Le 29 octobre dernier sur France Inter, c’est le drame : Guillaume Meurice compare en direct Benyamin Netanyahou, premier ministre israélien d’extrême-droite, à « une sorte de nazi, mais sans prépuce ». Résultat : une suspension, suivie d’un renvoi à l’issue d’une procédure kafkaïenne. Retour avec lui sur cette histoire, sur le rôle de l’humoriste, et sur la mise au pas de l’audiovisuel public.
Mačko Dràgàn : Lors de notre dernier entretien, il y a deux ans [Mouais n°28, mai 2022], tu me disais, et cela paraît aujourd’hui cruellement ironique : « Nous on est un peu le village d’Astérix, on a notre bureau dans notre coin, on rigole, on boit des coups… On n’est pas du tout dans l’ambiance de la rédac’, c’est même pas le même étage ». Donc voilà, le village d’Astérix est terminé, César-Jupiter a fini par gagner ?
Guillaume Meurice : Le passage en hebdomadaire de notre émission [« c’est encore nous », émission quotidienne, était devenue « le Grand dimanche soir »], à la rentrée dernière était déjà quand même un signe inquiétant. Puis, une bonne semaine avant ma mise à pied, donc en mai, Adèle Van Reeth [directrice de France Inter, par ailleurs compagne de Raphaël Enthoven, NDLR] nous a annoncé la suppression d’un tiers du budget de l’émission. La suite, tu la connais… J’ai donc plutôt tendance à considérer qu’ils ont utilisé ça, le procès en antisémitisme supposé de cette blague, comme un argument commode, sans eux-même trop y croire. D’autant que la justice française, suite à la plainte [déposée par l’Organisation juive européenne, et qui a donné lieu à une enquête préliminaire menée par la brigade de répression de la délinquance contre la personne du parquet de Nanterre], avait acté qu’il n’y avait pas de problème, et a donc validé la blague ; j’étais donc sûr de pouvoir la faire.
M.D. : C’est d’ailleurs justement ça qui a coincé, non ? Que tu fasses en direct une blague sur le fait que la justice avait validé cette blague ?
G.M. : Exactement. Et puis, ils ont beaucoup changé de discours, de stratégie, d’éléments de langage au fur et à mesure de leurs prises de parole publiques. D’abord, c’était la blague. Après, ça a été la mise en garde de l’ARCOM. Après encore, ça a été l’attitude que j’aurais eue vis-à-vis d’eux. Ils ont pas mal louvoyé, tout simplement parce que c’est un vrai problème de liberté d’expression, en fait. Et personne ne l’ignore. Ils savent donc que s’ils vont sur ce terrain-là ils sont sûrs de perdre, ce qui les pousse à instrumentaliser d’autres éléments.
De mon côté, je vais aller aux Prud’hommes. Je suis en train de monter le dossier avec mon avocat. Ça va être un peu long… Mais tu sais quoi, ils s’en foutent, en vrai, de cette histoire. Ils s’en foutent de gagner, de perdre, parce que que ce n’est pas leur pognon. C’est ça qui est terrible. Ils s’en foutent de dilapider les ressources de l’audiovisuel public. Et c’est très problématique qu’ils agissent comme du patronat de base, comme s’ils étaient propriétaires de la boite et qu’ils avaient investi leur argent dedans, comme un boulanger avec ses trois employés.
M.D. : On l’a d’ailleurs vu tout l’an dernier avec la façon dont ils ont voulu dégager l’émission. L’émission mise en remplacement s’est plantée et ne sera pas reconduite, ils ont perdu des parts d’audience… Il y a vraiment un choix délibéré de s’en battre les steaks, de perdre beaucoup d’argent dans cette histoire… Même en termes gestionnaires, c’est assez délirant.
G.M. : Ouais, c’était la cata (rires). Mais ils font tout ça en service commandé, sans logiques économiques ou gestionnaires derrière. On leur demande de dégager Meurice, ils dégagent Meurice, c’est tout, ils font le taf.
C’est pour ça que pendant les convocations, les entretiens, que je faisais avec un représentant syndical car je suis syndiqué à Sud, n’étaient pas de haute volée quoi. J’aurais bien aimé que cela soit l’occasion d’un débat sur le service public, le rôle de l’humoriste, il y aurait eu plein de choses à dire, dans cette procédure, mais ça n’a pas été le cas. Malgré les soutiens en interne, les pétitions, etc., ils n’ont pas changé de ligne, pas débattu. Ils ont obéi aux ordres.
