« Salut à toi, jeune entrepreneur ! » Suite à la tribune lancée par 150 d’entre eux, dont Dr Nozman et maintenant Squeezie se sont désolidarisés, on parle beaucoup du business des influenceurs ces derniers jours. Il faut bien dire que, loin de la « dérive d’une minorité », se cache derrière tout ça un monde fait d’arnaque au solde CPF, de système pyramidal, de «drop shipping», qui essore les naïfs et les précaires. Petite balade dans cet univers impitoyable, en compagnie de Clément Bérut, aka Babor, fin connaisseur de ces problématiques.

Par Mačko Dràgàn

« On donne l’espoir aux personnes qui rejoignent ces pyramides de récupérer de l’argent et d’obtenir un gain en participant financièrement. En réalité, ce n’est jamais le cas. On est face à un système frauduleux qui cherche à attirer le plus de participants possible pour se servir au passage », affirme Jean Tschopp, responsable de la Fédération romande des consommateurs, dans la série d’enquête titrée « l’Arnaque, elle est vite répandue » (1) que le journal Les Jours a consacré sur le business frauduleux des formations au trading en ligne, « un univers parallèle qui tient à la fois de l’arnaque et de la secte ». Comment fonctionnent ces boîtes douteuses ? Sur la base d’un système de vente illégal dit « pyramidal » ou « à la boule de neige » (et « de Ponzi » si c’est dans le domaine financier), qui consiste à se faire de la moula non pas grâce à la vente elle-même, qui n’est qu’un prétexte, mais grâce à des adhésions payantes (commissions, achat de « kits de recrutement »…). Le principe est simple : les nouvelles recrues, en bas de la pyramide, financent ceux, peu nombreux, qui se trouvent en haut, et si la chair à canon du bas ne parvient pas à faire venir de nouvelles recrue, tout s’effondre. Des montages qui peuvent rapporter des milliards, quoique finissant néanmoins bien souvent dans le collimateur de la Justice -étant interdits par l’article L121-15 du Code de la consommation.

Mais il existe des cas de « pyramides », plus floues, voire légales, telles le MLM, que nous aborderons un peu plus loin, et celles pratiquée par David Michigan, un personnage aussi musclé que fascinant qu’il me convient de vous présenter, et qui est symptomatique de tout ce qui ne va pas sur le net. Culte de la personnalité viriliste et des physiques bodybuildés, mégalomanie prétentieuse, pensée managériale 2.0 bêtifiante vendue comme secret du bonheur sur terre, prédation capitaliste sur le dos des plus fragiles et des plus naïfs, sur fond d’exhibition indécente, sur les réseaux sociaux, d’un rythme de vie mondialisé ultra-consumériste à base de jet, de piscines, de costards et de grosse voitures, le tout sur la base d’une gigantesque escroquerie : l’étude de ce cas a beaucoup à nous apprendre sur le monde dans lequel nous vivons -ou plutôt, sur le monde dans lequel certains aimeraient nous faire vivre.

Mais qui est David Michigan ?

David Michigan (c’est son vrai nom), barbu ultra-stock au corps tatoué, se présente sur son site comme « entrepreneur, acteur et PDG de la Michigan Academy », et, s’il y a de fortes chances que vous n’ayez jamais entendu parler de lui, sachez pourtant que, toujours selon son site, « plus de 10 millions de personnes le suivent sur les réseaux sociaux », et notamment sur Instagram, où il s’enorgueillit aujourd’hui de compter pas moins de… 19,3 millions d’abonnés, rien que ça. A titre de comparaison, les personnalités françaises les plus suivies à l’été 2022 étaient Squeezie (7,9 millions d’abonnés), Norman (6 millions -mais sans doute moins depuis quelques semaines), Cyprien (6 millions) et EnjoyPhoenix (5,7 millions) -des gens dont à peu près tout le monde a entendu parler, donc. Mais ce Michigan inconnu au bataillon les rétame, dépassant par exemple au passage l’acteur Timothée Chalamet (qui tient le rôle principal dans Dune) ou encore le footballeur N’Golo Kanté (champion du monde).

