Parentalité positive késaco ? C’est souvent un domaine que l’on questionne peu et pourtant le foyer familial n’est pas imperméable au reste de la société et sa logique autoritaire. Débat entre deux membres de la rédaction (toutes deux mères par ailleurs), Julie, psychologue, travaillant majoritairement avec des enfants et adolescents, et Ariane, éducatrice de jeunes enfants. On y discute des approches différentes de la parentalité positive et de ses potentielles dérives, de l’apport de la psychanalyse et de la psychiatrie, du fameux mensonge du père Noël, de la difficulté de la bienveillance à l’adolescence et d’une mise en situation avec de la drogue trouvée dans la chambre de l’enfant. Entretien mené et retranscrit par Edwin Malboeuf. Paru dans le Mouais#33 en version courte.

 

Edwin : Bon on est d’accord sur le fait de ne pas frapper ses enfants. 

Ariane : L’idée c’est de faire un débat autour de ce qu’on appelle la parentalité positive ou parentalité bienveillante. On parle toujours de la domination sur les questions de sexisme, de racisme etc, mais on ne parle jamais de la domination adulte. Alors que je pense que tout part de là. On est élevé à obéir. Pour moi la parentalité positive, c’est aborder la parentalité différemment sans voir l’enfant comme quelqu’un qui crie, qui fait des bêtises, à sanctionner, mais comme quelqu’un qui grandit, évolue, par le prisme du jeu. C’est une conception générale avec le moins de domination possible : pas de violence physique, pas d’humiliation, pas de punition. Maintes études ont prouvé que tout cela ne marchait pas.

Edwin : Comment se passe la résolution de conflits, ou tout simplement les tâches à effectuer (se laver, aller se coucher, les devoirs) dans le cadre de la parentalité positive ?

Ariane : C’est un peu le même système que la CNV [Communication non violente] de Marshall Rosenberg [psychologue américain, 1934-2015]. Tu dois obtenir quelque chose de quelqu’un qui n’est pas d’accord, il y a plusieurs étapes. Pour tout, tu essayes de lui expliquer, de mettre des rituels en place, des jeux. Mais on n’est pas dans du laxisme que beaucoup nous reprochent. L’enfant ne fait pas ce qu’il veut quand il veut non plus. Car il y a des limites de sécurité, de respect de l’autre, de santé.

Edwin : Et y a-t-il une place pour la frustration ? C’est une donnée importante pour se construire…

Julie : Évidemment. On est à peu près tous d’accord sur le fait que gueuler sur son gamin, lui infliger des punitions débiles, n’est pas une bonne méthode. Le problème de cette mode de la parentalité positive qui prend de l’ampleur, c’est que c’est devenu une sorte de coaching. Il y a des gens qui vendent des tutos « Devenez un parent parfait ». D’une, il n’y a pas de mode d’emploi pour devenir parent. Ensuite il y a une culpabilisation des parents sous-jacente à ce genre de discours. Sur la question des limites, on lit parfois chez ces gens-là des choses du genre : « Votre enfant sait quand il doit sortir du bain, quand est-ce qu’il doit manger, se coucher » etc. C’est dangereux ce genre de messages, car un enfant a besoin de limites et d’être sécurisé par un adulte. Si on enlève le rôle de l’adulte, l’enfant peut s’enfermer dans un rôle de toute-puissance qui ne va absolument pas l’épanouir.

Edwin : Est-ce que cette conception de la parentalité n’implique pas aussi d’avoir énormément de temps à consacrer à son enfant ?

Ariane : Je pense que ce que décrit Julie, c’est surtout les dérives de cette pensée. Moi je pars du principe que l’enfant est de toute façon exposé à des limites et des frustrations naturelles, imposées par le quotidien. Par la vie tout simplement. Ça ne sert à rien de lui en rajouter gratuitement. Les limites, on peut les poser au préalable aussi, pas sur le moment. Pour moi, c’est cela la parentalité positive, c’est de voir l’enfant comme quelqu’un qui a besoin de repères. Le parent est un accompagnant, qui donne du sens à ce qu’il dit et fait avec son enfant. Pour ce qui est du temps, je me rappelle que ma fille à 3-4 ans ne voulait pas s’habiller le matin. Un jour j’en ai fait un jeu, où à chaque fois que je tapais dans les mains, elle devait mettre un vêtement. Elle était habillée en cinq minutes. Est-ce que c’est mal ? Le résultat est le même, sauf qu’on ne s’est pas engueulé, je n’ai pas crié. Et de toute façon elle va ensuite arriver à un âge où elle va finir par s’habiller et comprendre pourquoi il faut le faire.