M.D. : Charline a dit dans un entretien 1 que si jamais tu t’étais excusé, peut-être que cela aurait pu sauver des trucs. Tu penses que c’est vrai, ou que de toute façon ils t’auraient viré ? Ou la question de présenter des excuses ne s’est pas posée pour toi ?
G.M. : A aucun moment je ne me suis posé la question. Je suis humoriste, j’ai fait une blague, pourquoi je m’excuserais pour avoir bien fait mon travail ? C’est pourtant ce qu’on m’a demandé, et c’est ce que j’ai répondu à Sibyle Veil [directrice générale de Radio France] la première fois que je l’ai eue au téléphone, c’était donc en novembre. Ça devait être le mercredi, genre trois jours après la chronique. Elle m’a dit que ce serait bien que je fasse un mot d’excuse, j’ai dit, « bah non ». Puis elle m’a dit que ce serait bien que je prenne la parole pour dire que vous êtes conscient d’avoir choqué les gens, je lui ai dit « bah si je fais ça aujourd’hui je fais ça toutes les semaines en fait, et ma chronique elle s’appelle Pardon ».
C’est ridicule. Mais ce sont des gens qui cèdent facilement aux pressions. Je lui ai expliqué que si elle m’appelait, c’est juste car Pascal Praud avait décidé d’en faire un sujet, de cette blague. Et donc qu’elle cédait aux pressions de l’extrême-droite, mais ça c’est son choix, son attitude, pas la mienne. C’est sa life, pas la mienne (rires).
M.D. : Et du coup l’émission s’arrête à la rentrée prochaine, et il reste juste Charline en matinale et Waly Dia on ne sait pas où ? C’est vraiment la fin de la dernière enclave gauchiste sur l’audiovisuel public…
G.M. : Exactement, je crois que c’est ça, après je t’avoue j’ai pas tout suivi, mais je crois que c’est ça. Après, au-delà du côté gauchiste ou pas gauchiste, c’était surtout un endroit de l’audiovisuel public français où il était encore possible de faire de l’humour satirique, c’est-à-dire de l’humour sur l’actu, avec un regard critique sur les gens qui sont censés nous représenter, tu vois ce que je veux dire ? Ce sont des espaces de liberté qui se réduisent de plus en plus. Et le service public garantissait ça, car il était supposé être beaucoup moins soumis à la pression, déjà économique, car on a moins de pub, et politique, car les dirigeants sont censés être « indépendants ». Tu noteras que je mets des guillemets (rires).
M.D. : Au moment de notre dernier entretien il y avait la fin de la redevance télé, mettant à mal le financement, et maintenant c’est la réforme Dati, avec son projet de fusion de l’audiovisuel public, reportée mais toujours dans les cartons. Beaucoup craignent un retour de l’ORTF, et elle-même ne s’est pas caché que l’ORTF elle trouvait pas ça si mal 2. On a donc vraiment l’impression qu’il y a un agenda politique, idéologique, une offensive globale contre le service public d’information, avec derrière Bolloré & co, et le RN qui pousse pour tout privatiser…
G.M. : De toute façon, c’est ça l’objectif final, c’est de privatiser, tu connais tu le truc. Pour privatiser un service public, c’est toujours la même technique, il faut le faire dysfonctionner, comme ça tu le revends pas cher à tes copains millionnaires. Ça, ça marche partout, dans tous les services publics, dans tous les pays. Donc quand les gens me disaient « Vous faites beaucoup d’audience, ça vous protège », je leur répondais que ça n’était même pas dans leur grille de lecture. Limite, ils auraient aimé qu’on fasse moins d’audience, ils auraient pu nous virer plus facilement. Ou en tous les cas avec moins de bruit autour de nous, moins d’articles… Mais voilà, si l’émission qui nous remplace fait moins d’audience, ils s’en foutent. Ils ont juste répondu aux ordres de nous jarter, ou bien ils ont été zélés au point de vouloir supprimer toute parole un poil contestataire, car tu parles d’enclave gauchiste, mais on était quand même des bisounours. S’ils ont peur de gens comme moi, qui suis juste pour une meilleure répartition des richesses, les droits des femmes, l’écologie… C’est qu’il leur en faut peu !
M.D. : Et du coup, vous allez créer un club avec Didier Porte [viré en 2010 pour un « j’encule Sarkozy »] et Pierre-Emmanuel Barré [ami proche de Guillaume, qui a quitté Inter en 2017 après qu’on lui ait refusé un sketch pro-abstention au moment du second tour Le Pen – Macron] ?
