Un stage « drag-queen » pour adolescents agite les milieux réactionnaires français cette semaine, à commencer par les Zemmouristes « Parents vigilants ». Une histoire assez banale, et pas si rigolote que ça. Retour sur une énième panique morale lancée par l’extrême-droite dans le cadre d’une offensive généralisée contre le prétendu danger « woke ».
Un volonté éducative
Un stage « drag-queen » pour collégiens et lycéens en vacances, organisé par la MJC (Maison des jeunes et de la culture) de Mérignac en collaboration avec le Centre LGBTI+ de Bordeaux, affole tous les réacs de France : Valeurs Actuelles, les médias Bolloré (Cnews, Europe 1), des médias policiers (Police et réalités), RMC, Sud Radio, Résistance Républicaine, Le Figaro… et des associations de parents d’extrême-droite telles Les parents vigilants (Zemmour) et l’Association des familles catholiques (AFC de Gironde…).
Ouahou, en voyant tout ce beau monde se faire un ulcère et pétitionner (des milliers de signatures en quelques heures pour faire annuler ce stage), en entendant parler d’hyper-sexualisation des gamins, de virus wokiste (coucou mon maire Christian Estrosi qui a déclaré le 29 janvier « Je ne veux pas d’une société déchirée où les wokes seraient rois » sans réaction du Centre LGBT+ Côte d’Azur) et de contamination émanant des milieux gays, je me dis que la pathologie réactionnaire se déploie dans notre pays sans réelle résistance intellectuelle massive, avec des accents Poutiniens contre la « propagande LGBT » (ça ne veut pas dire qu’ils s’expriment avec un accent russe hein, juste avec les mêmes mots que le tsar).
L’affaire est tout conne : « Un stage drag qui casse les codes » est prévu à destination des adolescents par la MJC de Mérignac pendant les vacances scolaires de février, dans des locaux prêtés par la ville de Mérignac. On comprend qu’il s’agit de surfer sur la mode (notamment chez les jeunes) des Drag Race France (france·tv) pour faire de l’éducation populaire auprès de jeunes en questionnement sur leur sexualité et leur genre.
Seulement 4 enfants étaient inscrits au début de la polémique, on est donc encore loin du Grand Remplacement des vrais mecs virils par des tapettes en talons. La MJC organise aussi un atelier robot et une animation cirque dont on entend moins parler, alors que nous sommes pourtant Grand-remplacés par les IA et surtout par les clowns.
Le centre LGBTI+ de Bordeaux, Le Girofard, a intitulé ce stage « À la découverte du monde des dragqueens et du spectacle ! » et souhaite initier une réflexion sur le genre, les codes, les stéréotypes et apprendre aux jeunes à jouer avec les préjugés des autres. La première épreuve du stage a donc déjà débuté semble-t-il.
Les réacs réagissent
« Est-ce un âge pour apprendre à marcher sur des talons et faire une performance drag en baignant dans ce milieu-là, fait de décolletés et de maquillage à outrance ? Les drag-queens appartiennent à un monde d’adulte », expliquait au journal Le Figaro la fine psychologue Virginie Tournay, porte-parole de l’association Parents vigilants en Gironde. D’autant, ajoute-t-elle, que cette activité bénéficie de financements publics versés par la CAF, le département de la Gironde et la mairie, près de 300 000 € en 2022 clament en chœur les Zemmouristes, en omettant de signifier que ce budget couvre l’ensemble du fonctionnement annuel de la MJC et pas seulement ce stage, mais qu’importe la réalité avec eux.
D’ailleurs, il est amusant de constater avec quel zèle les Twittos et autres gazouilleurs propagent cette information d’un stage à 300 000 € pour vomir leur haine homophobe et transphobe. « Il y a une volonté de sexualiser les enfants et de le banaliser » ajoute la vigilante Virginie Tournay, « on augmente les impôts fonciers pour gaspiller l’argent public en faisant de la propagande auprès des enfants. »
Les associations catholiques (l’AFC est à l’origine de la pétition) se fédèrent entre elles avec cet os à ronger « contre des influences potentiellement inappropriées » et lancent des « alertes », écrivent des tribunes et, surtout, ont copieusement insulté les organisateurs : les responsables de la MJC ont reçu quantité de messages orduriers et menaçants, adressés par ces gardiens de la morale et de la bonne entente patriarcale. « L’exposition précoce à certains aspects du drag peut être déroutante pour les jeunes esprits en développement » précise l’association catholique, « et peut avoir des conséquences psychologiques négatives (source APA: American Psychological Association) ». Ces apprentis psychologues demandent que l’on se soucie du « bien-être mental et émotionnel de nos enfants avant toute chose », ben oui ils ont mal lu les travaux de l’APA qui a, au contraire, adopté en 2021 une résolution expliquant que « les identités et /ou expressions de genre trans et non-binaires sont saines (…), l’incongruence entre leur sexe et leur genre n’est ni pathologique, ni un trouble de santé mentale ».