Edwin : En se disant peut-être, « ah je me faisais bien manipuler » (rires)

Ariane : Oui mais tu lui as dit dès le départ que c’était pour qu’elle s’habille. Il n’y a pas vraiment de manipulation. Après il y a des lignes directrices, où tu te dis « Quel type de parent je veux être ? »

Edwin : Après vous avez des enfants cools. D’autres avec un plus fort caractère, c’est peut-être plus difficile de mettre tout cela en place ?

Ariane : Moi je pense que c’est plutôt l’inverse. Ta fille est cool si justement tu agis comme ça.

Julie : Dans ma clinique, je le vois que beaucoup de parents ont du mal à gérer leurs enfants. Des choses comme le holding de [Donald] Winicott [psychanalyste britannique, 1896-1971] peuvent être intéressantes. Le holding, c’est la façon de bien porter son enfant. Si l’enfant se sent porté, de manière sécurisante, il va pouvoir grandir de manière sécurisée. On le voit aujourd’hui avec beaucoup de parents qui disent « Mon enfant est insupportable ». Très certainement, parce que l’enfant n’a pas eu l’impression d’avoir un contour bien défini autour de lui.  Qu’il manque de limites claires qui ne sont pas données aux enfants, dans un contexte bienveillant. Aujourd’hui, ces enfants le payent, parce qu’ils deviennent le problème, qu’on soigne à coups de Ritaline, parce qu’on diagnostique des troubles de l’attention et de l’hyperactivité (TDAH) à tout-va. On règle tout à coup de médicament. Il y a même des chercheurs en psychologie à Montpellier récemment qui ont sorti une étude qui dit en gros : « Cessez de culpabiliser les parents, leurs enfants ont des troubles, il faut les soigner, point barre ». Je prends les choses à l’inverse. C’est un problème de système familial. Ces gamins n’auraient pas besoin de Ritaline si les parents acceptaient de mettre des limites à leurs enfants.

Edwin : La Ritaline, c’est contre l’hyperactivité non ? Est-ce que ce n’est pas justement quand ton gamin n’est pas hyperactif qu’il faut s’inquiéter ? 

Julie : Non, il y a des gamins qui ont vraiment des problèmes d’hyperactivité. Je ne dis pas que la Ritaline ne sert à personne. Mais ça ne sert pas à tous les enfants à qui on en donne. J’ai eu entre les mains le test qu’on fait passer aux enfants pour le TDAH. Y’a une question dans ce test de 100 questions qui dit, je vous jure que c’est vrai : « Est-ce que vous visez au fusil de l’œil droit ou l’œil gauche ? » C’est une grille absurde. Il y a un médecin à Lenval (Nice), tu rentres dans son bureau, tu ressors avec de la Ritaline quel que soit ton problème. Il y a des questions à se poser autour de ça. Dans cette parentalité bienveillante, on en fait une fausse doctrine, sans vraiment de recherches. Alors qu’il y a des gens qui ont travaillé sur un rapport à la parentalité complètement différente comme [Emmi] Pickler [pédiatre hongroise, 1902-1984] par exemple. Elle a bossé dans des orphelinats à Budapest et a imaginé une approche de l’enfance basée sur l’autonomie. Tout était filmé pour être étudié ensuite. Les femmes qui s’y occupaient des nourrissons, expliquaient chaque action qu’elles faisaient avec l’enfant. Les gamins baignaient dans un bain de langage.

Ariane : Ça, ça fait partie de la parentalité positive.

Julie : Exactement. Mais, par exemple. Je mets au défi n’importe quel parent de réussir à faire ça. Sur un film, on voit un gamin qui descend un escalier. Il se cherche un peu, ne sait pas encore descendre un escalier. L’intervenante reste en bas de l’escalier, mais porte l’enfant par le langage en le guidant par des mots. Cela prend un temps fou, mais le gamin finit par descendre. Il y a toute cette théorie-là mais qui prend effectivement un temps fou à mettre en place.

Edwin : C’est un peu comme l’oiseau qui pousse l’oisillon hors du nid pour qu’il apprenne à voler ?

Julie : C’est exactement la théorie de Pikler. Dans le quotidien, c’est difficile de passer une heure et demie à ce que ton enfant descende l’escalier. Mais quand tu vois la fierté du petit qui parvient à descendre l’escalier. Il y a des choses à prendre dans cette théorie, qui sont d’ailleurs reprises dans cette soi-disant parentalité positive mais qui a des pourtours pervers et malveillants qui dit un peu aux parents : « Si vous ne le faites pas comme ça, c’est que vous le faites mal ». On a même des burn-out parentaux maintenant qui se demandent s’ils ont eu raison de faire des enfants, car on pousse tout le monde dans la performance et si ça se passe mal c’est de votre faute.

