Vous aiment, bien sûr. Ou vous emmerdent, selon le cas. Et ils se sont rassemblés, les 4 et 5 juin, près de Nice, à l’initiative de votre journal favori, entre oliviers et bottes de paille, pour consolider leur réseau et lutter pour leurs droits, avec, en ligne de mire, la création d’un tout neuf syndicat de la presse pas pareille (SPPP). Contre les médias aux ordres des politiques et des millionnaires, et pour « mettre la plume dans leur gueule » comme dirait plus ou moins l’autre.
C’est donc encore à la ferme de la Sauréa, à Tourrette-Levens, dans les collines non loin de Nice, que ces êtres étranges que l’on appelle les journalistes « pas pareils » (entendre : pas pareils qu’au Figaro ou qu’à la matinale d’Inter, ou que dans tous ces médias qui ont réactivé pendant ces législatives le spectre éculé des gauchistes mangeurs d’enfants) se sont à nouveau retrouvés, à l’initiative de Mouais, pour les 2èmes Assises Intergalactiques de la presse libre, satirique et indépendante (oui à Mouais on aime les noms ronflants) pour un week-end à la fois studieux et festif. Le Ravi, CQFD, L’Age de faire, S!lence, Mediacoop, La Mule du pape, Le Poing, Acrimed, Les Autres voix de la presse, Les Crieuses d’Utopie, ou encore Youtubercule ont encore répondu à notre appel, et, parmi les nouveaux venus à la fête, on retrouve des gens du Trente-Deux, de Bastamag, de Ricochets, de la Revue Z, du Chiffon, de No Go Zone, de ?… (1)
Toute une galaxie bouillonnante, donc, de médias plus ou moins grands qui, sur tout le territoire français (voir la carte réalisée par l’Âge de Faire), travaillent consciencieusement à mettre leur grain de sel, ou de poudre explosive, dans la vaste machinerie rouillée des pouvoirs économiques et politiques, locaux comme nationaux et internationaux, tout en luttant parfois difficilement pour leur survie. Et dont une poignée d’entre eux s’est dit qu’ensemble, ils seront plus fort qu’isolé chacun dans leur coin –et qu’en plus ça permettra de faire la fête, ce qui n’est jamais négligeable.
Les journalistes indés, des êtres stupéfiants
Or donc, le vendredi 3 en milieu d’après-midi, nous nous attelons au derniers préparatifs au milieu des brebis quand nos premiers invités arrivent : ni plus ni moins que nos fieffées commères et compères de l’Age de Faire, tout fraichement débarqués des Alpes de Haute Provence. Nos deux inséparables de Youtubercule, puis un peu plus tard les potes montpelliérains de la Mule et du Poing (avec un g), débarquent eux aussi en ce lieu que Jonas, talentueux stagiaire à Mediacoop, décrit comme une « idyllique ferme entourée d’oliviers en terrasse et de pâturages ensoleillés. » Il ajoute : « Et, quand les lunettes de soleil permettent au regard de porter sur l’ensemble du site, on peut dire que toute l’équipe de bénévoles a bien fait les choses pour accueillir les nombreux médias et collectifs venus tisser des liens et des solidarités, et organiser leur avenir. »
Car c’est bien l’une des principales choses qui ressortent de ces deuxièmes rencontres intergalactiques : l’euphorie des retrouvailles. Si, lors des premières assises, nous étions en joie de nous découvrir, désormais, ce sont pour beaucoup des personnes devenues amies que nous retrouvons, le sourire au lèvre ; une ambiance de réunion de famille (et rassurez-vous, c’était très loin d’être Festen) flotte alors dans l’oliveraie.
Tout est prêt, ou presque. Une grande serre que nous avons installée couvre les coins bar et cuisine. Un dôme décoré de tissus abrite le kiosque. Une caravane montée à côté de la régie nous sert de rangement. Une toile montée devant la scène offre une ombre bienvenue –le département est en alerte sécheresse. Et jusqu’à samedi midi, les convives arrivent les uns après les autres ; l’un d’eux, Giovanni, journaliste cumulard à la Mule et au Chiffon, à Paris, fera cependant étape sur mon canapé dans le Vieux-Nice en compagnie de mon chat, ayant été moins rapide que les autres parisiens venus en stop depuis la capitale, et arrivés quant à eux dans la soirée de vendredi –qui duré jusqu’à bien tard dans la nuit, entre chants, débats trépidants, bières, punch et embrassades.
