« Ne pas politiser le sport », comme l’a demandé Macron à propos du Mondial au Qatar ? Mouais. Depuis les Jeux olympiques 2016 à Rio (Brésil), une nouvelle équipe participe aux compétitions sportives : celle des réfugiés. Eyeru Tesfoam Gebru, 25 ans, Éthiopienne et coureuse cycliste rêve de faire partie de celle-ci aux prochains Jeux de Paris en 2024. Nous l’avons rencontrée dans le Vieux-Nice pour discuter de cyclisme, de la guerre civile du Tigré qu’elle a fui chez elle, et de son parcours.
Il est de certaines guerres dont on ne parle pas ou peu dans les médias français. Celle de la région du Tigré en Éthiopie par exemple. Plus qu’une guerre, un génocide civil avec l’aide d’une puissance étrangère. En 2018, Abiy Ahmed, que certains surnomment le « Macron africain »(1), est élu Premier ministre éthiopien. Depuis 1991, une coalition hétéroclite officie au gouvernement fédéral. A son arrivée au pouvoir, Abiy Ahmed entame une purge pour exfiltrer le Front de libération du peuple du Tigré (FLTP)(2) de toutes les institutions, celui-ci se retrouvant dans l’opposition après 27 ans de participation au pouvoir central. Dans le même temps, le Premier ministre opère un spectaculaire rapprochement avec l’Érythrée, pays frontalier au nord, pourtant ennemi de longue date depuis la guerre entre 1998 et 2000. Abiy Ahmed obtient même un prix Nobel de la paix en 2019 pour cet engagement en faveur de la réconciliation avec l’Érythrée. La tension entre la région autonome du Tigré et le pouvoir central continue de monter après le report des élections législatives. En novembre 2020, le gouvernement fédéral dirigé par Abiy Ahmed répond à une attaque sur l’une de ses bases militaires dans le Tigré attribué au FLTP, avec un massacre de centaines de civils dans la région. L’Érythrée envoie ensuite des troupes militaires pour un effort conjoint avec son ennemi historique pour mater les autonomistes tigréens. Depuis, les massacres se sont intensifiés, déplaçant deux millions de personnes. L’Organisation des nations unies (ONU) a tenté de tirer la sonnette d’alarme à la mi-octobre après de nouvelles attaques. « Les hostilités au Tigré doivent cesser maintenant. La situation en Ethiopie devient incontrôlable. La violence et la destruction atteignent des niveaux alarmants », a déclaré Antonio Gutierres, secrétaire général des Nations unies, soulignant le « prix terrible payé par les civils » et le « cauchemar » vécu par la population éthiopienne (3). Toujours selon l’ONU, 350 000 personnes sont en proie à la famine, 30 000 enfants sont en danger de mort et huit membres d’associations humanitaires ont été tués (4).
Le cyclisme comme échappatoire
C’est cette situation qu’a fuie Eyeru Tesfoam Gebru. coureuse cycliste éthiopienne, originaire du Tigré, elle s’est exilée pour sauver sa peau, laissant famille et amis derrière elle. Nous l’avons rencontrée dans le Vieux Nice, autour d’un café, en octobre. Depuis 2018, Eyeru évoluait entre la Suisse, au centre mondial du cyclisme, et l’Éthiopie. Lorsque la guerre éclate chez elle, elle rejoint la France. Arrivée à Nice l’an passé, alors que se profilent les championnats du monde 2021 de cyclisme sur route en Belgique, elle souhaite participer. Mais face au génocide en cours dans sa région, elle renonce. Eyeru Gebru refuse de représenter le drapeau éthiopien et ne concourt finalement pas aux épreuves. « C’était difficile de quitter le pays. Car chaque habitant du Tigré était arrêté et emmené à la capitale. J’ai demandé à ma fédération de m’aider à partir mais ils ne voulaient pas. Ils m’ont dit OK pour faire le championnat du monde en Belgique. Et je ne suis jamais revenue. J’ai changé de portable. J’ai fait une demande d’asile en France et j’ai reçu mon statut de réfugiée en décembre dernier. » A Nice, elle est épaulée par l’association Agir pour le lien social et la citoyenneté (ALC). Celle-ci l’aide à obtenir son statut de réfugiée, à se loger, et grâce aux dons parvient même à lui acheter un vélo pour reprendre l’entraînement. « Même si au fond de moi je ne voulais pas abandonner le vélo, j’avais du mal à garder une motivation. Puis j’ai continué à m’entraîner, et cette opportunité est arrivée », poursuit-elle.
