A l’heure où l’estampille républicaine fait office de gage de respectabilité, presque comme une carte de membre à posséder pour accéder à l’élection, il est sans doute important de resituer ce qu’est ou n’est pas la République. A y regarder de près, pas grand-chose en vérité.

De « La République est une anarchie positive » (1) par Pierre-Joseph Proudhon au moment de l’avènement de la Deuxième République en 1848, à « La République, c’est moi ! » de Jean-Luc Mélenchon en 2018 en pleine perquisition des bureaux de la France insoumise, la distorsion du mot est telle, qu’il en est devenu creux. Lors de ces élections législatives, on a atteint le sommet du pathétique : il semblerait que seule la République en marche (LREM) soit… républicaine. « Aucune voix ne doit manquer à la République » a asséné Emmanuel Macron avant le second tour des élections législatives, devant son avion républicain. Et le fumeux « front républicain », normalement réservé à l’extrême droite, a priori antirépublicaine, de se retourner contre la gauche, pourtant historiquement porteuse des principes républicains (2). Alors qu’en est-il ? Qu’est-ce donc que cette injonction au bon, au juste républicain, à cette quadrature floue qu’il est impossible de discuter et de remettre en question ? La République ou le chaos ?

Si à l’origine, la République (Res Publica en latin, « la chose publique ») née dans la Rome antique, a précédé l’empire romain, elle est ensuite surtout intervenue a posteriori de régimes monarchiques. En France, c’est la Révolution de 1789 qui va faire advenir la Première République en septembre 1792, en votant à l’unanimité l’abolition de la monarchie. Suivront la Deuxième (1848-1851), la Troisième (1875-1940), la Quatrième (1946-1958), et la Cinquième, dans laquelle nous sommes enferrés aujourd’hui, issue de la crise politique provoquée par l’insurrection algérienne et par un énième coup d’Etat, celui du général de Gaulle cette fois. Qualifiée en son temps par François Mitterrand de « coup d’Etat permanent », mais qui n’aura finalement eu aucun mal à s’y fondre lorsqu’il en était président, la Cinquième République a pourtant beaucoup changé depuis son établissement. Elle en a néanmoins conservé ses fondements autoritaires et sa personnalisation comme l’expliquait déjà de Gaulle en 1964 : « Le pouvoir procède directement du peuple, ce qui implique que le chef d’État élu par la nation en soit la source et le détenteur. Il doit être évidemment entendu que l’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au président par le peuple et qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire qui ne soit conférée et maintenue par lui. Il lui appartient d’ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il attribue la gestion à d’autres ».(3) Et depuis une trentaine d’années on discute à gauche d’une Sixième ? Qu’est-ce qui relie toutes ces formes de République ? Pendant la Révolution française, Saint-Just, avec clairvoyance donnait une définition de ce régime qu’il appelait de ses vœux : « Ce qui constitue une République, c’est la destruction totale ce qui lui est opposée » (4). Robespierre, lui, par compromis avec une France majoritairement catholique, voulait transposer le culte religieux en culte républicain, tout en gardant les fondements déistes de l’être suprême transcendantal, avec un socle de valeurs universelles d’horizons partagés, reconnues par des droits fondamentaux. Depuis, une confusion s’est opérée, à dessein, entre universalisme et uniformisation, par les défenseurs acharnés de l’idée de République.

La République est totalitaire

D’une certaine manière la République s’est toujours construite par opposition au régime qui la précédait et à ses opposants internes, qui pouvaient menacer son hégémonie. Imposition de la langue française au détriment des dialectes régionaux, promotion d’une éducation nationale fondée sur un récit national patriote, unité territoriale, massacres des contre-révolutionnaires. Car comme tout régime politique, il n’a d’existence que s’il est ancré aux confins d’un territoire. En cela, la République est totalitaire puisqu’elle combat toute forme d’altérité à celle-ci. L’article Ier de la Constitution de la Cinquième le stipule explicitement : « « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Avant toute chose, la République est indivisible, c’est-à-dire qu’elle n’accepte aucune forme de sécession. On l’observe assez nettement à chaque formation de ZAD, avec le déploiement de moyens policiers colossaux pour faire cesser tout embryon d’autonomie territoriale.

La République actuelle est une monarchie absolue

On parle souvent de monarchie républicaine s’agissant de la Vème République, encore plus, depuis quelques décennies. Notamment depuis l’inversion des calendriers électoraux en 2000, donnant la primauté à l’élection présidentielle, réduisant ainsi l’Assemblée nationale à une simple chambre d’enregistrement des désirs du prince (6). Aujourd’hui, on peut même dire que le Président élu cumule les trois pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). La justice est une autorité soumise au pouvoir politique notamment par un ministre de tutelle, des procureurs de la République nommés par le pouvoir, et donc une représentation du pouvoir à la barre. La définition même d’un régime absolutiste. Le président n’a pas besoin du Parlement pour faire valider ses projets de loi ; il dispose lui-même de nombreux outils législatifs : pouvoir d’ordonnance et de décret, articles constitutionnels (dont le fameux 49.3). Du côté judiciaire, il dispose aussi du pouvoir de grâce présidentiel. A certains égards, et au regard de la cour totalement soumise qui l’entoure, on peut même se dire que le Président actuel possède autant sinon plus de pouvoirs que les rois de l’Ancien Régime. Et malgré l’échec de l’obtention d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale qui vient contrecarrer un tant soit peu son despotisme (il pourra d’ailleurs dissoudre celle-ci dans un an pour retenter sa chance), le Président de la République s’apparente toujours à un roi, drapé dans d’autres oripeaux, quoique. En termes de symboles, la République, pour se légitimer comme la monarchie qu’elle remplaçait, a gardé un certain nombre d’objets d’Ancien Régime : le sacre avec la passation de pouvoir, le palais élyséen, l’élection comme une désignation aristocratique où les élus règnent par la grâce du savoir et non plus de la noblesse du sang, les protocoles d’usage, les décorations individuelles…

