En cette journée internationale de lutte contre les LGBTphobie, Mouais s’intéresse à l’inclusion des personnes transgenres dans les sports de compétition -sachant que la Fédération internationale d’Athlétisme les a récemment banni.e.s des compétitions féminines-, et interroge la structure même du jeu compétitif. Les formes alternatives de sports sont à inventer, et beaucoup existent déjà.

Comment intégrer les personnes (dites) transgenres dans les catégories de sports de compétition ? A partir de cette question, à laquelle [gros spoiler] je n’apporterai aucune réponse, je propose d’interroger la structure du jeu compétitif lui-même. Et bien sûr, je suis ravie de raviver les voix, vives et virulentes, qui s’élèveront après ce texte.

Femme, homme, fantôme ?

Tout d’abord, en tant que personne non-trans, je ne veux pas m’exprimer à la place des personnes concernées, mais mettre en lumière un débat tendu qui permet de questionner la compétition sportive elle-même. Dans les Jeux Olympiques par exemple, pour prendre une instance de compétition bien instituée, il y a généralement deux possibilités : jouer dans l’équipe féminine ou dans l’équipe masculine. Pour cela, c’est a priori simple, regardez entre vos jambes l’organe génital qui s’y trouve.

Premier gros problème : la non-prise en compte des personnes intersexué.es. Pour les classer, elles sont passées au crible de tests gynécologiques, mesurées, pesées, jugées, pour savoir à quel point elles sont femelles ou mâles. Deuxième gros problème : la non-prise en compte des personnes qui sont en transition sexuelle, qui traversent une modification hormonale choisie rendant leur catégorisation difficile. Que ce soit dans le milieu militant, sportif, féministe, la question des trans’ dans le sport de compétition arrive comme une épine dans les crampons. Surtout les femmes trans’, qui déclenchent la tempête quand elles gagnent.

Débat sur la physiologie des femmes trans’

Deux positions s’affrontent. La première est que les femmes trans’ n’ont pas forcément un avantage physiologique sur les autres sportives, et que ça fait partie du sport que d’être toustes différentes, puisqu’en tous cas les gabarits et les physionomies varient d’une joueuse à l’autre. C’est ce que soutient par exemple la rugbywoman Caroline Layt, qui préconise un examen au cas par cas. En effet, même si des femmes trans’ gagnent à des compétitions comme la fameuse nageuse Lia Thomas, ce n’est pas forcément le cas de toutes. Mais lorsque ça arrive, forcément, c’est tout un tollé médiatique. Le spectacle, ça rapporte. La seconde est que les personnes assignées mâles à la naissance ont un avantage sur celles assignées femelles, du fait de leur structure musculaire et osseuse que les traitements hormonaux n’affectent pas. Il semblerait que si la personne a entamé sa transition sexuelle après la puberté, sa structure corporelle reste celle du sexe de sa naissance.

Cela révolte pas mal de gente, qui estiment que les femmes trans’ biaisent la compétition en gagnant plus facilement, au détriment des autres qui ont mis en œuvre des efforts durant des années pour être qualifiées en compétition. Toutefois, les athlètes trans’ travaillent aussi pour obtenir une victoire.Alors comment se poser la question des femmes trans’ dans les sports de compétition ? Quelle place pour elleux ?

Mise en place progressive de (tentatives de) solutions ?

Tandis que certaines fédérations créent une catégorie spécifique pour les sportif.ves trans’ (fédération internationale de natation), d’autres interdisent aux femmes trans’ de concourir en attendant de réfléchir à une politique d’inclusion (ligue internationale de rugby), d’autres encore (fédération internationale de triathlon) leur permettent de participer à deux conditions : se situer sous un certain taux de testostérone et attendre 2 ans après la dernière compétition en tant qu’homme.

Cela dit, créer une catégorie supplémentaire « trans’ » est vécu comme une violence par certaines personnes : plutôt que de les considérer dans leur expression de genre, elles sont stigmatisées et renvoyées à une étape transitoire de leur vie par laquelle elles ne souhaitent pas forcément être définies. C’est notamment pour cela que d’autres sports comme l’Ultimate Frisbee s’organisent pour permettre la participation de tous les genres.

L’Ultimate Frisbee comme espace inclusif en compétition ?

Dès 2018, la fédération européenne d’Ultimate se penche sur les questions d’inclusion des personnes dites trans’ dans les compét’. La participation sportive des minorités de genre était déjà au cœur de ses préoccupations, avec notamment un onglet dédié à ça sur leur site web et des documents précisant les mesures prises (en anglais). En 2020 aux Etats-Unis, la politique d’inclusion indique que les joueur.ses peuvent concourir dans la catégorie où iels se sentent le plus confortable, peu importe le sexe qui leur est assigné à la naissance ou leur expression de genre.

