En ce jour de 1er avril –mais cet article n’est pas une blague- la rédaction de Mouais a envoyé l’un de ses reporters couvrir ce qu’il convient de désigner comme le procès du siècle, et parfois appelé ici « l’affaire de la statue à Chirac ». Celle-ci avait en effet été peinturlurée entre autres d’une… tulipe qui danse en septembre dernier. Le coupable a été jugé aujourd’hui. Récit d’un procès hors-norme.

8h30, palais de Justice de Nice. Il fait très beau. Je retrouve celui dont le nom mériterait d’être livré à la vindicte populaire d’une ville encore sous le choc, mais que je nommerai ici Prosper car justice a été rendue et en plus c’est un ami.

Je ne saurais cependant passer sa faute sous silence. Le week-end du 5 septembre dernier, il a outragé la statue de jacques Chirac, ancien président et repris de justice bien connu, qui orne depuis peu une ruelle en front de mer que les Niçois.e.s ont toujours surnommé la « rue de la pisse », en raison du fait que c’est là qu’on urine quand on fait soirée sur la plage. Le Journal d’investigation réputé Gala avait alors titré : « Claude Chirac va voir rouge : la statue à l’effigie de son père Jacques Chirac a été vandalisée ». Avec une bombe de peinture rouge, avait en effet été dessinés sur Chichi le « A » anarchiste, l’interjection « Yo ! », ainsi qu’une tulipe en train de danser dans son pot (voir photo ci-contre). L’adjoint à la mairie de Nice Pierre-Paul Léonelli, s’était alors légitimement exclamé sur Twitter que « Les tags anarchistes sur la statue de Jacques Chirac sont stupides, minables et n’ont aucun sens », rappelant la volonté de notre Estrosi bien-aimé « de ne pas laisser les graffitis perdurer dans la ville » et annonçant le dépôt d’une plainte par la ville.

Après avoir déposé dans un bac le contenu de mes poches, ma veste, mon portable et ma ceinture, et passé le portillon à trois reprise avant qu’il consente à cesser de bipper, je rejoins notre Banksy local, avec lequel j’ai bu quelques bières mais point trop n’en faut hier, mais qui a peu dormi, ayant dû se lever très tôt pour retourner chez lui chercher sa convocation, qu’il avait oubliée. Les artistes sont de grands distraits.

Portant sur ses maigres épaules le poids de son crime, vêtu d’un séditieux sweat à capuche « System of a down » ainsi que d’un t-shirt touristique de Montréal représentant un ours et un élan, Prosper fait les cent pas dans la grande salle du palais, au milieu de la foule des accusés, des victimes et des avocats commis d’office qui vont et viennent. Au menu ce matin, des délits ordinaires évidemment pour la plupart moins graves que le sien, allant de la conduite sans permis et/ou en état d’ivresse à la détention de drogue en passant par l’outrage à personne détentrice de l’autorité publique. Le tout-venant de la chair à canon des tribunaux.

Après avoir pas mal attendu, et s’être occupés en lisant sur Wikipedia l’histoire des robes dans la justice, je le suis, accompagné de son avocate (par ailleurs très sympathique), jusqu’à la première partie de la procédure : l’audience en huis-clos avec la proc’, qui va requérir une peine lui paraissant adéquate. Dans la salle, l’ambiance est à un doucereux mélange d’ennui et d’angoisse. On entend une avocate crier : « Non mais ce prévenu, son casier, c’est un annuaire ! 38 pages ! ». Prosper disparait dans le petit bureau logé derrière la salle, et reparait un peu plus tard : « Elle demande 500 euros, dont 300 avec sursis », au vu semble-t-il de l’absence d’antécédents.

« C’est long, ce matin », souffle une avocate (car oui, la plupart des commis d’office sont des femmes, souvent jeunes). Pour Prosper, la première étape est passée. Cap vers la deuxième : le passage devant la juge, qui va « homologuer », c’est le terme, la peine requise par la proc’ et acceptée par l’accusé.

Après une brève attente, Prosper comparait donc devant elle, aussitôt accueilli par un vibrant : « tiens ! c’est l’anar’ ! ». Devant l’étonnement du jeune homme, elle consulte ses papiers : « vous avez bien reconnu à la police être je cite « sympathisant de l’anarchie », non ? » Elle referme son dossier, hausse les épaules : « Bon, ce n’est pas interdit, hein… » Ouf, voilà l’anar que je suis bien rassuré. Mais Prosper a de la chance que cela ne lui ait pas été retenu comme circonstance aggravante, me dira-t-on cependant très sérieusement après l’audience. Visiblement de bonne humeur, la juge poursuit, le ton léger, sur le boulot de Prosper (intérimaire dans la manutention) et se fout un peu de sa gueule sur le fait « qu’il touche des aides sociales, non ? la CAF tout ça ? » Foutus parasites qui engorgent nos tribunaux, c’est toujours la même chose !

Puis on vient au cœur du sujet : l’infâme sacrilège fait à Chichi. La juge fait la moue : « Bon, au niveau esthétique… » Elle regarde les photos : « C’est le « A » anarchiste ça ? On ne reconnait pas », « et ça, c’est quoi ? Je vais vous dire, je ne sais pas dessiner, mais même moi, je peux le faire ». Après s’être donc un peu amusé (on va dire que c’est de bonne guerre) devant notre Prosper tout penaud, les mains croisées dans le dos, elle valide sa peine, et le désormais officiellement coupable, après avoir promis qu’on ne l’y reprendra plus, se dirige vers la dernière étape : l’exécution (de sa peine, pas de lui, hein), avec donc passage à la caisse pour le paiement de la réparation de son crime.

Justice est donc faite ; Chirac est vengé.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais il est des jours, dans notre belle ville, où les astres se croisent. Fumant une clope avec une amie sur le parvis du tribunal en attendant que le délinquant règle son ardoise, en effet, qui voit-on arriver vers nous ? Christian Estrosi. Lui-même. Vêtu d’un impeccable costume bleu roi. Venu pour on ne sait quelle raison au palais de Justice, vers lequel il se dirige d’un pas pressé.

Etait-ce pour lui-même faire justice de l’affront fait à l’ancien maître du RPR, et coller à l’artiste une gifle bien sentie à la Will Smith sur Chris Rock ? Nous ne le saurons jamais. Estrosi entre, Prosper sort.

Le ballet magique de deux tulipes qui dansent.

Par Mačko Dràgàn

PS : je rappelle à nouveau que cet article n’est pas une blague du 1er avril.