Edwin : Car on pousse tout le monde à faire des enfants aussi. Pour certaines personnes, il faudrait effectivement éviter peut-être. 

Julie : Ça c’est un autre débat. Si tu peux accepter que t’es trop crevé pour jouer avec lui, ou que tu n’as pas été à la hauteur tout le temps. A partir du moment où tu ne rentres pas bourré tous les jours effectivement…

Edwin : Oh, ça on peut quand même…

Ariane : Sinon Edwin, il ne pourra jamais avoir d’enfants (rires).

Julie : Oui mais il le sait lui (rires).

Edwin : Au-delà de la performance, revenons sur ce qu’on disait concernant la suppression de la domination dans l’éducation de l’enfant. En tant qu’anarchiste, on repense tous les pans de la société, mais celui-ci est souvent un peu délaissé. Comment on fait pour être parent sans être dominant ?

Ariane : Dans mon métier, ou dans le tramway par exemple, je vois plus souvent des parents qui maltraitent les enfants, qui les engueulent, qui font usage d’une autorité abusive, plutôt que des parents qui sont culpabilisés. Je suis d’accord qu’on est culpabilisé pour tout aujourd’hui. Mais j’ai l’impression que les parents sont moins dans la recherche de bienveillance que l’inverse. Alors oui, il faut quelqu’un de solide à côté de l’enfant, mais tu peux ne pas abuser de ton autorité. Il y a certains « non » qui n’ont pas lieu d’être, comme laisser son enfant bouger dans le tram.

Edwin : De ne pas faire usage de force verbale ou physique, est-ce que ça ne nécessite pas d’être une figure charismatique pour son enfant, et donc d’être dans une forme de domination ? Vos filles sont en pâmoison devant leur mère, donc il n’y a pas besoin de crier pour se faire entendre. 

Ariane : C’est plus de la confiance, qu’une espèce d’aliénation. Je vois beaucoup de parents qui ne posent pas de mots, mais des injonctions arbitraires, en donnant puis reprenant un jouet ou le portable, sans lui expliquer. J’ai essayé d’être constante avec ma fille. Elle sait à quoi s’en tenir à chaque fois, et qu’il y a de l’amour et pas de la peur face à moi. Les études montrent que la sécrétion d’adrénaline, due à la peur, empêche le bon développement de l’enfant.

Edwin : Il y a autre chose qui va avec la domination, c’est la possession. On a du mal à penser autrement que par le possessif, « nos enfants ». Est-ce que c’est quelque chose auquel vous avez déjà réfléchi, de l’éducation communautaire et que l’enfant ait plusieurs approches qui n’appartiennent pas qu’à un seul parent ? 

Julie : C’est déjà le cas dans notre société. La coparentalité, en tout cas la coéducation, ça existe déjà. Avec l’école, la crèche, le centre aéré, la colonie de vacances, le sport. Ils vont avoir d’autres référents adultes que leurs parents. Qui vont aller, ou pas, dans le même sens éducatif que leurs parents. Ils vont trouver petit à petit une cohérence en piochant à droite à gauche. Après que tout le monde soit parent à titre égal, comme dans certaines communautés, je ne suis pas sûre que ça soit une bonne idée. D’ailleurs les personnes qui ont grandi comme ça, leurs retours ne sont pas toujours très positifs.

Ariane : Il y a la donnée de l’attachement qui fait que l’enfant va avoir besoin de s’attacher à une personne principale. Et il a besoin de cohérence. S’il a trop d’informations à un jeune âge, ça va être compliqué de faire confiance à tout le monde. Après j’estime que n’importe qui dans mon cercle peut lui apprendre des choses, et je fais confiance à la communauté qui m’entoure. Tout le monde peut éduquer ma fille et je suis assez fier de ça. Je n’estime pas que ma fille m’appartient.

Julie : Sur l’idée que les parents soient une référence pour l’enfant, il y a [René] Spitz [psychiatre américain, 1887-1974] qui a révolutionné l’idée d’attachement de l’enfant très précoce. Il a étudié dans des orphelinats, où tout le monde s’occupait des enfants de manière égale. Il a remarqué que des enfants se laissaient mourir. Qu’il y avait une sur-mortalité dans certaines pouponnières. Et qu’il fallait une infirmière référence pour chaque enfant. L’enfant a besoin d’un objet d’attachement particulier. Qu’il ait l’impression qu’il compte pour quelqu’un. Ça reste quand même la tâche des parents de représenter cette figure-là. Dans une approche communautaire d’éducation, il faudrait plutôt mettre en place un partage des apports, pas tous au même niveau.

