Un nouvel hôtel des polices va voir le jour en lieu et place de l’ex-hôpital Saint-Roch, déménagé depuis 2015 à Pasteur. Il comprendra les services de police municipale et nationale, une première en France. Une énième déclaration d’amour à la police qui, loin s’en faut, n’est jamais totalement satisfaite, et qui par un syndicalisme surpuissant obtient désormais tout ce qu’elle désire. Par Edwin Malboeuf

Ce vendredi 9 décembre au matin, l’hôpital Saint-Roch est plein. De policiers, de commerçants du quartier invités par la mairie, d’élus, de journalistes. Tout ce beau monde ne vient pas se faire soigner. L’hôpital n’est plus usité depuis plusieurs années. Non, tout le monde attend la venue du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et du maire de Nice, Christian Estrosi, pour inaugurer le lancement du chantier de l’hôtel des polices en lieu et place de l’ancien hôpital. A Nice, laboratoire sécuritaire depuis plusieurs décennies, un nouveau pas a été franchi avec ce nouvel édifice. Celui d’un grand bâtiment patrimonial visant à accueillir en son sein police municipale et police nationale. Une première en France. On en a de la chance à Nice. En pénétrant l’enceinte de l’ex-hôpital Saint-Roch, érigé en 1858, observant les immenses colonnes circulaires, le toit vitré, les arbres et les coursives, on se demande si le bâtiment est classé monument historique. Christian Estrosi répond un peu plus tard à cette question dans son allocution, rejetant comme à son habitude la faute sur autrui et anticipant la question du déménagement d’un hôpital du cœur de ville : « Nous sommes rentrés au patrimoine mondial de l’Unesco en 2021, qui protège désormais 550 hectares de la ville. Mais en 2009, lorsque le projet a été lancé, ce bâtiment ne l’était pas ». Selon lui, c’était un souhait de Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, de déménager à la périphérie est de la ville dans le quartier de Pasteur l’intégralité des services de soins pour y construire « un hôpital du XXIème siècle » (à vous de deviner ce que ça veut dire). Elle n’est pas là pour répondre, pratique. Mais Christian Estrosi, soucieux de ce qu’allait devenir Saint-Roch lui avait demandé de « se porter acquéreur » du bâtiment pour y installer « un lieu digne » pour la police, « sans doute la plus grande opération immobilière en matière de sécurité intérieure de notre pays ».

A noter que le bâtiment est en grande partie financé par l’Etat, à hauteur de 200 millions d’euros qui en sera propriétaire in fine. La Ville met elle, 15 millions sur la table. Bien évidemment, n’ayons crainte, tout sera mis en œuvre pour conserver la beauté du lieu malgré les travaux, avec en sus, une dimension écologique et « un chantier exemplaire » en la matière, selon les architectes et le groupe Vinci, en charge du projet. D’hospice aux allures monastiques où l’on y pansait les plaies, ce sera désormais un temple moderne où l’on y matraquera les symptômes de la société.

Après la supervision, l’hypervision

Dans ce futur hôtel de polices, on trouvera les services de la police nationale (sécurité publique, police judiciaire, police aux frontières, sécurité intérieure, centre de recrutement et de formation, inspection générale), ceux de la municipale, un nouveau Centre d’hypervision urbain et de commandement (CHUC), et une nouvelle Agence de gestion des risques notamment environnementaux. A noter donc que l’IGPN partagera ses locaux avec les agents qu’elle est censée contrôler. A manger tous les midis ensemble, pas sûr que l’étanchéité nécessaire au contrôle soit effectif. Après son Centre de supervision urbain aux 4000 caméras, Nice se dote désormais d’un Centre d’hypervision urbain. Sans doute, le précédent était-il trop myope pour combattre le crime qui gangrène tant notre chère Nice. Ou alors la Ville attend patiemment la législation en vigueur sur la reconnaissance faciale et la police prédictive que Christian Estrosi souhaite mettre en œuvre depuis des années. Les étages supérieures comporteront également des salles de crise et de commandement dignes d’un film de SF américain, probablement pour anticiper la 8ème Guerre mondiale ou un astéroïde qui s’écraserait à Nice. Ce qui ne manquera pas d’arriver.