G.M. : (rires) Ben on commence à être nombreux sur la liste ! Nicole Ferroni [non reconduite en 2021 pour des raisons encore obscures], Florence Mendez [elle est partie après avoir fait état du « harcèlement » qu’elle aurait subi dans l’émission « La Bande originale » de Nagui]… Mais en interne, ça s’organise. En mai et juin, il y a eu des grèves pour moi, et des grèves contre justement le projet de réforme de l’audiovisuel public. Et les grèves pour moi, c’était pas tant en solidarité que sur le principe que si ça m’arrive à moi, ça peut arriver à toutes les personnes qui défendent plus ou moins le même combat, et qui se font la même idée de la fonction du service public. Donc il y a eu ça, ainsi qu’une motion de défiance de la rédac’ vis-à-vis d’Adèle Van Reeth. En 12 ans à France Inter, je n’ai jamais vu ça. Ça n’a pas tellement d’impact au niveau juridique, mais c’est quand même la rédaction de la première radio de France qui dit à sa patronne : « vu ce que vous avez fait ces derniers temps ont ne vous fait pas du tout confiance », donc vraiment ça n’est pas rien. Je ne sais pas si c’est déjà arrivé, c’est à toi de vérifier, c’est toi le journaliste après tout (rires) [vérification faite, donnez-moi un Albert Londres, ça ne semble être jamais arrivé à Radio France, mais en 1996, le Président de France Télévisions Jean-Pierre Elkabbach a du démissionner deux mois après une motion de défiance, de même que le directeur de l’information du même groupe, Laurent Guimier, en 2022].
M.D. : Comment tu as accueilli la nouvelle de la décision de l’ARCOM (ex-CSA) de ne pas renouveler les fréquences TNT de C8 et de NRJ12 ? Une petite victoire idéologique tout de même contre des chaînes d’extrême-droite ?
G.M. : (fait la moue) Mouais… Pour moi, ça risque ambigu. Et de toute façon, l’ARCOM, c’est un un problème. Ils se considèrent comme indépendants, mais le patron de l’ARCOM, il est nommé par Macron. Donc, fin de la blague. Ce n’est que des stratégies politiques.
Ils virent C8, mais ils laissent Cnews… Enfin bon, pour moi, c’est assez inaudible. Et en plus, pour mettre quoi à la place ? Une chaîne du Printemps Républicain [Raphael Enthoven, compagnon d’Adèle Van Reeth on le rappelle, récupère un créneau TNT]. Pour moi, c’est pas pas sérieux, c’est pas démocratique. Je me suis pas réjoui, même pas par petit plaisir coupable. Je trouve que ça victimise Hanouna qui va de toute façon façon faire faire la même chose sur Canal +. Je trouve la stratégie, déontologiquement et pragmatiquement, assez nulle. Mais c’est des macronistes, donc je ne suis pas étonné que leur stratégie soit nulle (rires). Je me suis dit « Ah ouais, ils font de la merde. Comme d’habitude ». Ils sont dans la réaction. Je les ai vu à l’œuvre dans mon histoire : ce sont de sens qui paniquent énormément. Ils n’ont pas de stratégie à long terme. Il ont juste voulu un peu taper les doigts sur Bolloré, mais ça ne va rien changer. Il va faire pareil ailleurs. Le problème, c’est la détention des médias par des milliardaires, on ne va pas tourner autour du pot. Moi, je te ferais une grande convention citoyenne des médias et je te balayerais tout ça avec la voix des gens : Qu’est-ce que que vous voulez des gens ? Comment vous voulez être informés ? Avec qui ? Avec quoi ? Qui contrôle tout ça ?
M.D. : Mais du coup face à l’offensive réactionnaire à l’œuvre, c’est quoi les derniers espace qui nous restent ?
G.M. : Je vais faire faire une réponse en deux temps. Le premier, c’est que je suis d’accord avec toi, c’est les faf qui imposent leur tempo. Moi, dans ma polémique, ce qui m’a surpris, ce n’est pas que les fafs soient des fafs et qu’ils me détestent. Ils jouent leur partition, c’est normal. Ce qui m’a surpris, c’est que les macronistes embrayent autant, et qu’ils jouent dans l’orchestre, en faisant même les solistes. Mais bon, l’alliance des libéraux et des fachos, dans les période de tension, ça s’est toujours passé comme ça. Quand il faut sauver leur cul, les libéraux, ils ne voient vraiment aucun inconvénient au fascisme.