Edwin : Ce qui vous différencie finalement, c’est peut-être plus dans l’approche intellectuelle que dans les faits. Puisque la manière dont vous éduquez vos enfants est relativement similaire. 

Ariane : Oui je suis d’accord avec ce que dit Julie quand elle dit que les théories de la parentalité bienveillante sont dévoyées en mettant la pression sur les parents. Ma conception n’est pas celle d’une vérité absolue. C’est plus un objectif à atteindre, et de considérer l’enfant comme une personne à part entière, pas comme un petit soldat dont on recherche l’obéissance.

Julie : Il y a des dérives aujourd’hui de ce genre de choses avec des parents qui appliqueraient à la règle le manuel du parent bienveillant. Ils risqueraient de faire des enfants qui n’intègrent pas la règle sociale aussi. A partir du moment où à la maison on peut tout explorer, on fait la même chose en société. Ils deviennent insupportables pour l’Autre social et finissent par être rejetés in fine, quand ils sont enfants et adultes également.

Ariane : C’est une mauvaise interprétation et une vision à l’extrême du concept. Il n’est pas question que l’enfant aille explorer partout. On parle d’absence d’autorité mais pas d’absence de règles, comme l’anarchisme justement. J’ai fait partie d’une association de soutien à la parentalité qui est très bienveillante avec la même visée que moi. Sur la petite dizaine d’enfants élevés avec cette ligne de conduite-là, je ne constate aucun enfant qui ressemble à ce que tu décris.

Edwin : Est-ce que ce modèle peut s’appliquer au-delà de l’enfance, quand arrive l’adolescence ? Quand le gamin peut et a besoin de se confronter à toi ? Cette conception marche quand l’enfant est en construction. Mais quand il a la capacité de t’envoyer chier et a besoin de le faire ?

Julie : C’est les limites de cette parentalité bienveillante, car elle s’applique rarement à l’adolescence. On parle souvent de la petite enfance. A l’adolescence, il y a autre chose qui se joue. Et je n’ai jamais vu de manuel de parentalité bienveillante appliquée à l’adolescence, ce n’est peut-être pas pour rien. J’espère que dans l’idée, ils ont compris que de se faire traiter de « sale pute » par son enfant ce n’est pas possible de dire : « Peux-tu utiliser un autre terme s’il te plaît, soyons créatifs ? » (rires).

Ariane : Moi je pense qu’il n’y a pas de crise d’adolescence et qu’elle est créée par les parents. Bon, ma fille n’est pas encore dans cette période, donc on verra. Il y a une affirmation de soi à cet âge-là c’est sûr. Mais que si tu gardes ton cap de ne donner que des limites qui ont du sens, de communiquer. Il peut grandir sans avoir besoin de se confronter et de s’émanciper puisqu’il l’est déjà.

Edwin : A l’adolescence, on teste les limites justement non ?

Ariane : La désobéissance, ça peut te construire aussi. Et puis il y a des parents qui ne supportent pas que leur enfant leur dise non tout simplement.

Julie : Je pense que la crise d’adolescence, c’est une préparation à la séparation. Au niveau psychanalytique, l’adolescence c’est une reviviscence des stades précoces, œdipiens. Sauf que le fantasme de la relation particulière avec ton père ou ta mère, elle émerge à nouveau dans la potentialité du corps. Puisqu’à la puberté, tu peux réellement coucher avec ta mère ou ta père ! A l’adolescence, quand tu regardes un film avec tes parents qui contient une scène érotique, t’es mal à l’aise comme tu ne le seras plus jamais de ta vie. Ce n’est tout de même pas rien. A l’adolescence, le fait de vivre ensemble n’est plus possible. Il faut se séparer, partir ailleurs. L’affrontement qui se passe à l’adolescence part de là. Cette transition de « vous êtes tout pour moi, sans vous je n’arriverai pas à vivre » à « il va falloir se séparer ». Et se séparer en bons termes, c’est compliqué. D’ailleurs, des crises d’adolescences tumultueuses donnent souvent des relations assez saines par la suite. Si on ne dit rien à ce moment-là qu’on envoie chier personne, il y a des choses qui restent et qui peuvent se rejouer bien plus tard.

Edwin : Si tu trouves de la weed, des capotes et de la cocaïne dans la chambre de ta fille à 14 ans, ça serait quoi la réaction dans une approche positive ? 

