy à droite, son compagnon allemand. Crédit photo Randy.

Il a débuté une nouvelle vie en Allemagne, et c’est pourquoi il souhaite obtenir obtenir l’asile ici. Avec l’aide de Randy, il s’assure les services d’un avocat issu d’une ONG en faveur des droits des LGBTQIA+ afin de formuler une nouvelle demande d’asile. En proie à la peur permanente de se faire tuer pour ce qu’il est, et de la violence administrative et policière qu’il subit, il commence à boire. « Je veux juste être humain comme toi, pourquoi je ne peux pas être humain comme toi ? », répète-t-il souvent à Randy. « Je ne peux rien faire pour changer ça, mais je peux t’aider », lui répond-il. De son alcoolisme naissant résulte plusieurs amendes, récoltés ivres dans la rue. « [Angela] Merkel a ouvert les portes mais n’a rien fait pour accueillir les gens, déplore Randy. Il ne pouvait pas aller à l’école, pas travailler. » En effet, tant qu’il n’obtient pas l’asile, il ne peut être employé par quiconque.

En août 2017, l’Office allemand pour la migration lui signifie qu’il « ne peut être prouvé que l’homosexualité représente un danger mortel pour un Somalien gay en Italie », selon Randy. Il est de nouveau expulsé chez les voisins transalpins. Mais chaque fois, il revient, et chaque fois, il est emprisonné, que ce soit en centre de rétention avant d’être expulsé ou pour récidive, et d’amendes impayées. Durant tout ce temps Randy le soutient financièrement dit-il. Mais lui, musicien, doit aussi vivre de son côté. Saïd trouve alors un squat à Stuttgart ou à Karlsruhe. Une énième fois arrêté par la police, il passe une partie de l’année de 2022 au trou. Et est renvoyé pour la quatrième fois en Italie en avril 2023. C’est la dernière fois que Randy et Saïd se sont parlés.

Panneau à l’entrée de la ville juste après le poste-frontière, reprenant une expression du géographe anarchiste Elisée Reclus, qui aurait probablement quelque chose à dire de négatif sur Menton aujourd’hui. Heureuse d’accueillir les Blancs devrait préciser l’annonce.

Saïd connaissait bien cette frontière. Il avait décidé de ne plus se rendre en Allemagne, et souhaitait s’installer, forcé, en Italie. Il a eu un dernier rendez-vous le 26 mai 2023, pour obtenir un permis de séjour italien, à Imperia. Après des années de va-et-vient entre l’Italie et l’Allemagne et les frontières de ces pays européens, c’est à quelques kilomètres de Vintimille qu’il a trouvé la mort. Il y sera enterré, faute de moyens financiers pour rapatrier son corps en Somalie. « Je ne savais pas qu’il avait autant d’amis, confie son amoureux ému de voir tant de gens pour honorer sa mémoire. Combien de fois m’a-t-il dit si je reviens en Somalie, je me ferais tuer ? Malgré tout ce qu’il a enduré ici, l’Europe était tout de même sa maison ». Des circonstances encore floues autour de son décès sont à éclaircir, pour que, au moins, dans le repos éternel, on lui rende sa dignité.

Notes : (1) Benjamin Bathke, « Allemagne : décryptage de la réforme de l’asile pour les personnes ayant le statut de “Duldung” », InfoMigrants, 15 juillet 2022