Je suis allée à Villepinte pour faire front face au meeting de l’affreux raciste et de ses acolytes militants néonazis, et autres représentants des milles nuances de conneries et d’intolérance fanatique haïssant une partie de leurs semblables humains pour des raisons obscures, et bégayant à tout va le mot : « Lafrance ! ». Je n’ai pas été déçue. Mais ce jour-là, les fascistes les plus violents étaient payés par l’État.
Je pars l’esprit serein et, peut-être un peu naïvement, seule à la manif. Arrivée sur les quais du RER B, je repère déjà d’autres militants en route pour le rassemblement. « Ah ici ça pue ! » dit un homme cagoulé tenant un drapeau tricolore enroulé. Il est entouré de ses camarades tous plus baraqués les uns que les autres. Leurs regards sont froids et menaçants. Voilà qui met d’entrée de jeux dans l’ambiance. Nous nous faufilons un peu plus loin dans le wagon. Ils passent le reste du trajet à nous scruter. Des camarades rencontrés il y a à peine deux minutes, me prennent tout de suite sous leurs ailes. On fait des blagues, pour essayer de détendre l’atmosphère, sur d’autres Jean-Edouard présent aux alentours.
On descend un arrêt avant. Cela va sans dire, la pression monte. On ne cherche pas des noises.
Une fois sur place, les militants aux idées meurtrières, cette clique d’anthropophobes, nous ne les reverrons plus. Nous, les gens « d’en bas à gauche » -comme disent les zapatistes- sommes à peine une centaine, va savoir, et calmes. Il pleut beaucoup, et tout le monde est là : gendarmes, policiers, CRS, BRAV-M, BAC.
C’est le début d’une chasse à l’homme. Chasses aux humains qui sont venus dire qu’ils n’étaient pas d’accord avec ce qu’il était en train de se passer aujourd’hui, dire à Z qu’il n’est pas le bienvenu à Villepinte, pas plus qu’à Paris. Pourquoi n’aurait-on pas le droit de nous rassembler pour dire quelque chose ?
1ère charge, on court. Il ne faut pas se faire nasser, bloquer. On court, à droite, puis à gauche, on revient sur nos pas, on avance de nouveau. Tout le monde essaye de rejoindre le rond-point où le rassemblement avait été autorisé. On n’est pas nombreux et on a peur, tout le monde veille à rester groupé. Les flics débarquent d’un côté, puis de l’autre, et nous baladent comme des poissons. Voilà, pour faire simple, on ressemble à un banc de poissons, qui essaye d’échapper ou de survivre à l’attaque d’un requin.
A un moment, nous courrons vraiment très vite, pour échapper à la nasse ; nous sommes une dizaine à réussir à trouver une issue. Mais soudainement, quelques CRS perdus nous croisent, et là, c’est la rage. La fille qui court en face se prend un premier gros coup de matraque sur la tête, mais continue à courir. Horrifiée, voyant le CRS enragé maintenant arrivée vers moi, je rebrousse chemin, les mains sur la tête. Deuxième coup de matraque sur le camarade à côté, coup de gazeuse dans ta face, insultes, cris. « On chope celui avec le parapluie », et ils le chopent effectivement. On ne peut rien faire. Les flics s’en vont. Quelqu’un crie de douleurs, d’autres restent là, hébétés.
Nous revenons sur nos pas pour retrouver le reste du groupe, nassé et calme toujours. Au bout d’un moment, un homme crie qu’ils ont arrêté un photographe et qu’il faut retourner de l’autre côté. Les flics lâchent du lest. Les camarades arrivent. Nous sommes une cinquantaine. Les CRS s’approchent de nous, prononcent une sommation, puis chargent et là, ça part en sprint sur l’avenue. Courir vite, courir vite, pour ne pas se faire attraper. Ils en arrêtent un, puis deux, puis trois, des coups de matraque à chaque fois, ils jettent les gens à terre. Des femmes, des hommes. Je cours toujours. Une camarade trébuche, tombe à terre. Vulnérable, au sol, elle est frappée à la tête par un CRS. Un autre homme arrive, le visage en sang.
On nous a rabattus dans un lieu piéton, où quelques rues et places serpentent entre des bâtiments. Un peu comme les bureaux de zone industrielle. Après cette grosse charge, on profite d’un moment de repos. Les médics soignent les blessés. Tout le monde se remet de ses émotions. Je fume une cigarette tranquille. Nous ne sommes plus qu’une trentaine. Soudain, les BRAV-M débarquent et défilent autours de nous, sur leurs véhicules. Les quelques personnes encore présentes se replient juste au-dessus des escaliers un peu plus haut. Les BRAV ne descendent pas de leurs motos, ils paradent.
Cinq minutes plus tard, alors qu’on ne s’y attend pas, ils reviennent. Ils sautent de leurs motos et commencent à courser les personnes sur la place. Je pars encore vite, mais là où je me dirige nous ne sommes plus que dix. Bam, je me prends un méga spray de gazeuse sur le visage, dans les yeux, dans la bouche, dans les poumons. Je ne vois plus rien, tout me brûle. Je ne peux plus courir. Je les entends qui arrivent derrière, je titube.
Bon, voilà, quand tu ne peux plus courir, tu sais que c’est mort.
Ils me prennent et m’emmènent sur le côté, je les supplie de ne pas me taper. Je ne vois toujours rien. Je m’accroupis contre le mur. L’homme me hurle dessus, et me demande de sortir ma carte d’identité. Je lui dis que je ne peux pas. Il me répond « Ta gueule, souffre en silence ». Je crains qu’il ne me frappe, toujours dans le noir, le souffle coupé, j’ouvre à tâtons mon sac et retrouve tant bien que mal ma carte. Je lui tends, l’œil toujours fermé, humiliée, je n’ai toujours pas vu son visage. S’il pouvait me cracher dessus il l’aurait fait. Je n’ai jamais été aussi haïe de ma vie, prise pour une petite merde, pour une moins que rien.
Les forces de l’ordre font bien plus que maintenir « l’ordre » dominant : ils nous haïssent, et ils défendent Zemmour et ses sbires. Ils sont détenteurs de la violence se voulant « légitime » et représentent l’État, -mais peu leur importe. C’est ça, « Lafrance », aujourd’hui ? C’est ce pays, moi jeune fille dans la vingtaine, où je suis sensée vivre et grandir ?
Une trentaine de personnes seront placée en garde à vue ce jour-là. Moi, quelle chance, je rentre glacée, la gueule en feu, les yeux gonflés, en croisant la foule de zemmouristes sortant du RER. Silencieuse, la tête baissée. Peut-être déjà convaincue que sur le terrain de leur langage favori, la violence, on ne les battra pas.
De notre envoyée spéciale à Villepinte
Vidéo de la charge par Loopsider : https://twitter.com/Nantes_Revoltee/status/1467502955649814530?s=20
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