Pour cette nouvelle année, coup de griffe du chat noir aux 349 tortionnaires ayant voté la loi immigration, et aux 228 restants aussi. Par Edwin Malboeuf
Au second tour de l’élection présidentielle en 2017, 4 millions de personnes (12%) voyaient déjà en Emmanuel Macron un germe fasciste pour le pays similaire au Front national, et avaient voté blanc ou nul, un record, dépassé en 2022. En 2018, un an après la prise de pouvoir d’Emmanuel Macron, j’écrivais sur mon blog Mediapart un billet intitulé : « Un gouvernement et de droite et d’extrême droite » qui démarrait par ces mots : « Marine Le Pen pérorait le mercredi 6 juin sur l’antenne de France Culture (notons déjà l’incongruité). « Notre victoire idéologique est spectaculaire », clamait-elle, en référence aux propos de Gérard Collomb sur l’immigration » et ce même billet se concluait comme ceci : « Il faut oser le dire malgré la tristesse du propos : l’extrême droite gouverne aujourd’hui en France, du moins, indirectement. » Il n’est pas question de se faire mousser ici sur les bons oiseaux de mauvaise augure que nous ayons pu être. Mais déjà en 2018, après déjà une énième loi raciste Asile et Immigration promue par feu Gérard Collomb, qu’il ne repose pas en paix, nous le disions : ce gouvernement est d’extrême droite.
Vaines palabres
Ce 19 décembre 2023 à l’Assemblée nationale, la loi immigration s’apprête à être votée, après un flipper parlementaire où chacun s’est renvoyé la responsabilité de l’échec d’un texte « équilibré », écrit par des gens pas très équilibrés. Alors que l’apesanteur du moment aurait du permettre à des députés de gauche de tenir des discours puissants dans la défense des damnés de la terre, ce fut une avalanche de grands mots à côté de la plaque, implorant leurs « chers collègues » de droite de ne pas voter le texte (mention spéciale tout de même à Elsa Faucillon, députée communiste, qui sauf erreur, fut la seule à employer les mots « raciste » et « fasciste » quant à la dénomination du projet de loi). Au centre on a regretté l’absence de débats sur cette loi scélérate (c’est vrai quel dommage). Chez les macronistes, on a répété en boucle que ce texte n’était « pas parfait », mais qu’il y avait un texte, et qu’après tout une petite dose de fascisme vaut mieux que pas de fascisme du tout, c’est bien connu. A la droite extrême et à l’extrême droite on s’est félicité d’une victoire, politique pour les premiers, idéologique pour les seconds. L’homogénéité sociale des parlementaires est telle, qu’hormis une divergence de fond, la construction formelle des discours était la même. A coup de « chers collègues », puisant tous dans des citations historiques à droite à gauche, pour appuyer leurs propos (mention spéciale au Stéphane Plaza de l’Intérieur citant Georges Clémenceau, Napoléon et Victor Hugo dans son discours, dans un patchwork gênant de nullité qui lui aurait fait rater le concours de l’ENA).
Aile gauche ?
Que dire également de cette catégorie de politicards dits de gauche ayant donné une caution humaniste à ce pouvoir racelard depuis ses débuts ? Après tant de signaux, forts et faibles, tant d’indices et d’actes dignes de l’extrême droite la plus prégnante, comment parviennent-ils encore à justifier leur action politique ? Qu’est-ce donc que cette fameuse aile gauche de la macronie, ni une aile ni de gauche, qui malgré son abstention ou son vote contre la loi immigration le 19 décembre 2023, va continuer à errer dans les couloirs du pouvoir comme si de rien n’était ? Ces managers de la République, opportunistes et vides comme le frigo d’un RSAiste le 4 du mois, tel ce Benoit Bordat, député des Côtes d’Or qui exprimait son désarroi face à l’instauration de la préférence nationale dans la loi, mais qui « par solidarité » avec le Président l’avait tout de même votée. Après un tollé, justifié, il a supprimé son compte Twitter, déplorant qu’on l’ait traité de nazi et de collabo, pourtant un moindre mal plutôt avéré. Voilà peut-être une piste pour l’avenir. Leur rappeler à vie leur vote ce 19 décembre. Puisse la honte se mettre un jour en travers de leur gorge. Quant aux sept ministres ayant menacé de démissionner, on attend toujours. Seul Aurélien Rousseau, ministre de la Santé, a présenté sa démission à Elisabeth Borne, suivi d’un tweet ressemblant plus à une échappée de fin de soirée sans dire au revoir, qu’à un claquement de porte avec fracas. Dignité, point trop n’en faut. Clément Beaune, ministre des Transports dysfonctionnels, a lui annoncé qu’il continuerait de mener ses combats et de ne pas nous inquiéter. On le remercie de sa sollicitude. Sylvie Retailleau, comme Gérald Darmanin une semaine plus tôt, s’est vu elle, refuser sa démission. Où l’on apprend donc que ministre est un travail forcé duquel on ne peut démissionner. Ou bien que l’on se fout pas mal de notre gueule en mettant en scène des faux départs.
