Les sans-abri dérangent à Nice. Encore plus lorsqu’ils sont toxicomanes. Ils étaient sous un pont, sous la voie Mathis depuis plusieurs mois. Mais l’été arrive, et les touristes bourgeois avec, qui emprunteront cette montée menant au musée Marc Chagall. Ils ont été délogés ce matin, sans proposition alternative, en justifiant un réaménagement de l’espace vert. Photos, texte et vidéo par Edwin Malboeuf
Il est 8 heures ce vendredi 17 juin. Coincées sous le pont de la voie rapide, juste au dessus de la gare des trains de Nice Ville, cinq personnes dorment encore. Cela fait plusieurs mois que Marine et ses quelques compères sont installés ici. Sur proposition d’Eric Ciotti en personne selon elle à l’époque. Mais hier soir, veille de fin de campagne pour le second tour des législatives, et pour procéder à des travaux de réaménagement de l’espace, la mairie a décidé qu’ils devaient partir. Où ? Aucune idée, et ce n’est pas le problème de la mairie (si). Celle-ci sait parfaitement par ailleurs qu’ils déplacent le problème plus qu’ils ne le règlent. C’est la politique estrosiste : cachez cette misère que je ne saurai voir. A peine leur a-t-il été donné un papier signifiant l’interdiction de « bivouaquer », avec un certain nombre de lieux proscrits correspondant plus ou moins à l’entièreté de la ville. L’un des agents municipaux explique qu’il existe des solutions avec les accueils de nuit. Peut-être fait-il mine de ne pas savoir qu’ils sont tout le temps plein, avec très peu de places disponibles, qu’on y accepte pas les chiens, et qu’il faut quitter les lieux dès le matin après le déjeuner.
Plusieurs services municipaux sont mobilisés ce matin donnant une impression de disproportion face à ces cinq personnes : espaces verts, cellule squats, agents de propreté de la voirie, une dizaine de policiers municipaux. Même un élu, Franck Martin, 21ème adjoint au maire, délégué aux commerces, aux marchés, à l’artisanat, et au territoire Hauts de Nice arrive avec sa Tesla, et vient serrer quelques mains. D’après nos sources, c’est la « pollution visuelle », qu’entraînerait ces personnes toxicomanes à la rue, qui a motivé le délogement du début de cette montée, l’avenue Biassini, pour aller au musée Marc Chagall. Un chemin fortement emprunté par les touristes ayant commencé à débarquer en masse sur la Côte d’Azur. Et auxquels il faut donc masquer cette misère sociale. Aucune solution, aucune prise en charge, aucun contact autre que celui de la demande de déguerpir. Et encore. D’après Marine, notre présence ce matin a sans doute poussé les équipes municipales à plus de mansuétude qu’à l’accoutumée. Avant notre arrivée sur les lieux, c’est à la sirène qu’ils les ont réveillés. Et d’ordinaire, selon Marine c’est brimades, insultes et blagues. Qui n’ont tout de même pas manqué finalement (voir la vidéo en fin d’article).
Par ailleurs, policiers et agents municipaux n’hésitent pas à venir nous intimider en nous expliquant qu’il est interdit de filmer, et que si nous diffusons, ils porteront plainte.
Nice, village Potemkine
Après avoir attendu sagement une heure que les résidents trient leurs affaires et les déplacent sur le trottoir d’en face, les policiers commencent à s’impatienter. Ils finissent par venir enfin leur parler pour la première fois et invitent les agents de nettoyage à venir procéder à l’évacuation des affaires restantes dans le camion benne. En une heure, le site est nettoyé. En face, les nombreuses valises et affaires du groupe de sans abri s’est amoncelé. Probablement qu’elles resteront là, et que Marine et les autres se seront seulement déplacés de quelques mètres. Une opération vile et absurde, aux frais du contribuable, dans l’unique but de dresser un décor Potemkine pour touristes argentés et riverains allergiques à l’empathie.
L’après-midi, après être repassé, des arbres, un terrassement et des tuyaux d’arrosage avaient déjà été installées. Une efficacité et un savoir-faire niçois redoutable dans l’ignominie. Nul doute, que bientôt, spécialité locale, des grilles et des caméras suivront. Il ne faudrait pas que le touriste, sur sa balade estivale le menant au musée Chagall, puisse remettre en question l’image lisse et dorée de Nice qu’on lui a vendu.
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