Inutile de faire durer le suspens bien longtemps : malgré le fait que la presse mondiale s’intéresse au bonhomme, comme le proclame toujours son site, couvertures de Fortune et Forbes à l’appui, enfin du moins les versions India de Fortune et Forbes, dans lesquelles il suffit de payer quelques centaines de dollars (ou quelques milliers de roupies) pour figurer, ces followers sont sans peu de doute possible pour la plupart des faux, achetés auprès d’une entreprise spécialisée dans le domaine. Et l’homme qui a révélé cette vérité au grand jour est le youtubeur Clément Bérut, aka Babor Lelefan, ce qui lui a valu divers procès de la part de la version Wish d’Aquaman, procès qu’il a récemment remporté (2), ainsi que diverses tentatives d’intimidation, notamment un étrange « hacking » de ses comptes. Car on ne met pas impunément son nez dans les affaires d’un businessman qui, rapporte le journal Sud-Ouest (04/03/21), « vend de tout. Des produits dématérialisés et mal définis. Des packs de formation à l’infini, à « 100 000 clients dans le monde ». Il révèle des « secrets » en cascade moyennant 500 euros la « master class » : stratégie digitale, musculation, nutrition, mentalisme, psychologie… Sans oublier de facturer 300 euros le passage dans sa story à ceux qui le demanderaient ». Une story où vous ne serez vu que par des robots (3)

Un enquêteur vidéaste dans les arcanes des internets

Le 11 novembre dernier (4), dans la grisaille et le froid de Ménilmontant, je retrouve Babor à la terrasse d’un café. Ayant « percé » notamment grâce à une vidéo où il soutenait que le très droitier Henry de Lesquen était un « fake » (« Il y a encore des gens qui y croient (rires) »), il travaille en ce moment, me dit-il, sur « l’hypnose régressive », avec des personnes affirmant par exemple pouvoir se connecter sur des bases en Antarctique pour savoir tout ce qu’il s’y passe. Car en effet, depuis cinq ans, il réalise des « enquêtes » sur des sujets variés, allant du Christ cosmique à Mickaël Vendetta, et qui ont fini par le mener sur la piste des escrocs du web, au travers d’une première vidéo consacrée à « une société qui s’appelle « It Works », qui est vraiment LE modèle de MLM, qui reste légal, mais qui je trouve soulève pas mal de problèmes ». Le MLM (pour « marketing multi-niveaux »), quézako ? Venu des États-Unis, ce procédé de vente de produits divers (généralement le genre de machins qu’on voit dans les émissions de téléachat : trucs diététiques, amincissants, ustensiles de cuisine…) repose sur le fait, comme dans un système pyramidal, de générer plus de profits avec le recrutement de nouveaux vendeurs qu’avec la vente des produits eux-mêmes. Dans le cas de « It Works » comme dans beaucoup d’autres, le vendeur (plus souvent une vendeuse) paye (moyennant une « promotion » destinée à l’appâter) un « kit de démarrage » composé d’une gamme de produits, après quoi son « travail », en plus de vendre des produits prétendument amincissants n’amincissent rien du tout, c’est de recruter d’autres vendeurs afin de pouvoir gagner des grades et monter dans la pyramide. Pour passer au deuxième niveau, il faut convaincre deux personnes de rejoindre l’entreprise, qui doivent elles-mêmes obligatoirement recruter d’autres personnes. Une activé de recrutement terriblement chronophage, rapportant un revenu moyen, dans le cas des vendeuses (le plupart sont des femmes) « It Works », de… 189 dollars. « Je ne comprends même pas que ça soit autorisé… »

Un business plutôt sordide donc, mais hélas tristement légal, quoique l’on se demande ce qui différencie réellement ce procédé d’un schéma de vente pyramidal, quant à lui, répétons-le, rigoureusement interdit. Car la technique fait de nombreuses victimes, nous y reviendrons. Mais Clément ne s’est pas arrêté là : « Ensuite, j’ai fait une vidéo sur un autre business internet, celui des « infopreneurs », tous ces mecs qui te disent « tu vas devenir riche et gagner 5000 euros par mois sans rien faire », des revenus passifs, quoi. » Des infopreneurs, vous en avez forcément vu passer ici ou là sur vos réseaux, notamment via des liens sponsorisés sur Facebook ou dans une publicité Youtube. Il s’agit de ces jeunes gus à l’allure bien de droite qui, aux côté d’un bolide de location, vous font miroiter leur recette pour brasser de l’argent facile et afficher comme eux une réussite insolente, à laquelle vous accéderez vous aussi grâce à leurs formations en ligne, leur coaching plus ou moins personnalisé ou leurs E-books, le tout bien entendu payant quelques centaines, voire milliers d’euros pour le « pack » complet. Souvent une arnaque. « Je comprends qu’il y ait des gens naïfs qui tombent dans le panneau, dit, Clément, mais moi je les trouve tous à baffer, avec leurs Ferrari et leurs villas à Dubaï pour pas payer d’impôts… »