On connaît le refrain : La sécurité, première des libertés

Puis est venu le tour du ministre accusé par deux fois de viol (lire plus bas). Dans son discours, Gérald Darmanin a déclaré, non sans ironie, qu’il avait la crainte « qu’avec un si bel hôtel de polices, les fonctionnaires de police souhaitent passer plus de temps au commissariat que sur la voie publique ». C’est drôle comme nos craintes semblent inversées. Nous lui avons fait part de la nôtre, faisant remarquer que contrairement à tous les autres services publics de l’Etat à l’agonie, celui de la police se porte particulièrement bien. Est-ce parce que, comme le montrait le « Complément d’enquête » de France 2 du 1er décembre, au ministère de l’intérieur ce sont les syndicats qui font la loi, justifiant ainsi tous les arbitrages en faveur de Beauvau ? Il répond :« Les policiers sont à l’avant garde de la sécurité et donc des libertés publiques. S’il n’y a pas de sécurité dans une ville, il n’y a pas toutes les autres libertés. Si vous avez peur d’aller travailler, d’emmener votre enfant à l’école, votre liberté d’aller et venir, ou de manifester y compris votre opposition au ministère de l’intérieur. C’est normal que la sécurité soit au cœur des politiques publiques. Je me réjouis que le ministère de l’intérieur ait 15 milliards d’euros supplémentaires. Vous y voyez la marque des syndicats. J’y vois la marque du président de la République. Et peut-être ayant été ministre des comptes publics pendant trois ans, je sais comment on récupère de l’argent à Bercy. Peut-être que c’est une bonne chose pour les années à venir. Je suis très heureux d’avoir été celui qui a apporté, après l’arbitrage du Président de la République qui était une promesse de campagne, cet argent supplémentaire pour nos concitoyens », a-t-il répondu reprenant à son compte cette vieille antienne réactionnaire que l’on trouvait sur les affiches électorales de Jean-Marie Le Pen dans les années 1990 « La première des libertés, c’est la sécurité ». Une idiotie sans cesse ressassée, qui reviendrait à dire que la Chine qui utilise les techniques sécuritaires les plus en pointe du monde, constitue donc le pays le plus libre au monde.

L’Etat nous protège, ou se protège de nous ?

Puis il poursuit sur l’allocation de cette enveloppe de 15 milliards pour le numérique. « Vous savez ces 15 milliards d’euros, c’est très concrètement des rénovations de commissariat comme aujourd’hui mais c’est aussi pour 8 milliards d’euros la transformation numérique et cyber du ministère de l’intérieur. Aujourd’hui, quand vous rentrez dans un commissariat c’est comme dans les années 60-70, alors que tout a changé autour de nous ». Il est vrai, les flics sont encore à la machine à écrire et au papier carbone. «  Je souhaite transformer le numérique au ministère de l’intérieur car les menaces cyber sont quotidiennes. Elles vous touchent, elles touchent les hôpitaux. Nous accueillons les Jeux olympiques et la Coupe du monde de rugby, le Tour de France ici à Nice grâce au maire. Une attaque cyber-terroriste sur les hôpitaux qui ont des plans blancs, en même temps que des feux rouges par exemple, avec une attaque de drones armés, c’est ça la menace de demain. Pour cela il faut de l’argent et il faut transformer l’administration de la police nationale, pour passer d’une police qui était efficace mais qui a fait son temps, à une police qui va aussi vite que la voiture numérique du délinquant.  ».

A imaginer de tels scénarios, on comprend mieux l’angoisse permanente dans laquelle vit une partie des citoyens. A moins que là encore, ce ne soit pas tant de la prévention de menace, mais plutôt une justification par la menace, réelle ou supposée, de ces crédits qui ont surtout vocation à sécuriser le palais. Avec de tels fondés de pouvoir à Beauvau, la police de France peut augurer un bel horizon.

Puis on lui rappelle sa participation à une manifestation de policiers en 2019, organisée par une intersyndicale, dans laquelle l’un des syndicalistes avait clamé au micro que « le problème de la police, c’est la justice ! ». Est-il en accord avec cette affirmation ? « J’ai déjà eu l’occasion de dire que nous devons travailler main dans la main avec la justice. Je n’oublie pas que le Garde des Sceaux est Niçois. Dans sa ville, je veux dire que nous faisons un bon duo. Il y a évidemment de meilleures synergies à avoir. Les policiers vous savez, c’est comme les magistrats, ils appliquent les lois de la République. Et nous nous battons pour améliorer le service public de la sécurité et de la justice. D’ailleurs je vous ferais remarquer que les moyens d’augmentation du ministère de l’Intérieur sont en proportion inférieurs aux moyens d’augmentation du ministère de la Justice, parce qu’il y avait plus de rattrapage à faire au niveau de la Justice ».  Une belle synergie en effet qui pose tout de même question quand Christian Estrosi tient à rendre hommage à Xavier Bonhomme, procureur de la République présent dans la salle, « car cette relation entre le parquet, le préfet et les services de sécurité intérieure sont une relation telle, que nous voyons que celle-ci porte ses fruits dans les chiffres de la baisse de la délinquance dans notre ville »

Le syndicalisme comme moyen de pression

L’économiste Paul Rocher, auteur de l’essai Que fait la police ?, rappelle que, loin du mythe du manque de moyens, la police est en réalité « le véritable enfant chéri des gouvernements depuis près de trente ans » (1). Une nouvelle preuve avec ce nouveau cadeau à Nice, alors que la ville est déjà la plus dotée de France en agents, en caméra, et en budget. On espère pour Christian Estrosi que les bourgeois apeurés par leur ombre qui pensent vivre à Chicago dans les années 1930, cœur de son électorat, sauront se souvenir de ce nouvel acte de bravoure pour leur sécurité aux prochaines élections. Par ailleurs, le soir même sur BFM Côte d’Azur, Laurent-Martin de Frémont, secrétaire départemental syndical SGP Police, geignait du manque de moyens osant même un « ça va dans le bon sens, mais on veut des actes ». A croire que tant qu’ils ne rouleront pas tous en Porsche, fusil d’assaut à la main avec permis de tirer à vue, ce ne sera jamais assez.