Le contraire de ce qu’en comprennent les cathos bornés puisque l’APA conseille de lutter contre les stéréotypes sociaux (genre, race, âge, etc.) dès le plus jeune âge.
Polémique dans les médias d’extrême-droite
Sur Sud Radio, le très suivi André Bercoff explique que, même s’il adore les drag queen (il était fan de Michou dit-il, oui oui, la preuve qu’il n’est pas transphobe), alerte à son tour dans son émission en relayant la fausse info du budget, et exprime son avis si précieux sur la question : « quand on sait que derrière, aujourd’hui en France, et dans le monde, on permet aux enfants de commencer à prendre des bloquants pour changer de sexe, des enfants de 10 ou 12 ans… Là est la forêt que cache l’arbre de cette espèce d’initiation au drag (…) Et comme le dit très bien l’association AFC (…), pensez-vous que les enfants soient capables de se construire en pleine liberté de conscience ? ».
L’éducateur spécialisé que je suis a tenté de répondre à André que c’est justement durant l’adolescence que l’individu s’interroge sur sa sexualité, son genre, et qu’il peut en même temps questionner le patriarcat, les effets de mode, le regard des autres…, mais André a vite repris la parole dans mon poste radio : « Moi je voudrais un stage où les enfants apprennent à devenir des arbres, ou peut-être des chèvres, des chats, des chiens ».
Sud Radio, qui vient d’atteindre les 2 millions d’auditeurs (elle est classée 22ème radio la plus écoutée de France), ressort donc en 2024 des infamies entendues en 1999 lors des débats sur le PACS où certains députés redoutaient que l’on puisse également se marier un jour avec une chèvre. « On ne peut pas laisser les enfants en proie à des manipulations de gens qui ont vocation à genrer, genrer, genrer, pour de quoi ?» conclut André en puits de sagesse.
Je sais, pour obtenir des arguments convaincants, ce n’est pas à ce genre de rabougri qu’il faut s’adresser, ni lire les commentaires des internautes pour qui « la décadence commence par la perversion des âmes pures » (j’ai relevé celui-ci parce qu’il est joli) ; « aux parents de contre-éduquer, par une contre-propagande, après l’endoctrinement Woke genriste indigéniste » exorcise un lecteur de Valeurs Actuelles. Et pour l’instant, les médias « sérieux » n’en parlent pas, ne permettant pas aux Zemmouristes d’avoir une résonance. Mais d’autres s’expriment sans brides et sans garde-fou de société de journalistes.
« Grotesque, abject et manipulateur », « une volonté de sexualiser les enfants », peut-on lire dans Midi Libre. « Foutez la paix à nos enfants », s’écrie-t-on sur Cnews, « marre de cette hypersexualisation et de cette culture américaine graveleuse qui cible nos enfants avec nos impôts ! » renchérit SOS éducation… Ces diableries satanistes orchestrées par un réseau souterrain de propagandistes LGBT+ leur font si peur qu’ils pourraient presque tous déménager en Russie où Poutine leur donne raison.
La MJC tient bon
La MJC de Mérignac dit ne pas désirer annuler cet atelier si le seuil de 12 enfants y participant est atteint, donc merci aux réacs et aux cathos pour la publicité, nul doute que les demandes d’inscriptions vont affluer. Dans un communiqué du jeudi 8 février, la MJC « regrette l’instrumentalisation politique effectuée actuellement autour du stage de découverte artistique de l’art du drag proposé sur les vacances d’hiver 2024 dans le cadre de son accueil jeunes (…), l’ensemble des programmes jeunesse permet aux participants de gagner confiance en eux, de se connaître au travers de la découverte de pratiques artistiques variées ».
Elle a reçu le soutien d’autres MJC françaises et s’apprête à voir manifester devant ses locaux des réacs de tous poils, surtout catholiques à tendance fasciste, qui feront face à des adolescents bien plus avisés qu’eux. Peut-être bénéficieront-ils à leur tour d’un moment d’éducation populaire, éclairés par leurs propres enfants.