Je suis énervé. Par le gouvernement, les factures de gaz, l’idée de travailler jusqu’à la mort… diverses formes d’agacement, sans centre de gravité. Il semblerait que les deux tiers de nos concitoyens français sont dans le même état d’esprit. Puisse cet agacement devenir moteur. Et que prédomine le désir de se fédérer et partager nos agacement communs.

Hou punaise, aujourd’hui je suis énervé ! Mais je ne sais pas pourquoi. Je vois bien que j’ai les dents serrées et que je guette le moindre écart chez mes concitoyens pour sauter à la gorge de l’un d’entre eux. Me reviennent en mémoire des moments agaçants, des gens agaçants que j’aimerais avoir en face de moi pour leur déballer tout le mal que je pense d’eux. Envie d’insulter, d’humilier même, envie de remettre en place du haut de mon arrogance, de tomber sur un gars qui jette ses déchets par la fenêtre de sa voiture et lui vider un container de pourriture sur la gueule. Envie de répondre à une réflexion de ma collègue d’il y a trois semaines, j’avais souri de manière bienveillante, ben là je lui verserais bien ce café brûlant sur les pieds, en ajoutant une petite réflexion sarcastique.

Je réfléchis, mais il ne m’est rien arrivé de particulier ce matin pour agiter mes neurones agressifs, ni hier, en fait tout va plutôt bien, si ce n’est… le monde quoi, mais ce n’est pas nouveau que le monde m’agace et me révolte. Ce ne sont pas ces deux cafés forts que j’ai bus, ni les trois kilomètres à vélo à 7h30 qui m’ont agacé, les rues étaient plutôt dégagées. Mon amoureux m’a réveillé avec un petit déjeuner et les animaux de la maison ont été câlins. Ah, j’ai regardé un zapping sur Internet, mais ce n’est pas ça, je tourne autour sans parvenir à comprendre pourquoi mon cerveau est en ébullition.

Une piste : l’idée de travailler jusqu’à la mort grâce à la “réforme des retraites”. Oui, l’idée m’est insupportable, et je n’ai encore pas rencontré quelqu’un qui pense différemment. Le travail m’agace ? Non pourtant, l’obligation quotidienne m’agace, mais me rendre utile a plutôt tendance à me désagacer. Bon alors, à qui m’en prendre ? Qui souhaite avoir l’honneur de subir ma malveillance misanthropique ? Le problème c’est qu’en cette période où l’on serre les rangs contre un gouvernement qui nous considère ouvertement comme de la marchandise, je ne vois que des alliés autour de moi. J’ai même défilé dans la même manif que Alliance Police ! Avec l’extrême-droite armée dont la violence est dite cruellement « légitime » !

Je suis passé tout à l’heure devant le gouffre laissé par le théâtre “démonté” au cœur de Nice, l’agacement triste vous connaissez ? Et l’agacement blasé en constatant que de nouvelles caméras urbaines ont poussé dans la nuit. L’agacement culpabilisé en recevant une énième prune récoltée dans le cadre de mon emploi, toujours le même radar à la sortie du tunnel, perdre de l’argent en travaillant vous connaissez aussi ? L’agacement sidéré devant les factures de gaz et d’électricité. L’agacement frissonnant après avoir coupé le chauffage. L’agacement tremblant, le rageux, le dépité, le larmoyant, l’atterré, le peureux… Toute cette panoplie se déplie sans définir véritablement son centre de gravité.

Faut-il accueillir et alimenter ce sentiment en se laissant traverser par le germe de la révolte ? Peut-être pour se prouver qu’on ressent encore cette braise, ce besoin de lutter, de trouver un objet de mécontentement et déployer courage et intelligence pour faire plier l’adversaire. Au moment-même où les deux tiers de nos concitoyens français sont dans le même état d’esprit.

Tiens, l’agacement devient moteur. Prédomine le désir de se fédérer et partager nos agacement communs. Qu’importe si mon pied gauche est lié à l’obligation du lever minuté, de la course à vélo dans le froid d’un Nice au trafic dense ou à ce que je viens d’entendre sur France Info et dont je m’efforce à déconstruire le propos fallacieux, l’agacement peut être canalisé, à moi d’y donner un sens, à dériver son énergie au profit d’un commun qui me dépasse.

Ma grand-mère parlait de la “locomotive de la vie” : on arrête de geindre et on avance, en claironnant des tchoutchou joyeux et conquérants. Au lieu de verser du café sur les pieds de ma collègue, je la retrouverai avec joie dans un cortège sur Jean Médecin, je lui offrirai même le dernier Mouais. Mains dans les poches ou poing levé, dans un tourbillon d’agacements communs métamorphosés en revendications et objectifs de résistance, non seulement mes dents se desserreront, mais il se pourrait bien que ma misanthropie disparaisse.

Par Bob pour https://mouais.org/

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