En août dans les Alpes-Maritimes, les violences contre les personnes en situation d’exil se sont multipliées de façon alarmante. Le collectif Progetto 20K dénonce ces attaques, l’opacité des conditions de détention des mineur·e·s non-accompagné·e·s, et le silence complice qui fait de la frontière une zone de non droit, de déshumanisation et de violence impunie. Communiqué.
Depuis, au moins, le dimanche 20 août 2023, de nombreuses informations circulent sur des violations encore plus alarmantes que les pratiques quotidiennes révoltantes et illégales des forces de l’ordre au poste de la Police aux frontières Pont Saint Louis (Ponte San Luigi), Menton, Alpes-Maritimes. Au lot des violations habituelles s’ajoutent la détention étendue d’environ 70 mineur·es non-accompagné·es depuis dimanche 20 août au moins (soit il y a déjà 4 jours), l’émission de documents d’expulsion à au moins 2 mineurs non-accompagnés, et l’agression physique d’une famille sur un train italien.
Menton était en première page des bulletins météo métropolitains ce mercredi 23 août 2023, pour avoir quasiment atteint le record de température nocturne minimale sur le territoire métropolitain. Cette canicule est donc insupportable de jour comme de nuit. Malgré ça, la police française continue sa pratique, indigne et dangereuse en plus d’être illégale, de détention de personnes dans des containers au poste frontière Pont Saint Louis (surplombant la Marina de Menton). A tel point que des dizaines de personnes y sont maintenues pendant de heures voire des jours, sous un grillage à la merci du ciel. En cette période caniculaire, il y a plusieurs dizaines de mineur·es qui sont enfermé·es, et ce depuis plusieurs jours. Les chiffres qui nous ont été rapportés par des travailleur·euse·s social·e·s d’une structure d’accueil pour mineur·es non-accompagné·es en Alpes-Maritimes sont les suivants:
– 68 mineur·es, lundi 21 août à 21h
– 78 mineur·es, mercredi 23 août au matin
– 72 mineur·es, mercredi 23 août à 22h
Cette situation n’est pas sans rappeler que cette détention collective, arbitraire et étendue de mineur·es arrive régulièrement à la frontière : le dernier épisode en date remonte à avril 2023.
Captures d’écrans d’une vidéo prise par un mineur détenu le lundi 21 août 2023 dans la prison de police aux frontières, l’après-midi, Pont Saint Louis, Menton, France. La photo montre des gens assis dehors sur le béton, certains en plein soleil. On aperçoit le grillage qui recouvre l’endroit où sont assis les gens au niveau du toit.
Qui plus est, de par plusieurs témoignages de personnes refoulées en Italie, la police s’adonne à une pratique dénoncée depuis des années : la falsification des dates de naissance. Le témoignage de Siaka est édifiant à ce sujet :
“Mardi 22 août, on m’a appelé, seul. On a vérifié mes empreintes : les renseignements qui sont sortis sont ceux qui ont été enregistrés à mon arrivée en Italie : j’ai reconnu la photo de moi qui a été prise à Lampedusa. Ensuite on a pris à nouveau mes empreintes mais sur une autre machine et on m’a pris en photo. Je ne savais pas ce que la police était en train de faire, on ne m’a rien expliqué. On ne m’a rien demandé non plus, on ne m’a pas posé de question. Je sais que certains autres jeunes ont parlé avec une personne qui n’était pas un policier et qui leur posait des questions sur leur âge, la situation de leur famille, comment ils étaient arrivés ici. J’ai vu cette personne mais elle ne m’a pas parlé. On m’a ramené dans la pièce et après un certain temps, on m’a appelé à nouveau. Là on m’a donné des documents à mon nom, mais ma date de naissance et mon lieu de naissance avaient été changés. C’était marqué que j’étais né en 2005 alors que je suis né en 2007, je ne connais pas le lieu de naissance qui est marqué et parfois c’est même écrit que je viens de Guinée Bissao alors que je suis originaire de Guinée Conakry. Ce document est une obligation de quitter le territoire français avec interdiction de retour sur le territoire français pour un durée de un an.” (Siaka (prénom modifié) mineur enfermé à la Police aux Frontières à Menton de dimanche 20 à mardi 22 août, refoulé en Italie avec une OQTF et une IRTF, témoignage fait à Vintimille, Italie, le mercredi 23 août 2023)
Siaka a été visé par une nouveauté 2023 dans l’arsenal des pratiques illégales de la police sur cette frontière : l’émission d’Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) à des mineur·e·s, sans procédure réglementaire d’évaluation de la minorité par le département des Alpes-Maritimes. Déjà en janvier 2023 un mineur s’était vu refouler avec une OQTF sans que le département lui remette un quelconque rapport d’évaluation de sa minorité motivant sa décision. Dans ce cas précis, la police ne pouvait ignorer la minorité de Siaka puisqu’il leur a présenté une photo de son acte de naissance. Ils ont de plus consulté les fichiers de police italiens qui identifient bien cette personne comme mineure. Sans procédure réglementaire, la police qui attribue des dates de naissance aux gens de manière arbitraire ne peut que constituer une falsification. La falsification de documents est un délit, qui plus est en écriture publique, et la non-assistance à des mineur·es isolé·es est une violation des droits de l’enfant.