En Europe, des monarchies plus démocrates

En Europe, plusieurs de nos pays voisins sont des monarchies parlementaires, aux régimes démocratiques pourtant bien plus effectifs : le Royaume-Uni, la Suède, la Belgique, l’Espagne, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas. Dans ces pays, le chef de l’Etat que sont le roi ou la reine possède seulement un rôle honorifique et le pouvoir exécutif est détenu par le chef de la majorité parlementaire. Ce qui, paradoxalement malgré une persistance monarchique héréditaire, rend la pratique du pouvoir moins autoritaire puisque le gouvernement doit composer avec des coalitions, avec une représentation mouvante et diverse. En France, si le caractère bicéphale de l’exécutif est consacré par la Constitution, il n’en demeure pas moins factice : le chef du gouvernement, le Premier ministre, s’apparente plus à un fusible présidentiel qui saute en cas de crise qu’à un réel détenteur du pouvoir exécutif.

Aujourd’hui qu’en est-il ? La République est souvent associée à l’idée de « promesse », de « pacte », voire « d’idéal ». Ne serait-elle qu’un slogan, affiché sur tous les frontons de mairie, auquel l’Etat et la nation devraient souscrire pour l’intérêt général ? Le niveau intellectuel des tenanciers du pouvoir s’étant abaissé en dessous du niveau de la mer, la République est surtout devenu le joker de la réaction bourgeoise depuis une quarantaine d’années. Crop-top pour les adolescentes au collège/lycée ? « On vient à l’école habillé d’une façon républicaine » (5) proclame Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Education nationale. Des filles se font délivrer des certificats d’allergie au chlore pour sécher la piscine ? Séparatisme ! Enquête institutionnelle au nom de la République ! Laetitia Avia (LREM), en campagne pour les législatives se désole que la candidate adverse ne lui a pas dit bonjour ? (Vald qu’en dis-tu ?) : « Le respect républicain n’a jamais manqué à #paris12 et #paris20, quels que soient les candidats ». Et puis actuellement, tout ce que le pouvoir dans sa stratégie de combat face à la dynamique de coalition des gauches, a pu désigner de républicain ou non. Le terme est flou mais il se dégage quelques lignes directrices. N’est pas républicain : estimer que le racisme d’Etat est un fait politique (pourtant pas difficile à démontrer, il suffit de voir l’accueil des réfugiés ukrainiens, parce que Blancs, en comparaison avec les autres), dénoncer les violences policières, pourtant constitutifs de l’Etat, détenteur du monopole de la violence légale (et Max Weber n’a jamais justifié les exactions policières…), et en gros défendre le droit des minorités ethniques, sociales, sexuelles et religieuses à exister.

Pour conclure, on peut donc se dire qu’être républicain, cela peut exprimer beaucoup de choses et donc pas grand-chose. Qu’il est donc facile de se jeter des anathèmes d’antirépublicanisme, qui n’ont pourtant qu’une très faible consistance théorique et historique. Que chacun peut voir dans l’expression du fait républicain ce qu’il veut y voir, des fascistes d’extrême droite, aux anarchistes, en passant par les libéraux et les conservateurs. Et que donc, pour qu’une République soit effective, réelle, et digne de ce nom il faut y ajouter un épithète. Une République ? Laquelle ? Sociale, populaire, démocratique, conservatrice, anarchiste ? Les Gilets jaunes eux, préféraient revendiquer une Première démocratie, plutôt qu’une Sixième République. Car c’est surtout là qu’est sans doute le principal sujet de discorde. Une République n’est pas forcément démocratique. Clairement, dans les faits, la nôtre ne l’est pas. Même si la Constitution le stipule en préambule.

Par Edwin Malboeuf

Article tiré du Mouais été 2022, en kiosque à Nice et ici et là et par abonnement partout ailleurs, soutenez-nous ! https://www.mouais.org/abonnements2024

Notes :

1. Pierre-Joseph Proudhon, « Solution du problème social », 1848. Il est par ailleurs intéressant de noter que la République réellement fondatrice de l’Etat français, la Troisième se soit faite sur le lit des Communards en 1875, et que ses idéaux de laïcité, d’égalité hommes-femmes, d’accès libre et gratuit à l’enseignement et de participation démocratique aient été ceux des insurgés de la Commune. Et si Proudhon parlait d’anarchie positive, c’est sans doute car dans le triptyque Liberté-Egalité-Fraternité (que l’on pourrait lire de manière mathématiques avec des valeurs en tension, la liberté + l’égalité = la fraternité), repose les fondements de la pensée anarchiste. Ne jamais oublier, quand on le cite, que Proudhon était antisémite et misogyne.
2. On rappelle que le positionnement gauche-droite vient de l’appel à se positionner dans l’hémicycle pour ou contre la monarchie, plus précisément contre ou pour le veto royal pendant le processus révolutionnaire en 1789.
3. Conférence de presse du 31 janvier 1964 donnée par le Général de Gaulle, alors en exercice.
4. Discours à la Convention de Louis-Antoine de Saint-Just, premier décret de ventôse (26 février 1794).
5. Matinale de RTL, 21 septembre 2020
6. Ce qui vient de changer pour la première fois depuis 2002 avec ces dernières élections législatives, puisque le Président n’a pas obtenu de majorité absolue.