Ils réclament toujours plus. Ils ont par ailleurs bien raison de le faire. Après de longues années à comprendre le principe du syndicalisme, la profession est désormais la plus syndiquée de France à hauteur de 90% (!) depuis les élections professionnelles de ce même 9 décembre. Le bloc Unsa-Alliance Police marqué à l’extrême droite, allié à onze autres syndicats, l’a emporté et devient «désormais majoritaire au sein du Comité social d’administration du ministère» (2). C’est grâce à ce rapport de force qu’ils parviennent à satisfaire le moindre de leurs caprices inutiles et coûteux (train gratuit pour les policiers, 26 Renault Alpine pour la gendarmerie). Mais dans ce rapport de force, le gouvernement y trouve son compte également. Ce n’est pas du tout de la sécurité de la population dont il se soucie mais surtout de la sienne. Il a été dit au moment des Gilets jaunes que la République avait tenu à un cordon de CRS : « Si les gens sont encore en poste dans les ministères, que notre Président est encore en poste, c’est grâce à eux. Et personne ne le dit. », relatait un CRS en 2019, un an après le fameux 1er décembre 2018 (3). En investissant autant dans les politiques sécuritaires, l’Etat protège ses policiers et se protège par la même occasion en prévention des futurs mouvements sociaux qui ne manqueront pas d’arriver tant la situation sociale du pays se dégrade.

Collages féministes contre Darmanin censurés

Enfin, lors de l’inauguration du chantier il est à noter une nouvelle illustration de l’effet Streisand (4). Face au futur hôtel des polices se trouve une librairie féministe, Les parleuses. Alors qu’elles ont vent de la venue du ministre, elles font appel aux Colleuses niçoises qui viennent tapisser les vitrines intérieures et extérieures de la librairie de messages comme « Qui sème l’impunité récolte la colère », « Violeurs, on vous voit, victimes, on vous croit » ou encore « Sophie, on te croit », en référence à Sophie Spatz-Patterson, qui avait porté plainte contre le ministre pour viol. Ces messages sont collés tôt le matin à 7 heures. Puis elles repartent. Alors qu’elles reviennent pour ouvrir leur commerce à 9h45, elles trouvent leurs vitrines masquées par de grands draps noirs. Et des flics en civil qui procèdent à leur contrôle d’identité. Les collages extérieurs ont été arrachés. Ceux de l’intérieur masqués. Lorsque Maud, l’une des gérantes, demande si elles sont en infraction, le policier lui répond : « Vous savez la frontière entre la légalité et l’illégalité… ». Celui-ci et ses collègues n’ont fait qu’exécuter les ordres reçus disent-ils. Les ordres de qui ? On ne saura pas. Mais on imagine bien la panique des services de sécurité devant ce sacrilège profane de la probité du ministre en matière de viol. Et c’est là l’effet Streisand. Sans la tentative de censure, nul n’en aurait sans doute parlé. Or là, tous les médias mainstream présents à l’inauguration ont relaté la censure grotesque. On enjoint en tous cas nos amis les flics à venir se documenter à la librairie d’en face lorsque ceux-ci seront installés dans leur hôtel de luxe fin 2025. Cela les aidera peut-être à mieux comprendre les violences faites aux femmes et à éviter de questionner la longueur de la jupe quand des victimes se présentent pour agressions sexuelles dans leurs locaux.

Crédits photos (page instagram des Colleuses de Nice)

Notes :

           (1) Paul Rocher, « En finir avec le mythe du manque de moyens dans la police », Libération, 7 octobre 2022
  1. « Elections professionnelles dans la police : le puissant syndicat Alliance largement en tête en s’alliant avec Unsa-Police », AFP, 9 décembre 2022
  2. Lisa Guyenne, Thibaut Lefèvre « “Le 1er décembre, l’Élysée aurait pu tomber” : un CRS raconte le chaos des “gilets jaunes” l’hiver dernier », France Inter, 12 novembre 2019
  3. L’effet Streisand désigne un phénomène médiatique involontaire. Il se produit lorsqu’en voulant empêcher la divulgation d’une information que l’on aimerait cacher — qu’il s’agisse d’une simple rumeur ou d’un fait véridique— on aboutisse au résultat inverse.