Des faits, pas des grands mots
Quant à l’autre partie tragique de l’histoire, elle est à chercher dans le camp censément antiraciste. Le problème, c’est que la gauche institutionnelle n’est pas tout à fait résolument antiraciste, loin s’en faut. On y trouve là aussi, un relent colonial, une vision utilitariste et travailliste de l’immigration. On a entendu Jean-Luc Mélenchon qui se demande « qui va bosser dans ce pays » après cette loi, Eric Coquerel qui pointe les « besoins économiques » du pays, le triptyque perdant PC-PS-EELV accompagné de « l’aile gauche macroniste » qui appelait en septembre dans une tribune parue dans Libération, à la régularisation de tous les travailleurs sans papiers… Un discours de gauche réel, plutôt qu’empli de bons sentiments qui cachent souvent de mauvais jugements, aurait simplement pu rappeler que c’est l’impérialisme et le colonialisme qui ont contribué et contribuent à l’extrême richesse du pays. Et que par conséquent, la France a une dette immense envers tant de peuples à travers le monde. Que c’est par ces politiques racistes que la France figure aujourd’hui parmi les plus grandes puissances économiques et que dès lors, plutôt que réduire l’immigration, il fallait au contraire en assumer une bien plus grande part, jusqu’à ouvrir totalement les frontières. Et qu’importe les murs, les prisons, les océans et les mers, les migrations se poursuivront. Reste à savoir quel degré d’embûches sont prêts à mettre les classes dominantes dans ces parcours. Un discours de gauche, réel, aurait pu rappeler également comme l’a fait François Héran sociologue et titulaire de la chaire Migrations et société au Collège de France, sur LCP le 21 décembre, que « 31% des Français sont issus de l’immigration sur trois générations mais que seuls 5% ont leurs quatre grand-parents immigrés. Ca veut dire qu’il y a des brassages et unions mixtes considérables au fil des générations, les populations ne se séparent pas mais se rapprochent ».
L’un des chiffres qui fut brandi tout au long des débats a été celui de l’enquête annuelle du Cevipof, le laboratoire de Sciences Po, qui montre, effectivement, que 60% des sondés estiment « qu’il y a trop d’immigrés en France ». Le gouvernement s’est appuyé là-dessus, arguant que les Français souhaitaient ce texte par-dessus tout, faisant mine de s’intéresser à l’opinion publique. Pourtant, ils auraient pu noter que ce pourcentage est en baisse au fil des années, après un pic à 69% en 2014. Ils auraient également pu citer la ligne statistique du dessus établissant que 71% des sondés est d’accord pour dire que « l’économie actuelle profite aux patrons aux dépens de ceux qui travaillent ». On attend alors le projet de loi abolissant le capitalisme, puisque l’opinion semble l’appeler de ses voeux.
C’est à cause de la gauche si on est d’extrême droite
On entend aussi cette musique d’un certain nombre d’égarés politiques, remisant la responsabilité du vote de cette loi fasciste sur la gauche qui ne serait pas assez d’extrême droite et ferait donc le jeu de l’extrême droite. Une débilité d’une telle force dont on se demande si ceux portant ce discours croient réellement en ce qu’ils disent. Une loi, la trentième en 40 ans, dont c’est le bien-fondé même qui est à remettre en cause, et non son parcours législatif. Pour celles et ceux qui auraient manqué le fond du texte, le voici : remise en cause de l’automaticité du droit du sol, donc fin du droit du sol, introduction de la déchéance de nationalité pour les binationaux ayant buté un flic ou un militaire, préférence nationale pour certaines allocations sociales même pour des étrangers en situation régulière, restriction du regroupement familial, mise en place de quotas migratoires votés et débattus tous les trois ans, caution pour les étudiants étrangers (après que leurs frais avaient déjà été multiplié par dix en 2018), rétablissement du délit de séjour irrégulier, création d’un fichier pour les mineurs isolés étrangers délinquants. Un bon ramassis du programme nazi de Jean-Marie Le Pen, voté par le barrage le plus naze depuis la ligne Maginot. Un signe probablement. La carotte supposément de gauche résidait elle, dans la régularisation des travailleurs sans papiers dans les métiers en tension. Dans le détail, ceux-ci pourront demander directement au préfet leur titre, de travailleur temporaire faut pas déconner, pour se faire exploiter de manière plus rapide qu’auparavant par un petit patron en proie au recrutement dans son secteur et qui envisageait de raccourcir ses vacances en Thaïlande. La première version du texte prévoyait une automaticité du titre, notamment pour les demandeurs d’asile des pays les plus « à risque », mesure pour laquelle le RN a voté la motion de rejet.
