Depuis les années 90, chaque premier mai, des Niçois d’ici et d’ailleurs se retrouvent vers midi sur la place de Rauba Capèu, munis d’un chapeau fait maison et d’un poisson. Ils viennent chanter, danser et manger la soupe qui est confectionnée sur place avec le poisson apporté par chacun.e. Une fois la dégustation terminée, ils partent en procession (chants et musique) promenant la statue-radeau de la Santa Capelina au travers du Vieux-Nice, pour ensuite se rendre sur la plage où la Santa sera mise à l’eau. Par Dogar, illus. Armelle Trouxe

La Santa Capelina a été créée dans l’esprit du mouvement Pantaï déjà existant à Nice dans les années 70 afin de dénoncer, entre autres, la politique culturelle de la ville. Remis en exergue dans les années 90 (le Festin de la santa capelina a été créé il y à 27 ans par le collectif Zou mai!) par des groupes d’artistes et citoyens niçois, cette fête, comme d’autres créées à cette époque (carnavals indépendants, repas de rue, lancer de Paillassou, étaient organisées dans le but de se rendre visible dans l’espace publique, de provoquer des rencontres avec les Niçois afin qu’ils/elles redeviennent acteurs de ces évènements, et non plus de simples consommateurs.trices .

Au fil des années, la Santa Capelina devint une réelle tradition, réunissant chaque premier mai des personnes venant de plus en plus loin pour y participer. De plus, elle a inspiré d’autres fêtes comme la Santa Mounina à Viols-le-Fort dans l’Hérault ! En langue niçoise, Rauba Capèu signifie « vole le chapeau ». Le voleur, sur cette esplanade au bord de mer, c’est évidemment le vent. D’où la question « l’as pagat lou capèu ? » (Tu l’as payé le chapeau ?), pour savoir si c’était le vent qui l’avait offert … C’est donc logiquement que le thème de cette fête fut choisi autour de l’envol du chapeau (en matériaux respectueux de la nature évidemment). Vous suivez toujours ? Et comme c’est aussi un haut lieu de pêche … qui dit pêche, dit poisson, qui dit poisson, dit soupe ! L’esprit Pantaï.

En attendant la soupe…

Donc depuis, en plus de confectionner un chapeau pour défier le vent de Rauba Capèu, on apporte un poisson pour la soupe. C’est la soupe qui donne le rythme de la fête. Tant que la soupe n’est pas finie on danse, on chante. Tant qu’on a pas mangé la soupe on ne part pas. La procession c’est quand la casserole est vide ! En attendant, chacun vient déposer ses vœux pour l’année dans la boîte située sur la structure. Ils partiront voguer avec la Santa vers une destination incertaine telles des bouteilles lancées à la mer lors de la mise à l’eau de fin de procession.

Une fois la soupe terminée, le départ est annoncé. On ramasse la soupe et le matériel, les groupes de musique se forment, tout le monde se rassemble derrière la statue de la Santa et la procession démarre. C’est au son de sa propre chanson que la Santa va traverser le Vieux Nice. Elle ne va pas le traverser d’une traite, ni au pas de course. Imprévisible, elle sillonne au hasard (ou presque) les ruelles étroites de la vieille ville, s’arrêtant sur les petites places, où la transe collective peut s’exprimer librement. En fin de procession, lors de l’arrivée au bord de mer, la Santa est mise à l’eau par les plus courageux.ses qui l’accompagnent au large, comme ils/elles peuvent car l’eau est encore froide début mai à Nice.

Depuis 20 ans, avec la Santa, « heureux[.ses] les fêlé[.e]s car ils laissent passer la lumière » René Lacroix (peintre niçois).

Chacun.e a sa propre vision de cette fête, une fête du vent parce que Rauba Capèu, la fête du sexe en rapport au couplet de la chanson (voir encadré), la fête de l’ébriété (d’après un des plus fidèles constructeurs de la statue) …Toujours est-il que le choix du 1er mai n’est pas anodin : la fête du travail, associée à ce toponyme carnavalesque-brigand « Rauba Capèu », donne facilement « la fête des travailleurs.ses du chapeau », de ceux et celles qui « pantaï » en niçois. « Travailler du chapeau », c’est être un peu fada, lâcher prise avec le réel et se fondre dans un délire absurde et salvateur.

Si cette fête perdure depuis si longtemps, c’est que les gens continuent à travailler, certes du chapeau, ou du reste, mais surtout parce que tout le monde a repris la relève. On a pu le constater l’année dernière lorsque l’esplanade s’est de nouveau remplie malgré les restrictions encore en vigueur, après une année d’absence, en raison des mesures liberticides liées à la gestion autoritaire de la crise sanitaire covidienne.

La Santa Capelina, une aventure collective, une construction pratique, une démarche politique.

La Santa est aussi pratique. La construction de la Santa commence plusieurs semaines à l’avance. Parce que le pantaï c’est du boulot. La statue doit être suffisamment solide pour la procession lors de laquelle on la chahute, on la fait danser en musique et en chantant. Collectivement, on la construit en se partageant le travail. Proposition pour cette année : qui s’occupe des mains ? Qui fabrique les pieds ? Gros ou petits seins cette année ? Sans oublier les fesses, la tête, le bateau, le gouvernail, la boîte à vœux et la structure de la statue … 9 équipes indépendantes qui se retrouveront avant la procession le 1ier mai pour assembler les éléments et créer la Santa de l’année, à chaque fois différente… et identique.

On s’y retrouve donc ce dimanche 1er mai, à midi, après la manif’, à Roba Capeu ! La veille, un baléti sera organisé au local des Diables Bleus.

L’affiche en illustration est le fruit du talent d’Armelle Trouxe, et été réalisée pour la Santa de cette année

En savoir plus : « L’esprit pantaï, ou comment réanimer le carnaval de Nice », page 20-23, 2004, Revue Vacarme, Christian Rinaudo. (vacarme.org).

Info pratique : que chanter lors de la Santa ?

« Chantons la Mounina ». C’est à Michelle Morel qu’on doit les paroles de la fête de la Santa Capelina. On chante la joie de la mounina, sexe de la femme qui veut dire aussi le singe en niçois… Depuis, d’autres couplets ont été ajoutés. En suivant le rythme, on peut broder à l’infini.

Refrain

O Santa santa o santa capelina.

Viva lou cu e canta la mounina. (bis)

Elle navigue sur les flots, et il n’y a rien de plus beau. (bis)

Refrain.

Elle n’a pas peur des requins, c’est qu’à Nice a y en a plein. (bis)

Refrain.

C’est la reine des sardines, elle finira pas dans l’huile. (bis)

Refrain.

Des gobis jusqu’aux mulets, elle en connaît des milliers. (bis)

Refrain.

Des anges à l’île de beauté, tous vos veux s’ront exaucés. (bis)

Refrain.

Lou capeu su la testa len tu va fair la festa. (bis)

Refrain.

Si tu n’as pas ton chapeau, avec elle jette-toi à l’eau (bis).