Néanmoins, comme le rappelle mon ami John, joueur à l’Ultimate français, « ces politiques nationales sont indépendantes de la politique de la Fédération mondiale qui s’aligne sur celle du comité olympique, plus stricte et controversée dans la communauté ». Il existe trois catégories dans l’Ultimate : Féminine / Open / Mixte. La catégorie Open est assimilée à la catégorie masculine (à haut niveau notamment) mais en théorie, elle n’exclut aucun genre ou sexe, pouvant accueillir tout le monde. En revanche, la catégorie Mixte est genrée. John m’informe : « On demande x joueurs hommes et x joueuses femmes. Ils/Elles sont sur le même terrain mais la stratégie de base consiste à avoir un homme qui défend sur un homme et une femme qui défend sur une femme. Ça peut varier selon les stratégies et les situations mais il y a cette égalité de base entre les deux équipes. ».

Selon lui, les sports d’équipe requièrent bien plus d’aptitudes que celles basées sur la constitution physique des joueur.ses. La question de l’inclusion des personnes trans’ est donc posée différemment pour un sport 1-contre-1, comme par exemple un match de boxe, où le classement par poids et par niveau ne semble pas exclure le classement par sexe.

Déplacer le regard, trouver le vrai frein

Peut-être que c’est le cadre compétitif qui ne permet pas la mise en place d’une réelle solution. La compétition telle qu’organisée par les instances sportives officielles instituées est rigide et peu inclusive. En fait, « le sport institutionnel moderne est avant tout conçu en vue du spectacle qu’il offre » (Pierre Parlebas). Il faut que ce soit télégénique, que ça rapporte de la thune. Du coup, « la scène sportive est à la fois parade et tribune, reflet et producteur de normes sociales » (ibid.).

Puisque la compétition régit le monde du travail, de l’économie, de la politique et d’à peu près tout, le sport n’y échappe pas, d’autant que ça le rend spectaculaire et donc générateur de profit. Pourtant, on peut jouer, se dépasser, concourir contre soi-même sans écraser les autres. Pris dans une toile capitaliste libérale, le sport est à réinventer sous un angle populaire et alternatif. On pourrait envisager des jeux sportifs coopératifs, ou en tous cas dont la victoire ne s’obtient pas au détriment des autres. Ainsi, les divisions sexuées perdraient leur sens. Ces jeux sportifs permettraient à tout le monde de participer, sans transphobie ni validisme. Ils pourraient s’esquisser à partir d’exemples existants : dans la cour d’école, certain.es profs proposent des sports d’équipes où la personne qui marque un point se retrouve dans le camp adverse. Cela permet de revoir la notion de compétition, en permettant le sport en mixité, sans confrontation de deux équipes fixes.

On peut aussi chercher à se dépasser, sans forcément dépasser les autres, ou alors, sans que cela importe dans la quelconque attribution d’un prix ou d’un trophée. Les formes alternatives de sports sont à inventer, et beaucoup existent déjà. Ou alors, de manière plus pragmatique, on laisse les gens concourir devant les caméras de la télé, et on crée des espaces de jeux et de sports à notre guise, inclusifs et joyeux.

Par Azar, un article paru dans notre numéro #33 de décembre dernier, consacré au sport, abonnez-vous ! : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais

/!\ J’emploie les termes de trans’, femmes trans’ et hommes trans’ afin de nous repérer dans le texte, tout en sachant que l’emploi de ces termes peut être problématique. En effet, les femmes trans’ sont des femmes, et j’utilise l’adjectif « trans’ » seulement par souci de compréhension et de fluidité dans la lecture. Et aussi parce que ça prend moins de place en termes de nombre de caractères. Mais vous pouvez me taper (modérément) pour ça.

Sources :

Degenne Alain. Parlebas Pierre, Eléments de sociologie du sport.. In: Revue française de sociologie, 1987, 28-3. pp. 547-550.

https://www.fina.org/news/2649715/press-release-fina-announces-new-policy-on-gender-inclusion

https://www.intrl.sport/news/statement-on-transgender-particiption-in-women-s-international-rugby-league/

https://www.triathlon.org/news/article/transgender_policy_process

https://www.ultimatefederation.eu/eugem

https://ultiworld.com/2020/12/18/new-usau-gender-inclusion-policy-allows-division-self-selection-for-all/