Les Jeux olympiques en ligne de mire
Désormais son rêve est de participer aux Jeux olympiques de Paris en 2024. Depuis l’édition de Rio en 2016, les Jeux olympiques accueillent une équipe composée d’une quarantaine de réfugiés dans une douzaine de disciplines sportives, grâce à des bourses financées par le Comité international olympique (CIO) en partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Ils concourent sous l’égide du drapeau olympique. La coureuse éthiopienne attend actuellement sa bourse pour réaliser son objectif, sous une bannière différente donc. « En 2020, j’avais les points pour aller aux Jeux Olympiques, mais il y a eu des problèmes avec la fédération éthiopienne. Désormais, je ne veux pas représenter mon pays si je gagne une médaille. Car il est en guerre contre mon peuple. Je représenterai les réfugiés. » Compte-t-elle utiliser sa visibilité contre la guerre civile dans sa région ? « Je veux utiliser le sport pour être une voix pour les sans-voix de mon peuple. Il y a une guerre génocidaire contre les gens de ma région. Les gens meurent. Je veux simplement utiliser le sport comme un porte-voix pour mon peuple. »
Un rêve pour chasser le cauchemar
A plusieurs reprises, Eyeru mentionne les Jeux olympiques comme un rêve. Un rêve qu’elle ne pensait plus possible lorsqu’elle a quitté son pays. « Je me concentre sur mon rêve maintenant. Quand j’ai quitté mon pays, je ne pensais pas pouvoir continuer mon sport. Pendant deux ans je n’ai pas pu m’entraîner. Donc maintenant j’essaie de revenir, encore plus forte. Je ne veux pas seulement participer, mais gagner. » Elle a réussi à retrouver une équipe en France, grâce à son ancien coach, les Macadam’s Cowboys, pour financer son activité et reprendre du service. « Après deux ans sans courir, c’était dur de retrouver une bonne offre. Mais je suis contente de ce que j’ai trouvé avec eux ». Elle s’entraîne tous les jours pour retrouver son niveau, elle qui est double championne d’Afrique du contre-la-montre par équipe en 2018 et 2019. Elle parcourt jusqu’à 190 kilomètres pour s’ajuster à l’épreuve reine sur route qui en compte 160 pour les femmes. Depuis avril dernier, elle découvre la région maralpine et ses montagnes, idoines pour sa pratique sportive. Le coin accueille d’ailleurs un certain nombre de coureurs et coureuses, notamment Pauline Ferrand-Prévot, championne française réputée que Eyeru a croisée et reconnue il y a quelques semaines sur les routes de l’arrière-pays. Le cyclisme féminin, comme les autres sphères de la société n’échappe pas à la domination masculine. Depuis peu, les femmes parviennent à obtenir des salaires minimum égaux dans les équipes. « Mais il y a toujours un gros gap avec les hauts salaires », précise Eyeru. Aussi, la fédération internationale de cyclisme pousse en ce sens, et tente de combler l’écart. Des compétitions refont surface, comme le Tour de France féminin, organisé l’an passé après 30 ans d’absence, ou le Giro italien.
Aujourd’hui, Eyeru tente de se concentrer sur sa pratique sportive, ses objectifs. Loin de chez elle et de sa famille, dont elle n’a aucune nouvelle. « Je n’ai aucune nouvelle de ma famille qui vit au Tigré car le gouvernement éthiopien a isolé le Tigré du reste du monde en bloquant l’accès à Internet et le téléphone. Cela m’affecte énormément de ne pas pouvoir entendre la voix de mes proches et de ne pas savoir s’ils sont en vie ou non, comment ils survivent à cette guerre génocidaire. Ça fait vraiment très mal, mais je n’ai pas d’autres choix que de me concentrer sur ce que je peux changer. J’espère que cette guerre va s’arrêter et que mon peuple tigréen connaîtra la justice. »
Un entretien réalisé par Edwin Malboeuf
Article tiré du Mouais n°33, actuellement en vente et pour se le procurer et nous soutenir le meilleur moyen c’est encore de s’abonner : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/paiements/abonnement-mouais
Notes :
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Laura Maï-Gaveraux, Noé Hochet-Bodin « Le Tigré, victime de la réconciliation entre l’Ethiopie et l’Erythrée », Le Monde diplomatique, juillet 2021
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Créé en 1975, d’inspiration marxiste-léniniste, il milite pour l’indépendance du Tigré.
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« Guerre au Tigré : l’ONU s’alarme d’une situation « incontrôlable » en Ethiopie », Le Monde avec l’AFP, 18 octobre 2022
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Ethiopie : 350.000 personnes en proie à la famine dont 30.000 enfants en danger de mort au Tigré (ONU)