Au moment de ce communiqué, la situation reste sans solution ni justice pour les jeunes détenus ni pour ceux à la rue des deux côtés de la frontière. Lamentablement, l’inquiétude des autorités en vue des fortes chaleurs est bien sélective.
Photo prise par un mineur détenu le lundi 21 août 2023 dans la prison de police aux frontières, la nuit, Pont Saint Louis, Menton, France. La photo montre des gens qui dorment à même le sol sur le béton entre les différents containers de la prison de la police aux frontières.
Les agressions de la police aux frontières : violence, racisme et impunité
Le 22 août en fin de journée, un train partant de Vintimille à destination de Cuneo à été contrôlé par la gendarmerie nationale française. Ce train a la spécificité de desservir 5 gares françaises qui font systématiquement l’objet de contrôles d’identité par les autorités, bien que son terminus soit en Italie. A l’arrivée dans la première gare française (Breil-sur-Roya), la gendarmerie inspecte le train et demande les documents d’identité aux passager·ère·s racisé·e·s, plus susceptibles selon leurs critères de voyager illégalement. Une famille composée d’un homme, une femme enceinte de 7 mois et un enfant en bas âge sont pris à partie par 3 gendarmes de la compagnie d’intervention “Gendarmerie India 14/6”, ayant un comportement excessivement violent et anxiogène malgré la présence d’un enfant en bas âge terrorisé et celle de témoins qui filment la scène et interpellent les forces de l’ordre à coup de “arrêtez!” ou “lâchez-là!” Une scène d’une violence hors normes (car la violence est de norme ici à la frontière, mais là on passe un cap rarement franchi) qui a interpellé bon nombres d’associations ainsi qu’un avocat qui à pris en charge la défense de la femme interpellée et mise en garde à vue pour “rébellion et violences envers une personne dépositaire de l’autorité publique (PDAP).”
Selon Maître Zia Oloumi, elle voyageait avec un billet et “ne savait pas que ce train italien Vintimille-Limone passait par la France. Elle s’apprêtait avec le père de son enfant et le petit d’un an et trois mois à faire une demande l’asile en Italie.”
Le mari ainsi que l’enfant ont été renvoyés en Italie (à pied) le lendemain matin, après avoir été privés de liberté dans les locaux de la police aux frontières de Menton. Ce ne sera qu’en fin de journée, après une longue garde à vue, que la femme pourra les rejoindre à Vintimille.
Cet enième épisode de violence policière s’inscrit dans le long sillage des abus de pouvoir, des contrôles au faciès et des aggressions physiques et verbales en direction des personnes en exil, et plus largement des personnes racisées. Ces pratiques s’accompagnent d’une rhétorique politique fascisante ainsi que de projets de lois (nouvelle loi asile-immigration en cours d’élaboration) et dispositifs de contrôle toujours plus dangereux et hors de contrôle (la “Border force” de la première ministre Elisabeth Borne visant à “sécuriser nos frontières”, l’emploi de drônes pour patrouiller les sentiers de montagnes, le budget alloué à la sécurité, en hausse de 1,05 milliard d’euros du budget du ministère de l’intérieur entre 2022 et 2023 selon Le Monde).
Nous dénonçons ces violences quotidiennes, nous dénonçons l’opacité des conditions de détention des mineur·e·s non-accompagné·e·s, nous dénonçons le silence complice qui fait de cette frontière une zone de non droit, une zone de déshumanisation et de violence impunie.
Nous tenons également à alerter les journalistes, élu·e·s et autres profesionnel·le·s consterné·e·s que cette frontière produit et reproduit ce type de violence 365 jours à l’année, et que si l’amplification et la médiatisation de ce genre de séquences sont importantes, il est aussi primordial de mettre en place des centres d’observations pérennes et des structures de soutien juridiques et politiques directement sur le territoire.
Un policier fait ce qu’il veut même lorsqu’il est surveillé, organisons l’auto-défense collective.
FILMEZ LA POLICE, SOUTENEZ LES GROUPES LOCAUX DE PERSONNES EN EXIL, ENGAGEZ VOUS CONTRE LE RACISME SYSTÉMIQUE.
Progetto 20K, Vintimille, 24 août 2023
Mise à jour du 24 août 17h : Des officiers de police sont en train de vider le poste de police de Pont Saint Louis des détenu·e·s mineur·e·s sans prise en charge. Les policiers emmènent les mineur.e.s aux gares de train proches et dans des structures pour mineur.e.s (sauf que les structures sont pleines en ce moment) sans autorisation. Ils conduisent les mineurs dans des centres déjà pleins, les laissent là et s’en vont sans donner au centre aucune info ou documents. Les centres se retrouvent avec des jeunes qu’ils ne peuvent pas accueillir.
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Vague de chaleur, de détentions abusives et de violence policière sur la Côte D'Azur -
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