Capture d’écran d’une des vidéos de Babor

Et c’est alors, en fouillant dans cette mare aux requins, qu’il finit par tomber sur David Michigan, auquel il consacre une première vidéo en février 2021. « Au début, c’est juste le sujet « achat d’abonnés » qui m’a intéressé ». Il faut dire que le thème est passionnant, mais un peu tabou : «  je me suis rendu compte que personne n’en avait parlé avant ». Alors même que Michigan n’est sans aucun doute pas le seul concerné. « Beaucoup en achètent, que ça soit des footballeurs -mais de base ils en ont beaucoup, genre 20 millions, donc quand ils en achètent 5 millions de plus pour faire augmenter le prix de leur sponso, ça ne se voit pas. Et on sait que beaucoup d’influenceurs s’achètent des likes, des abonnés… Mais lui, c’est vraiment le seul qui a osé faire un truc aussi voyant ». Quitte à le faire avec maladresse, comme l’indique une mésaventure parvenue au cours de cette enquête. Alors que j’allais jeter à nouveau un œil à la chaîne Youtube de Michigan qui, lors de mon entretien avec Babor, malgré ses plus de 100 000 abonnés, plafonnait en général à moins de 1000 vues par vidéo, quelle ne fut ma surprise de constater que bon nombre étaient passées entre-temps à plus de 10 000. Un passage rapide sur un site (socialbalde.com) permettant d’accéder aux statistiques des chaînes Youtube de son choix me fait comprendre qu’il a mis la main au portefeuille, avec notamment deux pics à plus de 19 000 vues apparaissant soudainement dans ses stat’ les 2 et 5 décembre, sans raisons particulières.

« Tu sais que c’est cher, hein !, précise Clément. Bon, il le fait progressivement ; le gars qui a une boite de vente de ça à qui j’en avait parlé avait estimé ça à à peu près 150 000 euros, mais c’est probablement beaucoup plus maintenant », sachant qu’il faut sans cesse renouveler des « bots » que les algorithmes, à la recherche des faux profils qui pullulent sur ces réseaux (on estime que, sans même en acheter, n’importe quel compte contient en moyenne de 5 à 8 % de faux followers, et jusqu’à 30 % pour les comptes les plus suivis), « ce qui fait qu’il peut perdre jusqu’à 30 000 « abonnés » en une fois. » « C’est un cercle vicieux. Je ne sais pas qui est son fournisseur, et à son stade il doit avoir des tarifs de gros, mais quand même, ça a dû lui coûter très cher, je dirais entre 200 et 250 000 euros ». Et tout ça, donc, lui a permis, sur la base d’une fausse visibilité, de commencer à faire exister cette fausse notoriété dans le monde réel, avec par exemple des rôles dans des films de seconde zone (alors qu’auparavant il se disait « acteur » sans manifestement que cela soit vrai). « Bon, il faut bien reconnaître qu’il a une gueule, et ça me choquerait pas de le voir dans un film de viking, ou de zombie, puisque il semble qu’il va tourner dans un truc comme ça… » Mais pour le reste, il y a beaucoup à redire, tant les coulisses de la « Michigan académie », comme celles de tant d’autres « influenceurs » fake ou véritables, nous donnent à voir un monde fait d’arnaques, de manipulation, de mensonge et de prédation.

Les marlous du CPF

« Comme il m’a fait un procès, j’ai voulu aller plus loin et fouiner sur le côté infopreneur, que je n’avais pas forcément capté plus que ça initialement. J’ai mis les mains dans le cambouis de son business quand il m’a attaqué, pour lui montrer que plus il me faisait chier, plus je pouvais répondre… » Ce qui a fini par l’une des principales escroquerie sur lesquelles reposent l’empire de Michigan et de bien d’autres : l’arnaque au compte personnel de formation (CPF). Un autre youtubeur, ami de Babor, nommé Sylvqin, y a consacré une vidéo  : « CPF : Arnaques, harcèlement téléphonique… et zone grise – Enquête ». En quoi consiste cette arnaque à laquelle nous sommes tous exposés quotidiennement (au moment même où je rédigeais ces lignes, un numéro inconnu m’a appelé et un monsieur à l’accent à couper au couteau m’a demandé où j’en étais de mon CPF) ? Le crédit CPF c’est, pour toute personne travaillant, 500 euros tombant dans la cagnotte pour chaque année travaillée ; cagnotte plafonnée généralement à 5000 euros, et destinée à se former, donc, auprès d’instituts agréés, tout ceci sous la supervision d’une institution financière publique, la Caisse des dépôts. Problème : ces dizaines de milliards d’euros, souvent inutilisés, ont inévitablement attiré de nombreuses convoitises -et c’est précisément pour ça que des hordes de sous-traitants ont été diligentés pour vous harceler au téléphoner afin de vous faire cracher votre précieux crédit CPF au bénéfice de « formations » souvent bidon.

