Après l’exécution de Nahel, les quartiers populaires se sont enflammés. Et hier, nous étions des milliers à marcher contre les violences policières. Notre journaliste, «pionne» dans un lycée pro’ de banlieue parisienne, revient sur ces révoltes hautement politiques à travers divers témoignages. « Une rumeur provient du bas, échappe au brouhaha / (…) « pas de justice, pas d’paix » » (La Rumeur).
Nahel est mort, tué par la police. Il avait pour projet de faire de la mécanique auto dans un lycée pro d’île de France. Sorti du système scolaire, il s’est retrouvé confronté à tous les dysfonctionnements qui minent l’éducation publique, principalement dans des quartiers populaires confrontés à une grande pauvreté et au racisme d’État. Pour mieux saisir les enjeux de ce drame, il convient ainsi également de comprendre que ce qu’il se passe dans nos établissements scolaires publics nous concerne tous.
Le décrochage scolaire en question
Avoir les moyens théoriques d’accéder à l’éducation, en la rendant obligatoire, ne suffit pas à assurer l’égalité. La précarité des familles se répercute sur les jeunes, qui doivent assurer un travail dès le plus jeune âge. Ce sont souvent des emplois de livraison de nourriture soit pour des petits restaurants, soit via la plateforme Uber (#MerciMacron). Ce qui n’est évidemment pas sans conséquences sur le bon suivi de la scolarité, puisqu’il s’agit pour eux de travailler de la fin d’après-midi jusqu’à minuit, puis de se lever tôt pour aller à l’école. Certains passent alors leur matinée à dormir dans les salles de classe.
D’autres, c’est une triste réalité, peuvent aussi assurer des emplois dans le commerce local de drogues, en tant que veilleurs par exemple. Ce qui entraîne tout un tas d’autres problèmes, on l’imagine bien, et les expose d’emblée à une intense répression policière et judiciaire. Et comme tout le monde le sait, travailler, que cela soit de façon légale ou illégale, pendant ses études ne représente pas des conditions favorables à leur réussite ,et cela favorise bien entendu le décrochage.
Il faudrait donc élargir l’accès aux bourses et en augmenter le montant -et non mettre en place, comme dans la nouvelle réforme des lycée pro, une rémunération en contre partie du travail des lycéens en stages. Ces enfants ont le droit à l’éducation sans contrepartie comme tous les autres. Leurs stages sont des lieux d’apprentissage, et ils ne doivent pas servir de main-d’œuvre servile.
Discipline et police à l’école et dans la ville
Il y a également, dans ces quartiers, de graves dysfonctionnements internes dans le suivi des élèves lors des problèmes disciplinaires. Une fois exclus définitivement des lycées, il peut se passer plusieurs mois avant que l’élève retrouve un établissement, le laissant donc déscolarisé pendant de longues périodes. Et lorsque l’enfant vit une situation difficile, cela peut parfois mal se finir. C’est à cet occasion que j’ai pu découvrir l’existence des prisons pour mineur, appelée EPM, lieu où sont incarcérés des jeunes entre 13 et 18 ans…
Cependant, parfois il ne suffit de rien pour être confronté à l’appareil répressif. Il suffit de circuler dans son lieu de vie avec son scooter pour être sujet à des contrôles réguliers, plus ou moins justifiés.
C’est le cas de N. qui a raté son épreuve de bac un matin, à la suite d’un contrôle la veille qui a mal tourné. Il a passé la nuit et la matinée en garde à vue, bien qu’il ait informé les agents qu’il devait passer son bac. Ils n’en ont rien eu à faire. Il arrive donc au lycée à 13h, en sortant du poste, pour pouvoir passer l’épreuve de l’après-midi, sans avoir encore mangé, ni vraiment dormi. Heureusement pour lui, il s’agit d’un motif valable pour passer l’épreuve en septembre au rattrapage. Mais il peut alors dire au revoir à la possibilité de décrocher son diplôme en temps et en heure, ainsi qu’à toute velléité de préparer une orientation post-bac pendant l’été. Le harcèlement et le contrôle policier quotidien que subissent certains enfants en France jouent ainsi également sur leur scolarité.
Notes d’une soirée de révolte en quartier pop’
Les habitants sont dehors. Les femmes observent les événements depuis le pied des immeubles, au pied desquels les poubelles sont enflammées. Elles ne participent généralement pas à l’émeute. Beaucoup de grands frères sont là dehors, et surveillent ce qui se passe. Il s’agit de se protéger les uns et les autres, et les révoltés disent aux gens qui ne participent pas de rentrer se mettre à l’abri. Il y a des cris dans toutes la cité depuis les fenêtres, pour appeler à la justice après la mort de Nahel. Des cris d’indignation et de douleur, et de colère envers la police. J’entends, en passant dans la rue principale du quartier, un homme qui prononce la formule : « Cosa nostra ! »
Pour P., habitante de ce même quartier ce n’est pas nouveau, « c’est comme ça toute l’année ». Il y a régulièrement des petites révoltes ou affrontements, pour diverses raisons. Et notamment pendant le confinement, où il y a eu six émeutes. Mais elle dit que « personne n’en parle, d’habitude ».
Ce qui est frappant, c’est la connaissance du territoire par les jeunes, qui connaissent tous les lieux de replis. Il n’ont pas besoin de beaucoup de monde pour poser le « zbeul ». Le problème est que les arrestations sont hélas également très faciles pour les gens du quartier qui traînent dans les parages. Mais rien de très neuf dans ces quartiers où, comme l’a formulé Mathieu Rigouste, « la menace d’être raflé ou provoqué au détour d’une rue par un chasseur de la police renforce l’impression collective de subir une forme de domination s’approchant de plus en plus de l’occupation militaire et coloniale ».
« L’enfant qui n’est pas embrassé par le village le brûlera pour en sentir la chaleur ». Proverbe
J. arrive au lycée les yeux gonflés, les poumons bloqués, la tête abîmée et le bras cassé le jours des résultats du bac. Bien en retard.
Le personnel pédagogique lui pose des questions. Certains ne sont pas tendres. « Mais qu’est ce que t’as fait pour être dans cet état-là ? C’est sûr que si tu es allé dehors… » Nous sommes en pleine situation de révoltes. Plus aucun bus ne circule dans le quartier depuis deux jours, et les arrêts de RER sont fermés. « C’est sûr que si tu es allé dehors »… Elle le dit presque comme si ses blessures étaient méritées. J. l’interpelle alors, en lui expliquant qu’il se sent directement concerné par la mort de Nahel.
Il faut lui annoncer en plus qu’il n’a pas son bac. Nous restons assis tout les deux. Il est triste, triste. Il me raconte un peu son histoire, ce qu’il s’est passé. Je pleure. « Il fallait bien que ça arrive. Ça faisait cinq jours que j’étais dehors toute la nuit ». Il me montre prudemment des photos des feux, puis sa petite tête pleine de sang…
Les flics l’ont chopé au coin d’une rue, l’ont frappé, puis l’ont laissé là. Il s’est ensuite enfui en courant. Il rapporte, dans ses propos, le sentiment de vivre une injustice profonde. Peut-être encore le désir de vengeance, auquel pourrait se substituer encore plus tristement celui de savoir qu’il n’y a plus rien à faire.
Mais moi, je le félicite, je le remercie, je lui dis que ce n’est pas pour rien qu’il a fini dans cette état-là. Bravo J., Bravo à ses copains. Grâce à votre courage on a parlé du problème de la police française et de Nahel dans le monde entier.
1 Comment
Nadrien
Un petit article sur un journaliste qui caillasse des vitrines ? Et après on parle de violence policière ? #Mirroir