Renversement de principes fondamentaux
Les signaux ont été nombreux depuis le début de la présidence Macron, mais il en est deux, peut-être moins perceptible pour le plus grand nombre, de principes fondamentaux s’étant renversés dans le sens de l’extrême droite. Le premier, c’est cette nouvelle doctrine politique conditionnant les droits à l’obéissance servile (lire Mouais #27) : « Des devoirs avant des droits, des devoirs pour avoir des droits », répétée depuis sa prise de fonction, inversant totalement le principe même de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, œuvre fondatrice d’une République se voulant universelle et égalitaire. La seconde, c’est ce slogan de Le Pen père, « La première des libertés, c’est la sécurité », dont Gérald Darmanin s’est fait sien. Lorsque nous l’interrogions en décembre 2021 alors qu’il venait inaugurer le nouvel hôtel des polices à Nice, avec une fausse naïveté sur notre incompréhension face aux moyens exorbitants alloués à l’institution policière au détriment des autres services publics, il répondait : « Les policiers sont à l’avant garde de la sécurité et donc des libertés publiques. S’il n’y a pas de sécurité dans une ville, il n’y a pas toutes les autres libertés ». Et là aussi, il a été question dans les motifs de cette loi, de « protection » des Français, faisant ce lien propre à l’essentialisme raciste de l’extrême droite, entre immigration et danger pour la sûreté publique.
S’il est évident qu’il y a une continuité historique entre chaque présidence, qui ne fait que suivre avec plus ou moins d’ardeur les désirs du capital, Macron marque tout de même une rupture. Il ne semble pas que la question du fascisme ait été posée aussi clairement, aussi distinctement que durant son règne. Si l’on veut chercher une once d’espoir dans ce marasme, l’on peut se dire qu’enfin la gauche va se réveiller pour enfin nommer ce à quoi nous sommes face : une bourgeoisie radicalisée qui n’hésitera jamais à se convertir au fascisme pour se protéger. Et que souvent, à trop vouloir copier le feu facho, on y finit tous par s’y brûler, et les pompiers qui viendront seront les plus grands pyromanes.
Enfin, n’oublions pas que ce projet de loi était en grande partie motivé par la pression patronale. Derrière les politiques racistes se trouve toujours la loi du capital. N’oublions pas que 349 députés sur 577 ont voté pour cette loi, et que ces mêmes députés ont été élus par des millions des gens. N’oublions pas que ce projet de loi était celui de l’abject Darmanin, et que trop de mots nous venant à l’esprit mettrait ce journal en péril pour diffamation, injure publique, incitation à la haine, et sans doute beaucoup d’autres choses encore.
Parmi les citations de prétendants à l’ENA, il est dommage que personne en ce funeste 19 décembre, n’ait pensé à celle-ci de George Orwell probablement la plus pertinente pour décrire le moment actuel : « Le fascisme n’a pas de contraire réel excepté le socialisme. On ne peut pas se battre contre le fascisme au nom de la démocratie parce que ce que nous appelons démocratie, dans un pays capitaliste, ne peut exister que tant que les choses vont bien ; dans les moments de difficulté, elle se transforme immédiatement en fascisme. » Quoi qu’il en soit, des personnes de tous horizons continueront de venir, et des personnes de tous horizons continueront d’accueillir et d’aider tous les étrangers, d’où qu’ils viennent, et qu’importe la raison de leur venue. Nous continuerons de faire société avec eux, sans vous. Là-dessus, il n’y a pas de débat possible ni souhaitable. Les fachos n’ont qu’à se baiser entre eux si l’altérité les effraie tant.