Tout ce petit monde ayant finalement survécu à la piste escarpée qui mène à la ferme (un traumatisme récurrent pour Eloïse de Mediacoop et Seb du Ravi semble-t-il), dans les alentours de 14 heures, nous lançons la première assemblée générale ; au micro, devant un parterre le cul posé sur les bottes de paille, les nouveaux venus se présentent, et les anciens s’exclament comme Pécresse : « Les amis, vous m’avez manqué ! »
Puis deux groupes se scindent pour se consacrer aux deux principaux ateliers du week-end : l’un consacré à la professionnalisation des médias indés, entre volonté d’indépendance et contraintes socio-économique (un intitulé universitaire as fuck), l’autre, teasé depuis quelques mois, sur la création d’un syndicat de lutte et de revendication : le syndicat de la presse pas pareille, ou SPPP. Sur laquelle je reviendrai bien sûr, puisqu’il continue l’avancée majeure de ces rencontres : et, n’ayons pas peur des mots, un moment historique.
De mon côté, avec la Grande Timonière de Mouais, en compagnie de Charles (Reporterre, Paris), Elian (Le Poing, Montpellier), Antoine (revue Z), Clément (l’Age de faire), Alix (No Go Zone, Saint-Denis), Frédéric (CQFD et Bastamag), Tatiana, journaliste Russe en exil, le sociologue des médias Benjamin Ferron, et même deux journalistes non-PPP venus incognitos, ainsi que diverses personnes liées ou nom à la presse, nous dissertons sur les spécificités du journalisme siglé PPP. L’indépendance, le rapport aux médias mainstream, les divers modes de financement et d’organisation des rédactions, l’éthique du métier… les questions sont nombreuses, et les réponses, variées. Une chose est sûre : nous ne souhaitons pas nous enfermer dans le précariat dans lequel une bonne partie d’entre nous est contrainte de vivre. Car sans nous présenter en martyr d’une cause perdue (ne serait-ce parce qu’en fait « à la fin c’est nous qu’on gagne », dixit Fakir), notre existence matérielle n’est pas toujours facile, et parfois, la fatigue pointe, notamment pour celles et ceux, nombreux, qui ont déjà derrière eux des années et des années de militantisme divers –ça use.
Pour sortir de cet inconfort, et pour rémunérer justement le travail des journalistes pas pareils et pareilles, une idée fuse : appliquer le statut des intermittents du spectacle à celui des journalistes indé. Après tout, ne sommes-nous pas nous aussi des « travailleurs et travailleuses culturelles » ? L’information n’est-elle pas un bien public ? Et le lumpenprolétariat médiatique présent de rêver de la belle vie qu’il aurait en touchant chaque mois 1500 euros pour enquêter ici et là, donner voix aux sans voix, organiser des rencontres, faire de l’éducation populaire aux médias… Le tout sans devoir bouffer de la semoule au beurre pour payer des croquettes à son chat (noir de préférence).
Face à l’invisibilisation, une riposte syndicale
Ce qui nous renvoie à l’idée maitresse de ces deux jours de réflexion : constituer un syndicat de la presse alternative ; une structure, financée par l’ensemble des adhérents, pour porter nos revendications, tant vis-à-vis du statut de journaliste non encarté que de la redistribution des aides publiques à la presse, tout en contribuant à l’unification de cet écosystème protéiforme de la presse alter. C’est-à-dire, comme l’a formulé mon ami Malsayeur : « Un syndicat de combat pour la presse libre ». Distinct, voire distant, du Syndicat national des journalistes (SNJ), le Syndicat de la presse d’information indépendante en ligne (SPIIL) ou encore du Syndicat interprofessionnel de la presse, des médias, de la culture et du spectacle (SIPMCS), qui ne répondent pas à nos exigences en terme de structure et de radicalité.
Le projet avait déjà été évoqué et longuement discuté lors des pré-assises organisées chez les copaines du Monte-en-l’air, à Ménilmontant, en compagnie de Socialter, No Go Zone, Mediapart et du Chiffon. La Coordination Permanente des Médias Libres (CPML) ayant du mal à relancer son activité, il paraissait urgent de reprendre le flambeau, et de s’organiser collectivement afin de mutualiser nos ressources et nos luttes, et de faire front commun dans un contexte tendu de bollorisation tous azimuts et de violence inédite du pouvoir macronien vis-à-vis de la liberté d’information.
