Plus de six mois après l’évacuation violente de la ZAD de Lützerath, les activistes écolos allemands tournent une page et cherchent à se réinventer. Charbon, autoroutes, gaz naturel : les fronts se multiplient. Même si « après Lützerath, j’ai eu besoin de quelques mois de pause pour me remettre, les violences policières m’ont affecté psychologiquement ». Reportage.
Lützerath a disparu, englouti dans la mine, devenu charbon et boue. Le petit hameau de Rhénanie du Nord était devenu célèbre ces trois dernières années pour avoir hébergé l’une des plus grandes « zone à défendre » allemandes. Des écolos, anars, queer, antifas de toutes sortes y avaient dressé tentes et cabanes dans les arbres, vivant selon des principes anticapitalistes et solidaires. Las, 8,000 forces de police armées de canons à eau, de cavalerie, chiens et bulldozers ont eu raison des opposants au charbon. Quelques affrontements massifs avaient eu lieu peu après, et depuis, c’est une guerre à basse intensité qui continue autour de la mine de Garzweiler 2, l’une des plus grandes d’Europe. Car si Lützerath n’est plus qu’un trou béant, les activistes tentent de défendre la route L12 et quelques éoliennes survivantes, qui doivent elles aussi céder face à l’ogre de charbon.
Alors, c’est la diversité des tactiques qui règne. Des tentatives de sabotage visent des infrastructures de RWE, l’entreprise minière en charge. Des actions médiatiques à coup de peinture repeignent les bureaux des Verts, accusés d’avoir livré Lützerath à RWE en échange de la sortie du charbon en 2030. Une veillée mobile issue de Lützerath (la « Mahnwache”) continue d’accueillir activistes, journalistes et habitants pour échanger autour de café et gâteaux – et sert de point de ralliement aux activistes. Comme ici, à Sterkrade, à une heure en voiture de Lützerath, où une forêt doit être décimée de 5 000 arbres pour un projet d’agrandissement d’autoroute.
Contre des projets autoroutiers
Des écolos y ont établi un camp climat pour un mois en juillet : la tante blanche reconnaissable et le camion rouge de la « Mahnwache » étaient postées à l’entrée, suscitant la surprise et la joie des visiteurs qui la pensaient détruite par la police à Lützerath. « Nous n’aurions jamais pensé fêter notre 4e anniversaire ailleurs que là-bas, mais tant pis, il faut bien qu’on continue la lutte », résume HaJo, un quarantenaire vétéran de la Mahnwache. Un gâteau, des biscuits, du café, du thé, et une cinquantaine d’activistes rassemblés célèbrent ensemble la survie des luttes. « Avec notre veillée mobile, on peut maintenant se rendre partout où il y a besoin de nous », explique celui qui s’était déguisé en pingouin quand les policiers sont venus l’évacuer.
La forêt menacée de Sterkrade est devenue, pendant un mois, un point de ralliement pour le mouvement écolo allemand : six mois après s’être perdus de vue pendant l’évacuation rocambolesque de la ZAD, on se retrouve de nouveau. « Après Lützerath, j’ai eu besoin de quelques mois de pause pour me remettre, les violences policières m’ont affecté psychologiquement » affirme Linda Kastrup, porte-parole des activistes à Sterkrade. « Mais c’est très vite devenu clair que même si Lützerath a été perdu, la lutte continue – et on s’est rapidement mis à s’organiser ici pour défendre cette forêt », explique-t-elle. Des tentes siglées de drapeaux anarchistes, queer, polyamoureux et antifa sont dressées sur le terrain de foot municipal – avec une cuisine collective, des ateliers, conférences et projections de films pour sensibiliser à la lutte.
Car après le charbon, c’est une nouvelle menace qui plane sur les écosystèmes outre-Rhin depuis que le ministre fédéral des transports, Volker Wissing, a déclaré vouloir accélérer 144 projets autoroutiers partout en Allemagne. Son annonce a suscité l’indignation des écologistes : non seulement le pays dispose déjà du 3e réseau d’autoroutes mondial, mais le ministre a ainsi envoyé balader ses propres engagements climatiques. Les arbres de Sterkrade pourraient être abattus dès le début d’année prochaine, alors que la forêt est cruciale pour faune et flore dans la 2e ville la plus dense d’Allemagne. Habitants en quête de verdure, salamandres tachetées et chênes centenaires s’y côtoient. « Notre camp climat vise à porter notre foret dans toute la République fédérale et à nous connecter aux autres luttes sur tout le territoire pour créer des perspectives de résistance », dit Linda.
Multiplication des fronts
Sterkrade n’est effectivement pas le seul foyer de lutte outre-Rhin. Des dizaines de petites ZAD, de camps climat et d’occupations style « Occupy Wall Street » en version écologiste ont essaimé dans la plupart des grandes villes allemandes et dans les campagnes. On trouve aussi les activistes de la Dernière Génération qui se collent à la glu sur des routes pour bloquer la circulation, suscitant l’indignation de nombreux riverains – et une vague de répression sans précédent, avec des arrestations et perquisitions pour motif de « terrorisme ». Comme Fridays for Future et Extinction Rebellion, la Letzte Generation porte pourtant des revendications assez peu radicales et accepte de travailler avec la police, reconnaissant ainsi l’autorité de l’Etat. Á contrario de nombreux activistes ayant participé aux luttes comme à Lützerath, au Hambacher Forst ou encore au Dannenröder Wald les années précédentes, souvent liés au mouvement anarchiste, queer et antifa, qui font eux aussi l’objet de poursuites pénales.
« Letze Generation sont très bien organisés pour faire la Une et susciter des réactions fortes, mais on se demande à quel point bloquer des travailleurs allant à leur boulot est pertinent », s’interroge Dina Hamid, ancienne porte-parole de Lützerath Lebt. Si elle encourage des actions comme le blocage de jets privés, elle se demande s’il ne faudrait pas aussi aborder la résilience et l’adaptabilité face aux conséquences de la catastrophe climatique. « On semble assister à une perte d’orientation chez de nombreux activistes, un éparpillement des luttes. Je me demande si c’est utile de multiplier les fronts et les ZAD », renchérit-t-elle.
Vers une convergence des luttes
Pour répondre à ces questions, le grand collectif activiste anti-charbon Ende Gelände a organisé début août un camp climat d’une semaine pour discuter tactiques et réseaux. La réponse a été très claire : après le charbon, dont l’Allemagne doit se débarrasser en 2030, le nouvel ennemi N°1 est maintenant le gaz naturel. Directement après le camp climat, le collectif a procédé à bloquer un terminal gazier à Brunsbüttel, dans le nord de l’Allemagne. Fin septembre, un week-end d’action aura lieu sur l’île touristique de Rügen, qui se voit imposer un terminal de gaz naturel liquéfié importé par bateaux de l’étranger, suscitant l’opposition d’habitants et d’élus locaux.
C’est donc une opportunité de ratisser au-delà de la bulle écologiste. « En ce moment, des alliances se forment avec des syndicats et on travaille beaucoup sur la question coloniale. On a espoir de créer une convergence des luttes avec les travailleurs et les personnes racisées », explique Dina Hamid. Après la douleur de Lützerath, c’est donc vers une refondation en douceur que se dirige le mouvement écolo allemand.