Enfin. Ce lundi 20 novembre, après de très nombreux reports, le cas de nos journalistes accusés de diffamation par le politicien millionnaire se disant « écolo » Jean-Marc Governatori est enfin passé en audience sur le fond. Bref récit, par un Mačko présent et à la couverture, et à la barre, d’une trop longue journée, avant le délibéré fin février.

12h45

Seul de la rédac’ de Mouais disponible ce jour-là, avec les trois camarades ayant eu la gentillesse -elles et il ne savent certes pas encore l’interminable attente qui leur sera infligée-, nous prenons un allongé au café du coin, en face du Palais de Justice de Nice, avant l’audience à 13 heures. Étonné de ne pas voir note chère avocate, je l’appelle.

Dessin de Jeanne Colineau pour Mouais

13h30

Ce n’était donc pas 13 heures mais bien 13h30, ça commence bien. Je retrouve Me Damiano, qui regarde mes vêtements, et soupire : « Bon, après tout, je ne m’attendais pas à ce que tu sois en costume… » Moi qui pensais avoir mis ma plus belle chemise…

Notre ami millionnaire est déjà là, assis dans la mauvaise salle -la 3 plutôt que la 1, petite et déjà pleine, où nous apprenons que nous ne passerons pas avant 15 heures, 15h15. En effet, sera auparavant étudié un accident dramatique ayant coûté la vie à Yan, 5 ans, un réfugié ukrainien percuté sur la Promenade par une trottinette électrique.

14h30

Sur la plage avec la team. On regarde les mouettes en profitant du soleil. Il y a pire que de passer en procès à Nice, nous disons-nous. Au moins, la mer n’est pas loin.

Après un autre café en terrasse, nous retournons au tribunal.

15h30

Texto de mon avocate : « Ça sera plutôt 16h… » Après avoir swipé longuement sur l’appli de rencontre du camarade présent et refait son profil, nous apprenons que Lorie relance sa carrière et débattons sur son âge -42 ans donc, quasi comme je l’avais deviné. Comme le temps passe. Enfin, pas dans ce tribunal, où il a l’air pour ainsi dire suspendu.

«-Tu penses qu’on a le temps de sortir pour une cigarette ?

-C’est l’avocat de la famille qui plaide, donc oui. Après il y a encore la proc et la défense ».

Nous ressortons dehors pour profiter des derniers rayons de soleil et fumer une, puis deux, puis trois clopes.

Dessin de Jeanne Colineau pour Mouais

« -Ça en est où ? -Reprise à 17h30 ».

18 heures

Le conducteur de la trottinette, 46 ans, sans antécédents -mais le fait que le véhicule ait été trafiqué et son défaut d’assurance sont aggravants- est condamné à 3 ans de prison, dont un an ferme, une peine qui sera aménagée. Son traducteur lui explique sa peine -il parle chinois- tandis que celle de la famille fait de même -eux parlent tous ukrainiens et non français. Je comprends que l’audience ait été aussi longue… Tout le monde sort de la salle.

Dessin de Jeanne Colineau pour Mouais

Et, vers 18h30 passées, c’est enfin notre tour.

Je suis rappelé à la barre (entre-temps, pour faire plus sérieux, j’ai couvert ma chemise en laine à carreau d’un seyant pull à col roulé).

Le juge, apparemment très fatigué -et on le comprend-, résume l’histoire, ainsi que Mouais l’avait déjà fait. Puis c’est à mon tour de parler, et je rappelle notamment ma connaissance et mon respect, en tant que blogueur, journaliste et activiste, des bornes du débat démocratique, bornes que je ne pense pas ici avoir débordées.

Dessin de Jeanne Colineau pour Mouais

Me Damiano lira également le texte laissé par Edwin, deuxième inculpé, absent ce jour-là, où il rappelle notamment que l’audience du billet de blog commenté, « recommandé » (= « liké ») par 6 personnes et noyé dans les flux des -très- nombreux blogs Mediapart dès sa publication, était très limitée, pour ne pas dire confidentielle. Pas de quoi détruire une réputation. Et que nos remarques n’avaient pour but que d’éclairer le débat public, en signalant aux (rares, donc) lecteurices de ce texte des informations à nos yeux importantes.

Bon. A vrai dire, le délibéré ayant lieu fin février prochain et cette histoire nous ayant déjà pris beaucoup de temps, nous attendrons la fin de cette tout de même assez pathétique histoire pour dire tout ce que nous avons sur nos petits cœurs de chats noirs anars’.