Capture d’écran de la vidéo de Sylvqin sur le solde CPF

« La faille du système, m’explique Clément, c’est qu’ils ne sont pas assez regardant sur les formations qu’ils rémunèrent, et par exemple il y a une catégorie un peu fourre-tout nommée « création d’entreprise ». Tous les entrepreneurs s’y mettent en disant « je vais vous apprendre à créer une entreprise », et derrière c’est du coaching, etc. Michigan a réussi à choper son numéro SIRET pour bénéficier du fonds CPF, mais derrière, ce qu’il apprend, c’est le « closing » [de « close », « fermer » -une vente- ; désigne les méthodes pour conclure des ventes], et c’est comme ça qu’il recrute. Il demande au gens 2000 balles pour prétendument les aider à créer leur entreprise et les former à la vente, et derrière ça devient ses vendeurs personnels. Donc dans tous les cas il touche 2000 balles du CPF ou de leur carte bleue, et pour se rembourser, les recrues sont « libre » de se mettre à vendre eux-même, pour Michigan, la formation qu’ils ont acheté, en touchant des commissions ». Il ne sont pas obligés : c’est donc « légal ». « Mais c’est de l’abus de CPF dans tous les cas, car ce ne sont pas de vraies formations », plutôt du recrutement sauvage financé par de l’argent issu des cotisations sociales (auquel s’ajoutent diverses fantaisies : (« hypnose, développement personnel, bien-être, coaching en séduction, il y a de tout, son site c’est la poubelle d’internet », dit Clément). Et qui a donné lieu au montage d’une sorte de « pyramide à deux étages » : au 1er étage David et son associé Mathias, et au deuxième étage tous les « closers », qui leur donnent 50 % de ce qu’ils génèrent.

Michigan n’est pas le seul à recourir à ce genre de procédés douteux ; et de nombreuses enquêtes récentes, aidées par un coup de gueule de Booba (mais oui), ont montré que le milieu des « influenceurs » du web étaient gangrené par ce type de dérives. « C’est un écosystème dangereux », m’affirme ainsi Clément, me donnant pour exemple supplémentaire celui du « drop-shipping », « qui est pour moi un business très malsain », consistant à « acheter des produits en gros sur Ali express, des trucs qui se vendent normalement deux euros, et les revendre sur un beau site pour 200 euros, via des influenceurs souvent de seconde zone ». C’est légal, mais c’est une arnaque. « Souvent, quand ces gens disent qu’ils vont t’apprendre -moyennant un pompage du solde CPF- à faire du business et de l’argent facile, ils vont t’apprendre à faire du drop-shipping ». Et contribuer ainsi, soutenu par de l’argent public, à répandre des produits de très mauvaise qualité, voire carrément dangereux : un certain Dylan Thierry, qui compte 1,6 million de followers sur Instagram, a ainsi « fait la promotion de pilules de vitamine qui détruiraient les cellules cancéreuses… Évidemment ça a été debunké, mais c’est grave ».

Des victimes souvent naïves, précaires, isolées, fragiles

« Malgré leur vitrine, les groupes pyramidaux ne forment pas au trading : ils piègent des étudiants ambitieux et précaires pour qu’ils recrutent à leur tour », peut-on lire dans l’article des Jours cité plus haut, et qui nous présente entre autres le cas d’un jeune homme, et de la « galère » sans nom qu’il a vécu en tombant dans les griffes de ces escrocs : « En même temps, c’était la période idéale pour m’avoir : je venais de rompre, ma mère était à l’étranger, j’étais dans une situation assez précaire… » Il a donc sombré dans la combine que lui faisaient miroiter les vendeurs de rêve et de « easy money ».