Ariane : Je pense qu’elle m’en parlera, peut-être je me trompe. Bon la coke, il paraît que c’est cher, je m’inquièterais de savoir comment elle trouve l’argent pour en acheter (rires). Après je lui ai déjà parlé de drogue, de cannabis, que je préférerais qu’elle n’en fume jamais. Mais elle verra autour d’elle des gens qui boivent et qui fument. Ce qui me blesserait ce qu’elle ne m’en parle pas si jamais elle fait.

Edwin : Tu ne penses pas que garder de l’intime à un certain âge, c’est important ? 

Ariane : Ce n’est pas comme ça qu’on fonctionne et ce n’est pas comme ça que je fonctionnais avec ma mère. Donc c’est personnel. Pour moi, on parle de ce genre de choses. Elle a le droit à son jardin secret évidemment. Après si elle a besoin de parler à d’autres qu’à moi, c’est bien aussi. Je lui fais confiance car elle aura été éduquée avec une connaissance de ce qu’est la sexualité, la drogue, le consentement etc. J’ai cette conception de « on ne se dit pas tout, mais on se dit les choses importantes ».

Julie : Moi j’espère que ma fille me cachera des choses. Je trouve ça sain qu’il y ait des choses que tu ne racontes pas à tes parents..

Ariane : Moi j’avais 20 ans ma première fois, pas 15 ans.

Julie : Si elle veut te parler de ces choses-là, c’est évidemment OK. Mais l’inverse est OK également. Les gens ont le droit de se constituer un point aveugle, c’est-à-dire un endroit d’où on ne les voit pas. C’est important qu’ils n’aient pas l’impression d’être tout le temps vus. Ils ont parfois ce fantasme qu’on sait tout. Et ça peut être anxiogène si c’est intégré comme une vérité.

Ariane : Il y a pleins de domaines où l’on dit aux enfants : la religion, le père Noël qui sont anxiogènes effectivement.

Julie : Je trouve que c’est sain de mentir. Les petits mensonges, les enfants c’est important qu’ils puissent les faire. Que ça ne soit pas si grave qu’ils aient pu mentir et qu’il ne faille pas toujours dire la vérité sur soi et ce qu’on fait.

Edwin : Est-ce que vous avez entretenu ces mensonges-là sur le père Noël par exemple ? 

Ariane : Non. Je déteste le père Noël et je déteste mentir. Il y a peu de règles à la maison, mais il y en a une, c’est : on ne ment pas.

Edwin : Ca veut dire que toi aussi, tu la laisses vachement rentrer dans ton intimité ? 

Ariane : Non. Parce que ça ne veut pas dire que je réponds à tout. Je ne lui mens pas mais il y a certaines questions auxquelles je peux répondre de manière minimale. C’est ce que je dis à ma fille. T’es pas obligée de tout me dire mais tu ne me mens pas. Et le père Noël, avec ce consumérisme et cette tradition, je trouve ça moche.

Julie : Croire en des choses même si elles sont fausses, c’est important. J’ai eu des Noëls magiques quand j’étais gamine. Après, quand tu dois te coller à dire ta gamine que le père Noël n’existe pas (rires). Il y a des mensonges qui ne font pas de mal. Du coup elle a développé un univers onirique hyper puissant. Ça dépend ce que tu mets derrière.

Ariane : Pendant très longtemps pour l’enfant la frontière entre l’imaginaire et le réel est impalpable et il peut se créer ses propres croyances sans qu’on en lui impose, avec un univers clé en main.

Julie : J’ai vu plusieurs fois passer sur les réseaux sociaux de la parentalité bienveillante que c’était de la maltraitance de faire croire au père Noël à ses enfants.

Ariane : Il y a des enfants qui se sentent trahis, ou qui se sentent honteux plus tard. Entretenir un mensonge aussi structuré, avec ce chantage à la bonne conduite pour que le père Noël passe. Ca restreint la magie et l’imaginaire.

Julie : Chacun voit le père Noël comme il veut, mais de là à parler de maltraitance… Quand toi tu bosses avec des enfants maltraités, ça met un peu les nerfs quand tu lis ça.

Ariane : Oui effectivement le mot n’est pas du tout adapté. Si c’est une tradition familiale et que tu as envie de transmettre ça à tes enfants ne t’en empêche pas.

Julie : Il faut que ça ait du sens.

Edwin : Pour conclure, vous qui n’avez qu’un seul enfant, est-ce que ces approches de parentalité positive marchent également quand on en a deux trois quatre et plus enfants ? 

Ariane : C’est difficile sans doute de donner exactement le même temps à chacun. Mais ils se transmettent des choses entre eux également, en jouant ensemble.