La mairie de Nice s’en est violemment pris, dans un communiqué, au festival nommé «le Printemps des migrations». En cause : Estrosi ne serait pas d’accord avec les causes défendues (entraide, etc.) et la présence de Cédric Herrou, notamment lors d’une rencontre organisée par notre journal. Menaces, pressions… Retour sur cette affaire, et réponse de Cédric.

La mairie de Nice a un problème. La destruction contestée de son Théâtre National ? Le sur-tourisme ? La pollution due à son aéroport ? Un niveau d’endettement frôlant le niveau maximal, car dépassant les 2 milliards d’euros ? Le fait qu’elle soit la quatrième la plus pauvre de France, avec 74 000 habitant·e·s vivant sous le seuil de pauvreté ? Les perquisitions menées, sur fond de « trafic d’influence » et d’« escroquerie en bande organisée », dans les bureaux de la Métropole ? Le fait qu’elle ait –évidemment– à nouveau échoué à être nommée « capitale de la culture » -les lignes qui suivent vous aideront à comprendre pourquoi ? Les luttes intestines de Ciotti et Estrosi au détriment du bien public ?

Mais non, voyons ! Bien pire : un festival. Nommé « le Printemps des migrations », et qui aura lieu en ville tout le mois d’avril.

Leur communiqué fait froid dans le dos, du véritable « terrorisme intellectuel d’extrême-gauche » dans le texte : «  Nice, Niça, Nizza, Nissa, Nikaia… tantôt du nord, tantôt du sud, ligure, sarde ou savoyarde,  lieu de départ ou d’arrivée : Nice par-delà les frontières […] Edouard Glissant disait « les murs menacent tout le monde de l’un et l’autre côté de leur obscurité […] ». Et parce que le droit est piétiné, cette obscurité continue de gronder et tuer ici et ailleurs. Migrer? Oui, partout, tout le temps, les hommes et femmes du monde sont en mouvement. Rendez-vous donc au printemps pour célébrer ces beaux mouvements, pour une ville de Nice migrante et accueillante. Ouvrez tous vos sens dans tous les sens: le programme se construit et sera dédié pendant un mois aux migrations : rencontres, performances artistiques, danses, théâtres,musiques,fêtes et manifestations dans différents quartiers de la ville ».

Un programme tout bonnement terrifiant donc, et qui a nécessité de rassembler les efforts de dizaines d’associations tout autant épouvantables : outre votre mensuel préféré, Mouais donc, l’Association ADAM, AdN, les amis de la Liberté, le Bookclub féministe, la CIDFF06, la Cimade, Emmaüs-Roya, le MRAP06, les Diables Bleus, le Planning familial 06, Pays de Fayence solidaire, Resf06, Sciences Po Menton Refugee Help, Sud-Solidaires 06, la Zonmé…. Autant de tristes hérauts d’un mieux-vivre ludique, festif et solidaire, beurk.

Tout ceci est donc affreux, et la mairie de Nice ne pouvait évidemment pas passer ça ; elle s’est donc récemment fendu d’un communiqué outré s’en prenant à « l’organisation non autorisée » d’un festival « à la programmation provocatrice ». Ça commence très fort : « La Ville de Nice tient à souligner avant toute chose qu’elle n’est absolument pas partenaire de ces évènements qui ont été prévus sans concertation avec elle. Pire, alors que le programme prévisionnel prévoit un certain nombre d’évènements sur le domaine public, aucune autorisation n’a été demandée à la Ville de Nice qui désapprouve la démarche des organisateurs ».

Car à Nice, il faut semble-t-il absolument que la ville soit d’accord avec toi pour t’autoriser à utiliser tes propres lieux publics, comme si tout ceci appartenait à Estrosi, seigneur féodal contemporain, et à son équipe, et à personne d’autre (pour la partie « demande d’autorisation », elle se fait à la pref’ et non à la mairie, et nous les ferons en temps et en heure -la première manifestation a par ailleurs été acceptée et s’est parfaitement déroulée, n’en déplaise à notre édile et à son sentiment immature de toute-puissance). Ils oublient manifestement que la ville appartient avant tout à celles et ceux qui l’habitent.

Allons plus loin, quand il est affirmé que « Par ailleurs, la Ville de Nice a interrogé un certain nombre des partenaires supposés du « Printemps des Migrations » qui ne semblaient aucunement au courant des évènements prévus et dont certains, suite à notre alerte, ont expliqué avoir été trompés et ont fait le choix de se retirer ».

Ce qui est vrai. Des associations se sont retirées. Un coup de fil de la mairie les menaçant de les priver de leurs locaux et de leurs subvention les y a, il est vrai, beaucoup aidé, mais nous laissons chacune et chacun juge de la qualification à donner à ce genre de pratiques qui donnent idée de la vitalité de la belle démocratie niçoise.

