Première circonscription Alpes-Maritimes : des candidats, des suppléants, des journalistes, des lumières, des écrans et beaucoup de faux-semblants. Et deux anarchistes niçois qui font un reportage sur leur pote insoumis, Olivier Salerno. Un reportage écrit et vidéo exclusif, à regarder absolument avant le second tour -où le candidat estrosiste, arrivé troisième, a refusé de se désister.

Olivier Salerno, je le connais un peu, depuis quelques années, je sais d’où il vient et ce qu’il défend : un prof en lycée pro, engagé dans un syndicat de l’éducation, investi dans des associations et toujours présent dans les luttes. De père marocain et mère française, il a rencontré l’école publique alors qu’il était un enfant qui découvre la République, alors que son père avait fui la dictature d’Hassan II. Curieux du monde, des gens, soucieux de s’instruire et expérimenter, Olivier se considère, je pense, comme un éternel apprenti qui, bossant avec des gamins, est naturellement animé par une multitude de pulsions de vie.

Je vois son parcours et ses luttes, je sais à quoi il est confronté au quotidien puisque sa boussole indique toujours la défense des plus pauvres, des racisés, des stigmatisés, des plus éloignés des services publics et d’un état protecteur. Je sais qu’il se cogne au réel, tous les jours, ce réel qui est toujours à sa place dans le vrai monde. Les autres candidats, j’ai pu discuter un peu avec eux, j’ai écouté leurs conversations, posé des questions sur leur parcours, et je pense que pour bon nombre de bourgeois, nous sommes passés définitivement et de manière ouateuse dans l’ère de la post-vérité. L’ère de « le réel c’est ce que je vois avec mes œillères et ma petite lorgnette », si bien que toute discussion est inéluctablement biaisée, car basée sur leurs poncifs et préjugés de classe. Ils ne se cognent pas, ils planent et planifient, gèrent et font gérer.

Une suppléante de droite, discutant chaleureusement avec moi, me dit son bonheur d’être niçoise, « on respire bien ici hein ? ». Euh oui mais non, puisque la qualité de l’air est dans la moyenne haute des endroits les plus pollués de France, même que ce matin j’ai lu « alerte à la pollution : la qualité de l’air est majoritairement dégradée ». « Ho vous croyez ? », petite moue et sourire avec les yeux tout à fait sympathique, « mais non, je ne pense pas, regardez, il y a la mer et le bon air qui vient des Alpes ». Son sourcil droit s’est relevé quand j’ai parlé des particules fines, elle n’y a pas cru, elle ne les voit pas. « Et ça va empirer » ai-je ajouté, « avec l’extension de l’aéroport ! ». « Non ça c’est bien prévu, ça ne polluera pas plus, c’est sûr, et puis tout le monde est content de pouvoir se dire quand il veut, tiens je pars à New-York ce soir ». Je complète en parlant du sur-tourisme, mais la dame, militante déjà du temps du RPR dit-elle, possède plusieurs restaurants sur le port et ailleurs, et nombre de ses amis possèdent des hôtels. Voilà pour l’intérêt général.

Le candidat LR a une belle histoire, lui : il a travaillé à Nice, raconte-t-il, a été au chômage à Nice, et a ouvert une entreprise d’acheminement de produits fabriqués très loin et apportés dans un autre très-loin. Sa proposition marchande est « Pilotez vos expéditions sur tous les axes du monde avec les plus grands transporteurs nationaux et internationaux du monde à des tarifs avantageux ». « Personne ne me connaît, c’est ma première élection, quand j’ai vu que Ciotti passait chez Le Pen, j’ai envoyé un mail à Paris, moi qui n’étais même pas encarté, et j’ai été investi. Au moins maintenant on reconnaîtra ma tête ». Oui, quand vous verrez une publicité pour sa société, vous reconnaîtrez son visage souriant. Je remarquais néanmoins qu’il ne prenait pas beaucoup la parole lors des débats, je questionne sa suppléante qui me répond : « Ben qu’est-ce que vous voulez qu’il dise ? Il n’a rien à dire et voilà. Au moins il n’a pas dit de conneries ». Je pense qu’elle a remarqué mes yeux ébahis et en a ri. Il est là pour être face à Ciotti, pas pour embêter l’estrosiste très grand de taille, et puis pour sourire, et éventuellement faire de la pub pour sa boîte. Voilà pour l’intérêt général.

Le très-grand, lui, est adjoint au maire de Nice, il est là pour faire carrière, aucun scoop, il ne semble même pas s’en cacher. Il connaît tout le monde et claque la bise au journaliste de Nice-Matin qui anime le débat. Cette connivence ne heurte bien sûr personne, ils sont collègues de travail. Lui est venu avec tous ses éléments de langage macronistes et ses prismes datés sur la société et l’économie. Il dit que l’insécurité est grandissante à Nice, il parle donc ici de son bilan, par conséquent il propose d’adopter encore plus des solutions liberticides qu’il propose avec son camp et son maire afin que les touristes puissent venir plus nombreux et que les activités économiques territoriales puissent prospérer. Voilà pour l’intérêt général.

Si Olivier se cogne au réel, ces gestionnaires-là vivent dans l’abstraction et partagent le même cadre de pensée, la même vision, la même analyse et les mêmes solutions, une appréhension de la réalité où les études et les enquêtes ne pèsent rien face à ce qu’ils voient et imaginent, ce qu’ils fantasment même, ce qu’ils extrapolent et ce qui leur fait maladivement peur. Ils peuvent donc dire sans sourciller qu’Olivier représente des antisémites notoires, qu’une guerre civile se prépare entre religieux, que le chaos va s’installer, sans le début d’une démonstration ou la convocation d’études sérieuses.

L’ineptie est maîtresse, elle les anime, qu’importe les véritables connaissances quand il suffit d’affirmer ce qui vous passe en tête, aidé en cela par les pros des lumières médiatiques. Qu’importe les arguments raisonnés qu’Olivier a bûché durant des nuits, eux n’ont travaillé aucun sujet et partent du principe que la vérité à dire traversera leur esprit et sera formulée par leurs lèvres. De toute façon, ce qui marque les spectateurs, c’est autre chose.

Prenez France 3 : des pros. Accueil courtois, lumières parfaites, couleurs du plateau flashy et douces à la fois, image léchée, maquillage impeccable et maintien corporel bien rôdé. Le cirque débute, les débatteurs sont prêts et remettent une dernière fois en place leur cravate pour ceux qui en portent une. Cinq minutes de questions sur Ciotti qu’est pas là et que quand même ça pose un problème démocratique, n’est-ce pas ? Oh oui c’est vrai, oui il a peur, oui il est trop gêné pour venir, oui mais je vous ai fait la surprise d’apporter sa photo comme ça il est un peu avec nous (l’adjoint au maire sort un portrait du député sortant). Cinq minutes sur « keske vous ferez au deuxième tour ?», oh je vais rien dire aujourd’hui, oh je lutte pour gagner, oh on verra bien, oh c’est pas le sujet. Moi, je me questionne sur les lèvres sèches d’Olivier, je sais que la clim du studio est en panne et qu’il y fait mille degrés, je me dis que décidément le mec de droite a vraiment un joli sourire, je constate que le très-grand est non seulement imposant mais fait aussi de grands gestes pour occuper l’espace et se montrer convainquant, si ses grands bras appuient son propos c’est qu’il dit vrai. Et puis, distribution de questions qui appellent les réponses attendues et mille fois entendues, chacun son tour, merci à tous, ce fut un bel exercice de démocratie.

« Tout ça n’est pas sérieux », c’est ce que j’ai dit à Edwin qui prenait le son pour le reportage, rien n’est sérieux, ces gens ne sont pas sérieux. D’ailleurs j’ai beaucoup ri en regardant le présentateur se faire maquiller longuement son crâne chauve afin qu’il ne brille pas à l’écran. Ou en observant sa collègue se recoiffer durant cinq minutes en se contemplant sur le moniteur. Des pros du maquillage, du cadrage, des lumières, allez chercher le sérieux ailleurs. Olivier voulait parler du logement, son combat est que chaque famille puisse bénéficier d’un toit. A-t-il réussi ? Je ne sais pas, pour moi il avait les lèvres sèches, effet du lipstick rosé qu’on lui a appliqué, je l’ai su après. Le réel n’a pas été convoqué, les lumières étaient artificielles et ont plastifié les acteurs comme leurs saillies.

Je sais que tous ces circassiens ne sont pas forcément plus intelligents ni plus instruits que le commun, on pourrait pourtant le croire vu les privilèges dont ils bénéficient médiatiquement. Ils participent à la fabrique de l’information, alors qu’ils sont eux-mêmes sous-informés, sous-cultivés, et que cela ne les intéresse pas de faire des efforts de lecture, ils n’en ont d’ailleurs probablement pas le temps. La qualité de l’air, l’insécurité, l’immigration, y a qu’à renifler, regarder et fantasmer pour affirmer « car vous savez bien que… descendre dans la rue pour s’apercevoir que… car tout le monde le sait ». Et comme il y a la mer et les Alpes…

Olivier le bosseur, l’informé, l’impliqué, le prof, lui qui se cogne au réel, a malgré tout tenté d’apporter un peu de raison et d’arguments construits dans ce fatras lumineux et suintant la consanguinité sociale et culturelle, face à une médiocrité de plus en plus assumée semble-t-il, face aux évidences falsifiées et au déni de réalité. Mais dans cette ère irréelle, où l’on peut vous affirmer que ce chien devant vous est une jolie vache, et si vous résistez on vous traitera de vachophobe et vous passerez tous vos plateaux suivants à vous justifier sur l’amour que vous portez aux vaches, dans cette ambiance de post-vérité, « post-factuelle » disent les sociologues, la raison n’a plus la côte.

Et Ciotti dans tout ça ? Ben il n’a voulu débattre avec personne, ce jour-là il se filmait depuis Saint-Martin-Vésubie où il affirmait avoir sauvé le village des récentes intempéries, accusant Estrosi de n’avoir rien fait (j’imaginais son petit crâne chauve nager à contre-courant dans le fleuve en crue pour sauver des p’tits vieux, mon héros), avant de retourner s’enfermer dans un bureau. L’union d’extrême-droite nous aura donc épargné les nausées liées à sa présence, c’est toujours ça de pris.

Par Bob

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Le documentaire vidéo est en accès libre par là : https://blogs.mediapart.fr/mouais-le-journal-dubitatif/blog/030724/une-journee-de-campagne-avec-le-nouveau-front-populaire-chez-ciotti