Et pour ce qui est des derniers espaces de liberté qui nous restent… Là pour l’instant, on a Internet, mais c’est un espace de liberté très précaire j’ai envie de dire, car la chaîne télé que tu crées sur YouTube, Monsieur Google il peut te l’enlever du jour au lendemain. Et il y a les algorithmes… Donc ouais, c’est pas la panacée, quoi. Mais le merdier, c’est les rapports de domination, sur le sait. Plus quelqu’un a le pouvoir, plus va va en abuser. Donc Youtube, Google, etc., ils vont faire comme Bolloré, ils ne vont pas se gêner.
M.D. : Pour conclure, quel regarde tu portes sur la séquence que tu as traversé ? Se faire traiter d’antisémite, je suppose que ça n’est pas facile. Vous parlez-vous, entre humoristes, du fait que ça devient difficile de faire votre travail ? Est-ce que vous avez envisagé la possibilité de faire, je ne sais pas, un syndicat des bouffons et des clowns (rires) ?
G.M. : Excellente idée (rires) ! Pour ce qui est de l’accusation d’antisémitisme, c’est le tabou français. C’est un pays qui a tellement collaboré pendant la Seconde Guerre mondiale que maintenant il se refait la cerise avec ça. Donc, non, ça ne m’a pas heurté plus que ça, même si évidemment j’y ai réfléchi, car ça peut arriver à tout le monde de faire des blagues oppressives sans s’en rendre compte, car on est hélas traversé par ça.
Après, oui, j’ai reçu des menaces de mort, mon numéro a fuité… C’est le truc le plus chiant de l’histoire. Et c’est vrai que tout ça, ça peut en effrayer certains. Ce qui est arrivé à Blanche et Aymeric [qui ont fait l’objet d’un déluge de haine sur les réseaux suite à un sketch où ils ironisaient sur l’instrumentalisation des accusations d’antisémitisme contre les opposant au génocide en cours en Palestine], qui sont un peu moins rompu que moi à ce type de polémique, ça des laisses traces quand même. Ça les a inquiété. Et ce qui terrifiant, c’est que ça démonétise le terme. Car si tu te souviens, pendant que tout le monde était occupé à me traiter d’antisémite, il y avait des néonazis qui défilaient tranquillement à Paris, le 11 mai, avec leur drapeau, dans le plus grand des calmes, et autorisés par la préfecture.
Pour ce qui est de ta proposition de syndicat des humoriste, c’est vraiment une question intéressante. Je serai très curieux de voir ce que ça donne, même si ça ne marche pas. Après, c’est délicat. C’est un milieu plutôt individualiste, et surtout où le principe, c’est de ne rien prendre au sérieux, de tout tourner en dérision. Mais je me demande si on ne va pas y être contraint, à force de se faire virer de partout…
Le blocage, c’est que beaucoup d’humoristes ont peur de devenir des militants. Il y a une une crainte de ça. Le : « Non, mais nous on fait juste des blagues ». Ce à quoi je dis, d’accord, mais tu fais des blagues dans un contexte socio-économique qui fait que, si ça se trouve, tu ne vas plus pouvoir faire de blagues. Donc tu ferais bien de te de préoccuper du contexte dans lequel tu fais tes tes blagues. Et, éventuellement, d’aller en manif…
Par Macko Dràgàn. Un article tiré de notre numéro de rentrée, actuellement en vente, pour que vive la presse libre soutenez-nous, abonnez-vous ! https://mouais.org/abonnements2024/
Le programme de la rentrée du camarade Meurice ? « Écoute, je ne peux pas encore t’en parler car ce n’est pas encore signé, mais j’ai quelque plans pour reprendre l’émission à la rentrée, donc possiblement vous n’en avez pas fini avec nous ! » Il a depuis fait sa rentrée sur Radio Nova, tous les dimanche.
1 On y lit notamment : « Si elle assure ne pas en vouloir à son chroniqueur, elle juge toutefois qu’il aurait pu faire un geste envers les auditeurs « froissés » par sa plaisanterie. « Le 28 avril, il a refait sa blague à l’antenne. Je ne lui en veux pas, mais j’ai senti ce soir-là, que ça nous remettait en danger », se souvient-elle ». lemonde.fr/actualite-medias/article/2024/07/12/charline-vanhoenacker-en-a-peine-dix-ans-on-est-passe-de-je-suis-charlie-a-la-police-judiciaire_6248893_3236.html.
2 Voir à ce sujet la vidéo de Usul et Lumi pour Blast : FRANCE TV, RADIO FRANCE : LA MISE À MORT PROGRAMMÉE DU SERVICE PUBLIC, juin 2024.
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