Le meilleur est pour la fin, alternant fantasmes venus de l’extrême-droite, mensonges éhontés et ton menaçant que l’on dirait sorti d’une version low-cost du Parrain : « Enfin, alors que la société française traverse une période de fortes tensions et de troubles, une partie de la programmation ne semble absolument pas de nature à l’apaisement, bien au contraire. En effet, deux évènements spécifiquement mis en avant prévoient la participation de Cédric Herrou, connu pour avoir aidé des clandestins à se rendre illégalement en France. La Ville de Nice rappelle qu’elle n’acceptera pas qu’un évènement mettant en valeur ce type de comportement soit organisé dans des locaux lui appartenant ou sur la place publique. Au moment où le besoin d’autorité est réel dans notre pays et où il est plus important que jamais de défendre l’état de droit, la Ville de Nice se montrera intransigeante sur ce type d’évènements ».

En cause : une projection du film de Michel Toesca, primé à Cannes, dans un local associatif, qui a du annuler -l’évènement aura lieu ailleurs, ne vous en faites pas ; et une rencontre, organisée par Mouais le 22 avril, sur le parvis de la gare du Sud.

Passons sur le « besoin d’autorité réel » qui n’est qu’une des marques des obsessions habituelles de M. Estrosi, que l’on encourage à consulter un spécialiste dans les plus brefs délais ; passons sur le fait que Cédric a été définitivement relaxé par la justice et que le conseil constitutionnel a reconnu et étendu grâce à lui la notion de fraternité –« sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation », devenu un principe à valeur constitutionnelle- ; et laissons donc la,parole au premier visé, le copain Cédric donc, qui réagit vivement à ce « communiqué de presse diffamatoire à mon égard et à l’égard d’associations d’intérêt général Niçoises qui, de manière joyeuse et collective, ont créé cette manifestation exemplaire, festive et culturelle : Le Printemps des Migrations ».

« A Nice, dit Cédric, quand Herrou passe, les chiens aboient, grognent, insultent, diffament. Des gens sont pourtant venus danser, chanter, rire, s’amuser. A Nice, quand les gens chantent la Liberté, l’Égalité, et la Fraternité, les puissants eux, se barricadent. Ces mêmes puissants qu’on ne voit qu’à la télé, ou lors d’inaugurations de clos de boules, de bouches d’égouts, ou de la rue Charles Pasqua, Médecin père et fils, etc. Pour vous, des personnes exemplaires ; pour nous, un collaborateur sous Vichy, des escrocs, des bandits.

A Nice on aime les pourris, les racailles aux cols blancs, les mafieux. Car “quand même, avec tout ce qu’il a fait pour nous ”. A Nice on appelle par le prénom, on sert des mains, on aide ; oui, on aide mais à condition de rester sage, discret et fidèle ».

Il poursuit : « Les aboyeurs sont en majorité des hommes, non que les femmes soient interdites mais elles n’ont pas la place. A Nice, la politique se fait avec “les couilles” et les coudes. Nice, elle, est belle. Nice, elle brille sous sa lumière en hiver, sous sa chaleur en été comme si de rien n’était. Dans les ruelles les effluves de pisse du vieux Nice se mêlent à l’odeur âcre des galets du bord de mer. Oui, Nice, par sa magie, donne une odeur aux pierres. Nice et moi sommes fâchés car je ne la comprends pas. Pourquoi laisse-t-elle faire ces mâles enragés, mal à ceux qui veulent faire vivre leur cité ? Par peur ? Par paresse ? Ou par complaisance d’une habitude qu’elle ne saurait brusquer, de peur de se retrouver désertée.

Pourquoi laisse-t-elle cette meute dicter les règles, prôner l’ordre et la fermeté, meute retranchée dans une idéologie qui rappelle certains Etats autoritaires ; ne voit-t-elle pas ceux qui, sur ses pavés, font vibrer sa beauté ? »

Et de conclure : « J’avoue aimer être détesté par ces chiens enragés, je n’ai pas peur des chiens, je n’ai rien à donner qu’ils pourraient dévorer. D’autres sont moins libres, la meute grogne donc on les nourrit pour les voir partir, mais de toute évidence ce n’est pas comme cela que l’on éloigne les chiens enragés. Oui, certaines associations ont annulé ma venue, non par lâcheté mais par peur de ne plus exister, préservant avant tout leurs actions essentielles à la ville, aux habitants, ceux qui n’ont pas grand chose mis à part l’oubli dans lequel les chiens les ont abandonnés. Sachez, vous les aboyeurs enragés, que vous ne musellerez pas les danseurs qui veulent chanter. Sachez que ces événements que vous avez voulu annuler se feront, malgré votre accaparement de Nissa la Bella, car nous restons en république démocratique. Je vous rappelle qu’une association est l’expression d’une liberté publique, une liberté à valeur constitutionnelle qu’elle peut se former librement sans votre autorisation ni même votre consentement. Continuez donc d’aboyer, rien n’y fera, nous continuerons à danser ».

Nous ne trouvons pas mieux à dire.

Nissa restera nissa, belle, populeuse, pantaï et cosmopolite, frondeuse aussi, et, évidemment, l’évènement se fera.

Le programme est disponible sur : www.printemps-des-migrations.org/

Par Mačko Dràgàn

Le cagnotte pour soutenir le festival est ici : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/formulaires/3

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