Lors de l’atelier constitutif, un texte commun a été rédigé, dont la version finale sera très prochainement rendue publique. Le SPPP est né. Ouvert, comme le précisent notamment les camarades du Poing dans leur compte-rendu des Assises, aux organes de presse répondant à cette charte : « le média doit être possédé par ses journalistes, ses lecteurs ou une association, être dans une démarche d’information et non une simple expression d’opinions, promouvoir une société plus juste et égalitaire sans exclure aucune catégorie de personnes, et s’engager à donner 1 % de ses ventes ou de son chiffre d’affaires au syndicat. »
Parce que, oui : on en a gros. Nous souffrons de devoir subir à la fois le discrédit qui touche le journalisme en général, alors que nos pratiques diffèrent en tout point de celles de la presse dominante, et celui que nous réservent encore hélas trop souvent, quand nous faisons partie de « petits » médias locaux de contre-pouvoir, certains médias indépendants nationaux constituant des structures plus importantes, qui peinent encore visiblement à nous regarder comme des confrères et consœurs légitimes. L’un des plus éminents représentants de cette presse nous a d’ailleurs qualifiés récemment de « fanzineux » …
Face à cela, nous allons donc en revenir aux fondamentaux des libertaires que nous sommes : l’autogestion à la base. Afin de pouvoir continuer encore et toujours à « mettre la plume dans leur gueule » comme dirait plus ou moins l’autre.
Et c’est ainsi fort de ce nouveau départ que nous avons pu festoyer tout le week-end durant, dansant en nous lançant dans une traditionnelle bataille de paille (que je porte la responsabilité d’avoir lancé avec Clément de l’Age de faire, shame), pogotant de façon endiablée sur les airs trad-punk irlandais enfiévrés de Wynn, les nappes planantes de la fanfare techno Boom Brass et les déhanchement funk-hip-hop de Badbeef the Slanderous. Et tandis que nous étions là, hilares, avec l’une des plus merveilleuses qualités de sourire qu’il m’ait été donné de voir, je n’ai pu m’empêcher de me dire : on est belles et beaux, bordel. Non mais regardez-nous ! Nous sommes l’avenir, c’est certain. « Montrez-nous qu’on a tort » disait Hubert, ami militant no border infatigable récemment disparu. Ils ne le pourront pas : la beauté de notre joie prouve que nous sommes sur la bonne voie.
Comme l’a écrit le Poing en conclusion de son article cité plus haut, outre la création du SPPP, « on retiendra de ces assises de joyeux moments festifs et de bonnes tranches de rigolade ; une super fanfare, un improbable mash-up de chanson française improvisé avec de solides imitations de Brassens, Renaud et Cabrel qui aura fait rire puis saoulé tout le bar (l’album arrive bientôt) (2), et surtout, la volonté de se retrouver encore, et pas seulement une fois par an. Le réseau de la presse pas pareille se consolide, et ce n’est pas prêt de s’arrêter ! » Car l’aventure ne fait que commencer. Pour le dire comme Roxanne et Seb dans Le Ravi : « Breaking news ! La Presse Pas Pareille s’est organisée ! Une démarche essentielle. Pour sa survie. Pour préserver l’indépendance de l’information et son pluralisme. Les chiens de garde n’ont plus qu’à bien se tenir », les chats dubitatifs sont lâchés.
Par Mačko Dràgàn
Soutenez la presse libre, ABONNEZ-VOUS A MOUAIS ! par pitié : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais
Le récit du Poing : https://mediacoop.fr/07/06/2022/la-ou-la-presse-pas-pareille-se-fete-sorganise/
Le récit de Mediacoop : https://mediacoop.fr/07/06/2022/la-ou-la-presse-pas-pareille-se-fete-sorganise/
La récit du Ravi : https://www.leravi.org/medias/presse-pas-pareille/deuxieme-edition-a-nice-des-assises-de-la-presse-pas-pareille-qui-envisage-de-creer-un-syndicat/ (« des assises pour rester debout » : bravo pour le titre ! Le Canard n’aurait pas fait mieux)
(1) D’autres nous on fait faux bond au dernier moment : Nantes Révoltées, Mediapart, l’Empaillé… Dommage, mais ça fait plus de bières pour les autres.
(2) Je porte une lourde part de responsabilité dans ça aussi, shame bis