Car derrière cette façade de réussite incroyable et de vie de dingue à portée de main pour tous et toutes, il y a la réalité : des vies brisées, des victimes ne pouvant plus faire machine arrière une fois s’étant engagées à payer pour des formations bidon, comme celles de ces nombreuses personnes dont Clément a reçu les témoignages suite à son enquête, et dont il rapporte une partie dans sa deuxième vidéo consacrée au procès. Notamment une jeune fille de 18 ans et quelques mois à peine, qui n’avait même pas encore son bac, et qui lui a envoyé message suivant : « Je suis en totale panique. J’essaye de rester calme mais j’ai énormément de mal. [Michigan et Mathias] ont de bons avocats et des huissiers, je vais être incapable de faire face à ça, sachant que je n’ai pas les mêmes moyens. Je suis dans une association pour jeunes majeurs (en contrat jeune majeur) et je me dit que s’ils apprennent ça, ils ne voudront plus me garder dans leur association, et je serai à la rue. Donc je pense que je vais essayer de trouver du travail pendant mes jours de repos et demander de l’argent à mes frères pour payer tous les mois ».

« C’est horrible, soupire Clément. Ils n’ont aucune humanité. Elle leur a écrit pour leur expliquer sa situation, ils n’ont rien voulu savoir : c’est menace d’entreprises de recouvrement, comme toujours, que ça soit pour une gamine de 18 ans qui est encore au lycée ou pour n’importe qui d’autre, ils s’en foutent. C’est des roublards. Ils ne sont là que pour le fric, le fric, le fric, -et les beaux discours. » Beaux discours au service d’un système fait pour broyer plein de petites mains naïves un peu partout dans le monde, au bénéfice de quelques uns. « Les trois quarts des gens qui sont dans leur « académie », c’est bien sûr un bien grand mot, ce sont des mères célibataires qui pensent pouvoir se faire un complément de revenus et qui se font douiller ». « Il n’y a que Michigan et son pote qui se mettent bien, poursuit Clément, et en dessous c’est compliqué, à moins vraiment d’être prêt à arnaquer énormément de gens, ce qui est du reste le cas de certains closers que j’avais contacté sous fausse identité et qui, à peine j’avais liké un truc, débarquaient dans les 5 minutes en message privé pour me parler de la formation ». De quoi frôler dangereusement les dérives sectaires, d’autant que les personnes visées souvent précaires, isolées… influençables. « Ils vont te faire miroiter des sommes qui, quand tu es étudiante en galère, c’est pas rien. C’est aussi un problème d’éducation ; si tu es mal informé, si tu es naïf, c’est catastrophique, ces business. Et j’ai bien constaté que ces gens-là n’avaient vraiment aucun scrupule. Tu leur dis que tu n’as pas d’argent, ils vont te dire : « Justement ! ça va te permettre d’en faire. Tu investis 2 000, et derrière, tu te fais 16 000 », tu vois. Et quand tu vois la formation de base, qui ne t’apprend rien sur rien, à part à spammer tes proches sur Facebook pour tenter de gratter un peu d’argent… ils ont vraiment pas d’âme, c’est scandaleux ».

Problème, les margoulins du CPF sont nombreux. « Sur le site officiel, en « création d’entreprise », tu as 8 000 offres, c’est improbable… Et le problème, c’est que c’est NOTRE pognon, nos cotisations. Le CPF c’est bien, c’est noble, tu peux payer ton permis avec, c’est chouette. Et moi, de savoir que Michigan se paye sa « vie de rêve », entre guillemets, avec cet argent-là. » « Vie de rêve » que, pour attirer d’autres victimes, il fait miroiter sur ses réseaux, notamment sur son TikTok, où il se met lui-même en scène dans un show quotidien grotesque comme un indécent millionnaire ne parlant que de fric et de cul, surtout de cul (se permettant notamment au passage de dire que le meilleur moyen de ne pas choper de MST est… d’uriner et de se laver le sexe après le rapport. La vidéo a depuis été signalée, et retirée).

Mais il y a peut-être un espoir de mieux dans un futur plus ou moins proche. Dans l’enquête de Sylvqin, un inspecteur CPF, Laurent Durain, de la Caisse des dépôts, affirme que l’État est en train de mettre son nez là-dedans, car il constate qu’ils se sont fait couillonner des millions d’euros, qu’il vont donc siffler la fin de la récré, et que la plupart de ces mecs vont mal finir (à partir de 28.30 dans la vidéo), avec recouvrement des sommes versées, blocage des versements en cours, « ça picote sévère », « on en a déjà dé-référencé 200 », sans même parler des actions potentielles en justice. « C’est un peu ce que je souhaite, me dit Clément. Michigan, je lui souhaite évidemment pas d’aller en prison, mais au moins de se faire taper sur les doigts ».

Des empires voués à s’effondrer ?

