Si vous habitez Nice, vous y êtes peut être déjà passé boire un café et fureter dans ses rayons bien fournis. Sinon, vous en avez sans doute entendu parler lors de la visite de Darmanin en ville, visite qui avait vu la police censurer sa vitrine où étaient affichés des collages féministes. Rencontre avec les lutteuses de la Librairie Les Parleuses.

Nous retrouvons Maud, qui co-gère les lieux avec Anouk, à la terrasse de cette librairie sise à l’angle d’un parc non loin du musée d’art contemporain de Nice. Juste en face d’un ancien hôpital voué à devenir un super-commissariat à 200 millions d’euros -ce qui a été la cause de leurs récents déboires. « Nous sommes nées il y 4 ans, mi-septembre 2018, nous dit Maud en tirant sur sa vapote. L’idée que ce soit féministe a été une construction, avec nos lectures, ce qu’on recevait comme livres. C’est encore en construction. C’est forcément féministe parce que c’est nous, que nous sommes deux femmes, en couple, et on voit bien qu’on fait face à des choses particulières en tant que telles. On entend encore « où est le patron ? »… Mais en ayant une librairie, on a une visibilité très importante sur ce qui se fait en matière de livres, donc ça étend notre connaissance féministe, on peut creuser. Et ça te permet aussi de sortir de ta zone de confort, on a souvent des surprises géniales ». Nous demandons à Maud s’il y a des livres qu’elles ne vendent jamais : du Philippe de Villiers, du Macron, du Zemmour… Elle répond aussitôt : « Tout à fait. Jamais. Et pourtant on nous en a demandé, du Zemmour (rires). Et pour Bastien Vivès, par exemple, avant la polémique d’Angoulême, on avait vu quelques trucs, puis on s’est dit c’était pas possible, on a tout enlevé. Il faut faire des choix en fonction de ce qui nous heurte ou pas. On n’a pas forcément envie de promouvoir certains trucs ».

Dans le public qui fréquente les lieux, selon elle, « il y a de tout. Beaucoup de gens du quartier, qui ne sont pas forcément de gauche. Il y a un gros brassage de population. Et beaucoup sont venus nous soutenir quand il y a eu l’affaire avec Darmanin. Des gens du quartier passent nous voir car ils et elles nous connaissent, pour parler bouquins avec nous. Ils demandent des conseils de lecture, ce qu’on a lu, aimé…». Ce qui permet à la librairie de se porter plus ou moins bien : « L’équilibre se fait parce qu’on vend à boire et des livres, mais la librairie est le commerce le moins rentable de France… C’est toujours un peu précaire. Pour le moment ça va, on n’est pas en danger, mais on ne connaît pas l’avenir, ça peut toujours basculer. Cependant, les gens aiment quand même toujours profondément toujours les livres. Et ils aiment les endroits où ils se sentent bien. Mais tout ça nous demande beaucoup d’énergie, donc même si on se re-mobilise avec plein de projets, on passe quand même par des moments difficiles ».

Parmi ces projets, il y a les débats qu’elles organisent régulièrement dans la libraires, avec des autrices et auteurs varié.e.s. Sans compter, bien sûr, les rencontres avec les personnes fréquentant les lieux : « Je me rappelle d’une femme qui ne lisait pas, et qui a commencé à venir souvent et lire plein de bouquins. Son fils est homosexuel, et elle se cultivait sur les sujets LGBT. Elle nous dit que cet endroit a changé sa vie, qu’elle s’y sent bien, et qu’elle peut réfléchir à plein de choses avec nous. Rien que pour ça, notre aventure est magique ». Même si les expériences négatives, elles en ont eu aussi : « Un groupe de masculinistes identitaires nous a bien cassé les pieds, un temps. Et là par exemple, tous les samedis matins, on a des autocollants de l’Action Française sur la porte. Bon, sinon au quotidien c’est peinard, à part la gestion de bar, un mec bourré, ça arrive… »

Vient le moment de revenir sur cette sombre affaire qui les confrontées, bien malgré elles, un vendredi 9 décembre au matin, au ministre de l’intérieur et à sa police. « Le mardi précédent, Hélène Devynck vient pour parler de son livre Impunité. On passe la soirée à parler de ces femmes qui dénoncent et ne sont pas crues, et des mecs qui vivent en toute impunité. Trois jours plus tard, on apprend que Darmanin va venir juste à côté des Parleuses, et on se dit qu’on ne peut pas avoir une soirée comme ça et ne rien faire. On rencontre l’équipe des Colleuses, et on se met d’accord pour se retrouver le matin et coller des slogans sur les vitrines. A 8h, les flics arrivent mais personne ne voit rien. On se retrouve ensuite et on se rend compte que des flics ont arraché les collages, et pour ceux collés à l’intérieur, un camion de la métropole arrive à toute vitesse pour construire des barrières toutes en noir pour recouvrir les collages. Contrôle d’identité, le premier flic nous dit « j’applique les ordres », un deuxième, re-contrôle d’identité au passage, qui nous dit « vous savez, la frontière entre la légalité et l’illégalité… ». On leur explique notre point de vue, mais en gros « tant que le ministre est là », on ne bougeait pas. Nous sommes restées très calmes, c’est pour ça que ça s’est bien passé. Les flics finissent par s’en aller, on a pu reprendre notre activité, et les collages sont restés tout le week-end ».

Les suites qu’elles vont donner à l’affaire ? « On a déposé une requête auprès du tribunal administratif pour faire reconnaître l’illégalité de ce qui s’est passé, Hélène Devynck est co-requérante avec nous. On se base sur trois points : atteinte à la liberté d’expression, à la liberté de commerce, et détournement de pouvoir, car ils ont utilisé les forces de l’ordre pour quelque chose qui n’est pas de leur domaine. Il y a aura une audience vers fin février, début mars ». Tandis que nos journalistes finissent leurs bières, Maud conclut : « Sur le moment ça nous a fait rire de voir les flics s’affairer sous la pluie, mais après on trouvait ça nettement moins drôle. On est dans l’abus de pouvoir, et ça fait peur ».

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Par Tia Pantaï et Macko Dràgàn

Un article tiré du Mouais #36, et mis en accès livre, mais SOUTENEZ-NOUS par pitié, ABONNEZ-VOUS : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais