Alors que l’après-match France-Maroc a donné lieu à diverses violences de la part de groupes d’extrême-droite, nous republions un reportage réalisé il y a quelques mois à Lyon, d’où le combat culturel nationaliste se propage dans toute la France. Inutile de dire que, depuis, le constat s’est aggravé.

Le 21 mars 2021 aurait pu être un dimanche tout à fait normal à Lyon. Les rues de la Croix-Rousse, quartier historique très apprécié des touristes, sont calmes. Mais à 14 heures, une foule de 50 à 60 hommes vêtus de noir, portant des casques de moto et des gants molletonnés, fait son apparition. Ils marchent dans les petites ruelles jusqu’à la bibliothèque anarchiste « La Plume Noire », où a lieu une distribution de nourriture. A coups de pierres, ils brisent les vitres et tentent de pénétrer dans le local. « Nous avons réagi rapidement, avons fermé les volets et réussi à les dissuader d’entrer par effraction à l’aide d’un spray au poivre », se souvient Julien, l’un des gérants du lieu. L’attaque a duré à peine une minute, mais a choqué tout le quartier. Des vidéos de l’agression sont diffusées dans toute la France. « Les agresseurs étaient clairement identifiables et ne portaient pas de cagoules. Des catholiques d’extrême-droite, des hooligans et des identitaires violents ont pu défiler en pleine journée depuis la vieille ville jusqu’au quartier de la Croix-Rousse, attaquer une bibliothèque de gauche et revenir tranquillement avant de prendre une photo avec une banderole volée », fustige Julien, la colère dans la voix. « Heureusement, seules les vitres ont été détruites, personne n’a été blessé, mais ça aurait pu finir autrement », conclut-il.

Libraire anarchiste la Plume noire, Lyon

A Lyon, les actes de violence d’extrême-droite font partie du quotidien. Ils se produisent une à deux fois par mois, parfois même plus. De manière générale, le Vieux Lyon est considéré comme une « no-go zone » [un endroit où on ne peut pas aller] pour les personnes –nombreuses- qui ne correspondent pas à la vision du monde de l’extrême-droite. Mais les quartiers de gauche de la Croix-Rousse et de la Guillotière sont également de plus en plus souvent le théâtre d’agressions. La plupart des personnes touchées par ces violences sont des personnes perçues comme étant de gauche ou immigrées. Les services de sécurité estiment le nombre d’individus violents d’extrême-droite à Lyon entre 150 et 300 personnes.

« Lyon est leur capitale, leur laboratoire. De là, ils répandent leur guerre physique et culturelle dans toute la France », m’explique au téléphone Alain Chevarin, ancien professeur et chercheur sur l’extrême-droite à Paris. « La ville est catholique et bourgeoise, la Vierge Marie est son symbole, c’est pourquoi elle est devenue le centre des opposants au mariage homosexuel. L’université conservatrice Lyon 3 a favorisé la diffusion d’idées païennes et identitaires, et les maires de centre-droit ont toléré pendant des décennies la violence physique de la droite tant qu’elle ne visait pas la ville et ses symboles », analyse-t-il.

Á Lyon comme ailleurs, les extrêmes-droites prennent de nombreuses formes et viennent de mouvances idéologiquement diverses. Les royalistes, par exemple se distancient des agressions : aucun de ses camarades n’aurait été impliqué dans des actions violentes, me déclare Hugo*, responsable de l’Action Française Lyon. Cela ne correspondrait pas selon lui à l’action des royalistes. « Les personnes violentes sont exclues du groupe ou le quittent d’elles-mêmes », affirme-t-il. Pourtant, tous.t.es les intervenant.e.s auxquel.les j’ai parlé m’ont confirmé avoir aperçu des membres de l’AF parmi les attaques des dernières années. A leurs côtés, les identitaires, qui tiennent un bar et une salle de boxe à Lyon, agissent en revanche de manière plus violente, bien que leur groupe le plus connu, Génération Identitaire, ait été dissous en mars. « Ils défendent une identité européenne blanche et quasi-aryenne contre l’islam », explique M. Chevarin. A cela s’ajoutent des groupes qui font le lien avec les néonazis : les nationalistes révolutionnaires, dont les deux groupes les plus connus – Groupe Action Défense et Bastion Social – ont également été dissous, même si l’on peut douter du caractère effectif de ces dissolutions. Maintenant renommés Audace Lyon et Lyon populaire, ils assument leur violence comme « autodéfense contre les antifas » mais aussi comme « moyen politique légitime », comme l’explique un porte-parole anonyme de Lyon Populaire par message privé : « Le but de notre structure est de diffuser nos principes issus du nationalisme-révolutionnaire à l’échelle locale, par l’activisme, l’action sociale et la formation», précise-t-il. Concrètement, les divergences entre ces groupes se font peu ressentir. « Bien qu’il y ait des différences idéologiques entre eux, depuis un ou deux ans, ils se réunissent pour attaquer physiquement leurs adversaires. C’était moins le cas auparavant. C’est un phénomène effrayant », estime M. Chevarin.

Il n’est donc pas étonnant que les groupes d’extrême-droite soutiennent de concert le candidat nationaliste à la présidence, Eric Zemmour. Le « journaliste » d’extrême-droite a été condamné pour incitation à la discrimination raciale en 2011 et a été jusqu’à présent accusé de racisme et de viols dans 16 procédures pénales. Alain Chevarin estime que si Zemmour peut aujourd’hui se présenter comme candidat, « c’est notamment parce que l’extrême-droite a rendu les idées nationalistes acceptables, comme à Lyon ». « L’atmosphère en France est atroce, le racisme banalisé et les agressions se multiplient », estime Julien. « Nous craignons une explosion de violence en mai 2022, lors de l’élection présidentielle. Qui sait ce qui se passera à ce moment-là ? », soupire-t-il.

« Nous avons montré que nous pouvions nous défendre nous-mêmes. Si le candidat d’extrême-droite Zemmour remporte l’élection, toutes les associations féministes de France devront mener un combat antifasciste offensif », explique raconte Marion, du service d’ordre du Planning Familial. « Des personnes perçues comme des étrangers et des femmes vivent déjà concrètement aujourd’hui à Lyon ce qui se passera dans toute la France si l’extrême-droite arrive au pouvoir », affirment de leur côté Safak et Sacha, membres de la Jeune Garde, un groupe antifasciste fondé en 2018 dans la banlieue lyonnaise de Villeurbanne.

Les antifascistes critiquent souvent de l’attitude passive de l’État face à l’extrême-droite. Une altercation entre le groupe antifasciste autonome Gale et des catholiques fondamentalistes de la Civitas, à la mi-décembre à Lyon, a renforcé leurs suspicions : sept membres du groupe antifasciste ont alors été arrêtés et traduits en justice. « Le procureur a organisé un procès politique contre nous », s’indigne Axel, 29 ans, membre du groupe. « La police avait coupé les vidéos de surveillance des caméras de manière à nous faire passer pour des agresseurs. En revanche, les catholiques qui nous avaient provoqués et attaqués n’ont pas été arrêtés ». Au lieu de cela, un policier les aurait même appelés pour organiser le procès. Le « procès des sept » de décembre 2021 laisse supposer que la police, le procureur et la préfecture entretiennent peut-être des affinités, voire des contacts avec des groupes d’extrême-droite, même si personne ne l’admet officiellement.

Cependant, ni la préfecture de police, ni la mairie, ni la préfecture n’ont répondu à mes demandes d’interview. Il semble que l’on n’aime toujours pas parler ce genre de sujets qui fâchent.

Par Philippe Pernot, reporter tout-terrain

*Le nom a été modifié à la demande de la personne.

Article initialement paru en Allemand dans le Neues Deutschland (Berlin). Traduction libre avec DeepL, relue et révisée par Mačko Dràgàn. Philippe Pernot est un photoreporter actuellement basé au Liban ; pour l’aider à bouffer, donnez-lui du boulot, commandez-lui des piges !