Notons seulement l’attitude pour le moins étonnante de M. Governatori, qui depuis aura encore ajouté quelques lignes à son C.V. en finançant la campagne du complotiste antivacc’ Olivier Rohaut, alias Oliv’ Oliv’, en appelant à « bannir sur des îles françaises inhabitées » les multirécidivistes, en se présentant sans succès aux législatives de juin 2022 à … Brest, et en attribuant sa taule d’anthologie -2501 voix- au premier tour de la primaire écologiste, un score qu’il n’a toujours pas digéré, à un scrutin « truqué » par… un hacking des « grands laboratoires pharmaceutiques », mais oui, des accusations balayées par le tribunal judiciaire de Bobigny par ces termes : « La seule déception de M. Governatori relative au nombre de suffrages comptabilisés sur son nom […] ne saurait faire présumer l’existence d’irrégularités entachant le scrutin » (1).

Plusieurs fois de suite, il s’adressera directement à moi avec véhémence, et non au juge comme il se doit -celui-ci le reprendra donc-, me désignant de la main en m’appelant « l’individu », affirmant qu’il est scandaleux qu’une avocate défende des gens comme moi -à nouveau, le juge le reprendra sur cette remise en question d’une des bases fondamentales d’un État de droit-, se lamentant de la douleur qu’on lui a fait et du temps qu’on lui a fait perdre.

Dessin de Jeanne Colineau pour Mouais

Des trémolos dans la voix, il s’émeut du fait que cela soit selon lui un ami de son fils de 14 ans qui lui ait rapporté l’existence de ces commentaires, car c’est bien connu que les ados d’aujourd’hui sont tous adeptes des obscures notes de blog du tout aussi obscur Jean-Christophe Picard sur « Les phrases marquantes des personnalités politiques azuréennes ».

Il a également affirmé, suscitant une certaine stupeur dans la salle, que j’avais eu bien de la chance qu’il soit «gentil», et qu’il ait donc voulu régler ça dans un tribunal et pas autrement (et c’est effectivement bien aimable de sa part).

L’avocat préférera quant à lui (tout en me regardant également, s’entraînant lui aussi un rappel du juge) me décrire comme un envieux désireux de « détruire, par animosité personnelle », son client, qui, généreux et « paternaliste » (sic) n’aurait somme toute comme seul défaut que d’être riche -même si lui affirme le contraire (2)-, s’exclamant : « On n’aurait donc pas le droit d’être un brave homme parce qu’on est millionnaire ?»

Me Damiano, notre avocate, a quant à elle rappelé succinctement et -à mon humble avis- brillamment les bases de la liberté d’expression, du débat démocratique et du droit de la presse, et montré très calmement et simplement que les articles et décisions de justice sur lesquels nous fondons nos affirmations sont sourcés, vérifiés, vérifiables. Oui, M. Governatori a été condamné en dernier appel pour « dépôt frauduleux » de la marque Europe-Ecologie. Oui, c’est bel et bien lui qui venait parfois chercher, menaces à l’appui, les loyers des habitats insalubres que possédait son ex-femme. Etc. Elle pointera également les incohérences de l’accusation -M. Governatori et son avocat se contredisant parfois eux-mêmes.

Dessin de Jeanne Colineau pour Mouais

Bref. Si tout va bien ces piteuses aventures trouveront enfin leur conclusion fin février prochain. Et nous, nous avons enfin pu, un peu avant 20 heures, profiter d’une bonne bière en Happy Hour bien méritée au pub d’à côté.

Merci aux copaines venues ce jour-là (et bravo à David pour avoir su esquiver toute la journée d’attente en se pointant à 17h15, c’est bien joué).

On ne fait pas taire le chat qui miaule.

Par M.D.

Dessins : Jeanne Colineau.

(1) « Pour le tribunal, “le seul véritable dysfonctionnement invoqué par M. Governatori tient au défaut de fiabilité de l’organisation du scrutin par voie électronique.” Sur ce point, une responsable d’Europe Écologie – Les Verts, membre de l’association UPE 2022, semble apporter de l’eau à son moulin. Dans un article publié le 17 septembre 2021 dans Libération, elle concède avoir demandé au prestataire de “faire un tri pour voir s’il y avait des cas suspicieux.” Elle estime leur nombre à “une centaine, peut-être deux cents. À la fin, on arrivera sûrement à trois cents.” » Ce qui lui ferait donc au max 2501 voix + 300.

https://www.nicematin.com/politique/affaire-governatori-le-tribunal-ordonne-une-expertise-du-dispositif-de-vote-electronique-843372

(2) Il a déclaré… 0 euros de revenus à une audience précédente. « Tout part en pensions alimentaires ».