Le secteur médico-social, qui comprend tous les travailleurs et travailleuses de l’aide sociale et médicale aux personnes en situation de difficulté, s’est mobilisé partout en France hier. A Nice, environ 200 personnes se sont rassemblées devant le portail du Conseil départemental et de l’Agence régionale de Santé. Un moyen de faire pression pour faire entendre leurs revendications : de la reconnaissance, du salaire, et des meilleures conditions de travail, dans un secteur en crise depuis longtemps, morcelé, et méprisé dans cette pandémie par les pouvoirs publics. Par Edwin Malboeuf
Après la journée nationale de mobilisation du 7 décembre, le secteur médico-social était à nouveau dans la rue hier partout en France à l’appel de la CGT, auquel le syndicat SUD s’est joint. Ce mardi 11 janvier, à Nice, contrairement au mois précédent avec un défilé en centre-ville (environ 1 500 personnes), rendez-vous était donné devant l’entrée du Centre administratif départemental des Alpes-Maritimes (CADAM) et l’Agence régionale de Santé (ARS). Ces deux institutions représentent pour une bonne partie du secteur les deux enceintes tutélaires. Pendant une heure et demie, avec camion et sono, les responsables syndicaux de la CGT, de SUD se sont relayés au crachoir pour déclamer un discours devenu malheureusement tristement banal. « Pas assez de moyens, pas assez de temps. Tout le monde souffre dans le social. Le personnel mais en première ligne, les usagers. Il est grand temps de l’entendre et d’agir », entend-on. Sur ces derniers mots, applaudissements. Manque de moyens et d’effectifs, comme pour toutes les missions de service public dont la destruction est à l’œuvre depuis 40 ans. Manque de reconnaissance d’un travail « invisible aux yeux de la société ». A cela est venu s’ajouter la pandémie, les obligations vaccinales pour certains (ceux qui dépendent de l’ARS) et pas pour d’autres (ceux qui dépendent du Conseil départemental).
Et surtout, l’injustice pour ce secteur de ne pas avoir été totalement inclus dans le plan d’augmentation de salaire de 183 euros, issu du Ségur de la santé, métonymie des négociations entre mai et juillet 2020 entre le personnel soignant et le gouvernement. « Une certaine partie de nos salariés a pu y être associée car ils sont assimilés à du médical. Puis nous sur le versant social, alors qu’on fait la même chose tous les jours, on n’a pas pu avoir accès à cette augmentation de salaire », détaille Lorelei Ellul, éducatrice qui accompagne des adultes en situation de handicap à l’AFPJR, Association de formation et de promotion pour jeunes et adultes en recherche d’insertion. Comme pour l’obligation vaccinale, la scission entre les travailleurs s’est opérée sur ce critère : ceux travaillant dans les hôpitaux ont eu droit à la revalorisation, pas les autres, qui pratiquent pourtant les mêmes métiers avec les mêmes personnes.
Un secteur qui peine à se faire entendre
Devant l’entrée du CADAM, des cercueils sont déposés avec un acronyme inscrit, chacun représentant son association, en métaphore de la mort du secteur, de ses travailleurs et des usagers. Adapei pour Association départementale de parents et d’amis des personnes handicapées mentales, Adsea pour Association départementale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence, Apreh pour Association pour la réadaptation et l’épanouissement des handicapés, Feam pour Foyer de l’enfance des Alpes-Maritimes, Pep 06 pour Pupilles de l’enseignement public, Afg Autisme pour Association française de Gestion de services et établissements pour personnes autistes, Isatis pour favoriser l’Intégration, le Soutien, l’Accompagnement au Travail, l’Insertion Sociale et professionnelle des personnes souffrant de troubles psychiques… En somme, beaucoup d’acronymes pour des associations œuvrant dans un même but : l’accompagnement de personnes en difficultés. Le fondement du lien social humain, à savoir prendre soin des plus fragiles du groupe. Et l’antithèse du néolibéralisme, dont le dogme budgétaire imprègne le secteur, depuis les institutions publiques donneuses d’enveloppes jusqu’aux directions d’associations gestionnaires de ces enveloppes. A l’instar de certains secteurs du marché du travail, d’ordinaire le médico-social souffre de l’atomisation de ses acteurs en une myriade d’associations, de statuts juridiques, et d’employeurs publics et privés pour parvenir à une mobilisation unitaire et massive.