Car la question se pose : combien de temps peuvent réellement durer ce genre de combines ? « Je suis curieux de voir ce que Michigan va devenir, conclut Clément en sirotant son jus de fruit. Je pense que l’étau va se resserrer sur lui fiscalement, financièrement… Il a perdu son associé, Mathias, qui clairement était le cerveau du duo, donc je ne sais pas comment il va rebondir. Il a perdu tous ces procès contre moi. Et il est en train de perdre de l’argent. Avec son système d’affiliation pyramidal, plein de gens n’ont pas été payés. Le CPF a lancé des enquêtes, une partie des sommes versées à des instituts douteux ont été gelées, et il n’a donc pas pu payer les gens qui lui avaient ramené de l’argent ; il doit des commissions à pas mal de gens. Donc oui, il s’est acheté une grande villa en Argentine, il vit la « fast life » avec des bombas latinas, mais voilà : je sais qu’il a eu un problème avec le fisc, il a potentiellement l’État/le CPF au cul, et je ne pense pas qu’il pourra tenir longtemps le mode de vie auquel il s’est habitué ».

Conclusion : « Quand tu arnaques des gens ça peut pas durer, ça se retourne forcément contre toi. Ces empires sont éphémères. Et la solution pour qu’ils le soient encore plus, c’est une meilleure éducation du grand public. Les parents de maintenant n’y connaissent que dalle, mais les nouveaux parents, les gens d’aujourd’hui, qui auront grandi avec internet, seront plus lucides avec tout ce qui est arnaque, fake news.… Je suis persuadé qu’il y aura du mieux ». Et d’ajouter, en bon fils d’institutrice qu’il est, tout comme moi : « L’éducation nationale va bouger aussi, même si elle a toujours un petit train de retard (rires) ».

La spirale du silence et de la peur commence ainsi tout doucement à se briser, face des boîtes qui n’hésitent pas à utiliser diverses méthodes d’intimidation, du mail agressif au procès en passant, comme signalé en début d’article, par le hacking, ainsi que Clément a eu à en faire les frais il y a quelques mois. « Je ne peux évidemment pas le prouver, mais… J’ai été hacké, et il s’agit sans doute de Michigan. Il a réussi à hacker mon compte Gmail, relié à ma chaîne Youtube. J’ai failli perdre 10 ans de travail. J’ai reçu les témoignages d’autres personnes, en butte avec lui, qui ont de leur côté perdu définitivement tout accès à leur Instagram ». Comment est-ce possible ? « Sur le net, si tu as de la thune, tu peux tout faire. Hacking, achat d’abonné, certif’… Bon, Michigan doit avoir de bons contact à Instagram, je pense qu’il y a de la corruption de ce côté-là, je n’hésite pas à le dire, je balance (rires) ».

Pour contrer ces escrocs, Clément envisage la possibilité d’une « class action » des victimes de ce système, une sorte de syndicat des arnaqués. « Sauf qu’il s’agit souvent de gens fragiles, précaires. Si tu as de la thune, tu n’as pas besoin d’entrer dans ce genre de trucs. Et faire un procès quand on s’est fait douiller 2 000 euros, c’est compliqué, tu risques d’avoir plus à perdre, donc souvent, tu préfères te dire tant pis, et laisser tomber… » Reste la solution la plus simple, si un jour vous vous retrouvez exposé à ce genre d’arnaques : arrêter de payer. « Ça ne va jamais au bout, dans les relances et menaces de recouvrement… Il vaut mieux jouer la montre. Comme ils n’ont pas le cul propre, s’ils vont au bout du bout, ça peut se retourner contre eux ».

Une enquête de Mačko Dràgàn

Article paru en deux parties dans les n°35 & 36 de Mouais, soutenez-nous, abonnez-vous ! C’est par ici : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais

(1) Les Jours, « L’arnaque, elle est vite répandue », Marjolaine Koch et Timothée de Rauglaudre, illustré par la talentueuse Marine Joumard (qui a également illustré une de mes enquêtes pour Streetpress, quelle fierté).

(2) Voir les trois vidéos qu’il a consacré à cette saga judiciaire sur sa chaine Youtube @baborlelefan : « Je vous raconte mon procès contre David Michigan », partie 1, 2 et 3

(3) Et sur Twitter, pourtant « suivi » par plus de 60 000 personnes, ses posts récoltent généralement de 0 à 3 ou 4 likes. Même moi je fais généralement plus avec mes 1.140 followers

(4) Car pour Mouais je ne recule devant rien, pas même à travailler un jour férié