Pour autant, cette fois-ci, ce pan de la société veut se faire entendre. « Dans notre secteur, c’est nouveau, ces deux dates en décembre et aujourd’hui », affirme Esther, qui travaille en Aide éducative à domicile pour l’association Montjoye. Ça déborde, ça craque, ça se fissure. En sus d’un travail d’accompagnement de personnes en difficulté particulièrement éreintant physiquement et psychologiquement, le mépris du pouvoir en pleine pandémie réveille un sentiment de frustration présent depuis longtemps. « La plupart des gens font ce boulot-là par passion, le salaire n’est pas une des premières motivations. Mais aujourd’hui, le coût de la vie augmentant, et la crise s’aggravant, cela devient une nécessité de revaloriser ces professions-là. La vaccination, plus le Ségur, plus un secteur déjà en crise, ça a fini d’achever les personnels déjà très essoufflés », résume Lorelei Ellul.
De la thune, il y en a
Et pourtant de la thune, il y en a. Comme toujours, dans la poche du patronat… Comme l’indique un retraité de l’Adsea venu soutenir la cause, à l’époque où il était en poste à la paye, son association « pleine de pognon » affichait 470 000 euros d’intérêts de prêts il y a quelques années. Oui, oui, d’intérêts. Comment ? Grâce aux amendements « Creton » du nom du comédien Michel Creton à l’origine du décret, qui permet à des enfants passés à l’âge adulte de conserver des places en structures. Dans ce cas, l’ARS finance un surplus. Et les gestionnaires profitent de ces surplus pour investir en banque et en patrimoine. Une partie de ces intérêts a été allouée à l’achat de bureaux pour le siège social de l’Adsea au bord de mer en dernier étage d’immeuble. Du foncier pour le confort de l’administration, plutôt que des fonds pour ceux qui tiennent la maison… Joëlle Barbaglia, déléguée syndicale à l’Adsea qui compte 650 salariés, et est essentiellement subventionnée par l’ARS renchérit : « Ce n’est pas qu’on n’a pas assez de moyens. C’est que les moyens sont mal distribués ». Elle nous explique même que par précaution, l’association ne dépense pas tous ses crédits annuels, de peur que l’ARS ne réduise l’enveloppe dans les années à venir. A cela s’ajoute des cadres payés jusqu’à 10 000 euros par mois bien au-delà des grilles prévues dans les conventions collectives. Aussi, aucune personne issue du terrain ne siège au conseil d’administration.« Ils entendent les discours du terrain, mais ils disent qu’ils ne peuvent pas l’adapter à cause des injonctions des ARS ».
Quel rapport de force ?
Hier, alors que cela a pu être évoqué, les travailleurs et travailleuses présentes n’ont pas pris rendez-vous avec le Conseil départemental ou l’ARS pour discuter, négocier et déposer une liste de revendications. La farce, trop récurrente, de l’écoute passive et mielleuse, a convaincu les personnes mobilisées que la lutte se jouerait ailleurs. Mais où ? La grève ? « Ce n’est qu’un début il faut continuer… », entend-on, sans envisager toutefois de caisses de grèves pour soutenir le mouvement. Chacun sait qu’avec des salaires faibles, la grève ne s’envisage pas sur le long terme sans soutien extérieur. Au micro, il est demandé à acter dès à présent, la reconduite d’une journée de mobilisation le 1er février. La troisième en trois mois. Et les directions d’associations ? Sont-elles pressurisées ? On nous assure que oui. Elles aussi, barricadées dans des bureaux feutrés, absentes ce jour-là, devraient être à l’agenda des revendications, avec pourquoi pas, leur destitution pour faire place à une autogestion ? Les dépositaires des missions de service public savent ce qu’ils ont à faire. Nul besoin des contremaîtres gestionnaires, comptables et contrôleurs à la fois.
Après deux heures, devant le Cadam, l’assemblée s’est quelque peu diluée. Avant de partir, on remarque qu’un fourgon de police est garé derrière le portail d’entrée. Au cas où une voiture-bélier aurait voulu défoncer la porte ? Drôle d’anticipation. Quoique… C’est peut-être ça la solution pour se faire entendre. Défoncer des portes closes.