Comme avant, mais en pire : c’est de nouveau la guerre à Gaza. Des partis islamistes autoritaires (Hamas et Jihad islamique en Palestine et Hezbollah au Liban) se battent contre Israël, Etat militarisé et colonial qui se voit comme « avant-poste de l’Occident » au Proche-Orient. Le déséquilibre des forces en présence est flagrant et les peuples se font massacrer – les Gazaouis en première ligne. Après une attaque particulièrement meurtrière, Mouais a recueilli le témoignage de deux Palestiniennes gazaouies au Liban.
Gaza était une prison à ciel ouvert. L’enclave est maintenant devenue un cimetière à ciel ouvert. En seulement une nuit, entre 500 et 1600 civils sont morts dans une frappe sur l’hôpital baptiste al-Ahli dans la ville de Gaza. Un chiffre monstrueux qui pourrait tenir du crime de guerre, selon de nombreuses organisations internationales et états arabes. Ces morts viennent s’ajouter aux 3 000 victimes gazaouies depuis le déclenchement de l’opération « Déluge d’al-Aqsa », samedi 7 octobre dernier. Des linceuls blancs maculés de sang bordent les rues, des fosses communes sont creusées un peu partout. Les autres hôpitaux de Gaza, privés d’électricité et de médicaments par le siège total que leur impose Israël, ne peuvent répondre à la magnitude de la tragédie – et sont menacés de bombardement par Tsahal, l’armée israélienne. Réfugiés et victimes s’y entassent, les chambres froides et morgues débordent. Sans eau potable depuis plusieurs jours, les cadavres pourraient poser un grave danger à la santé publique, sans compter les bombardements israéliens qui continuent malgré les trois jours de deuil décrétés par le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas (critiqué pour sa corruption).
Pour l’instant, l’origine israélienne du missile reste à confirmer, alors que Tsahal blâme un tir défectueux du Jihad Islamique avec des preuves discutables. Reste à savoir si le mouvement jihadiste gazaoui possède des missiles capables de semer une telle destruction. En même temps, Israël assume frapper des « positions terroristes du Hamas » dans des hôpitaux et écoles, accusant le parti islamiste de prendre des civils comme boucliers humains. C’est ainsi qu’une école de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, agence onusienne chargée des réfugiés palestiniens, a été visée juste une heure avant la destruction de l’hôpital al-Ahli : au moins six morts sont à déclarer alors que l’école était devenue un refuge pour quelques déplacés gazaouis – parmi le million qui ont quitté leurs maisons.
Ces événements se déroulent une semaine après que le Hamas a lancé l’opération « Déluge d’al-Aqsa », une massive offensive surprise sur le sud d’Israël qui a pris de court l’Etat ultra-militarisé et surveillé. Plus de 1 500 combattants islamistes ont submergé les checkpoints israéliens, pris d’assaut des villages et colonies, y massacrant un millier de civils, prenant 200 otages, et tuant 300 soldats israéliens. Leur but : mettre fin au processus de normalisation entre l’Arabie Saoudite et Israël, remettre la question Palestinienne sur la carte, et négocier la libération des prisonniers palestiniens en échange des otages. C’était sans compter sur la réaction du gouvernement israélien d’extrême-droite, dont un ministre a qualifié les Gazaouis « d’animaux », et qui a ordonné le siège total en vue d’une offensive terrestre imminente.
Témoignages gazaouis
Mouais a recueilli les témoignages de deux Gazaouies au Liban. En premier, nous publions dans son intégralité la retranscription de l’interview de Loujain Issa al-Absi, une journaliste aux racines gazaouies vivant dans le camp de réfugiés de Beddawi, au nord du Liban.
« Ma tante vit encore à Gaza avec ses enfants, elle s’est réfugiée à l’hôpital al-Shifa qui est privé de carburant et d’électricité depuis quelques minutes [et qui est maintenant sous ordre d’évacuation par les autorités israéliennes, qui pourraient l’attaquer, N.D.L.R.]. Je n’ai pas de nouvelles d’elle depuis cinq jours, je ne sais même pas si elle est encore vivante. C’est extrêmement difficile pour moi de suivre ces événements à distance : mes yeux sont rouges et gonflés car je passe mes nuits sur mon téléphone, je ne peux pas dormir. La seule chose que je peux faire, c’est écrire et partager mon travail en ligne, je me sens impuissante.
Israël bombarde des écoles et hôpitaux en affirmant qu’ils abritent des positions du Hamas, mais à Gaza, personne ne sait où sont les combattants – ils sont cachés ailleurs, dans des bunkers et des caches.
La situation des hôpitaux est extrêmement difficile. Les médecins sont obligés de faire des opérations en pleine rue tellement ils sont bondés. Il n’y a plus de place pour de nouveaux corps dans les chambres froides… Ceux qui se sont réfugiés dans les hôpitaux pensant que c’était des endroits sûrs sont voués à une mort lente. Ceux qui ont obéi aux injonctions israéliennes d’évacuer vers le sud on été bombardés. Ceux qui se sont rendus au checkpoint de Rafah ont été bombardés. Il n’y a aucun lieu sûr à Gaza : c’est une guerre génocidaire.
Je le dis car je suis sûre qu’Israël veut se débarrasser de la plupart des civils avant de lancer son invasion terrestre contre le Hamas – morts ou vivant. Pour qu’ils ne gênent pas l’invasion. Et je pense aussi qu’en massacrant les civils gazaouis, Israël veut forcer le Hamas à libérer les otages sans même avoir à lancer son invasion.
Les journalistes sont en première ligne. Aujourd’hui, mon chef, Mohammad Abu Jamil, administrateur de Palestine Today TV, a été tué avec toute sa famille dans le bombardement de son immeuble. C’est le 12ème journaliste tué là-bas, en plus de celui qui a été tué au Liban. Ici non plus, aucun endroit n’est sûr, Israël pourrait nous bombarder bientôt.
Le plus dur est que les pays arabes ne nous soutiennent plus, à part dans les paroles – mais on a besoin de plus que de paroles. J’espère que cela va changer avec cette tragédie, mais je n’ai pas beaucoup d’espoir, pas plus qu’en Mahmoud Abbas, qui est corrompu et a perdu notre confiance depuis ses accords avec Israël.
Je soutiens le Hezbollah, le Hamas et le Jihad Islamique non pas idéologiquement, mais parce qu’ils sont les derniers groupes de la Résistance palestinienne qui continuent de se battre pour nous. Je ne voterais jamais pour eux, mais il faut comprendre cela, c’est essentiel : nous n’avons pas le luxe de choisir. Comme beaucoup de jeunes Palestiniens, je suis contre les partis politiques, contre l’Etat, contre la division des Palestiniens. Je pense que c’est au peuple lui-même de se libérer, et personne ne le représente, ni le Hamas ni le Fatah. Mais nous devons soutenir quiconque nous soutient.
La Palestine n’appartient surtout pas à Israël, cette force d’occupation venue, armée, de l’étranger. Elle appartient à toutes les religions : chrétiens, juifs, musulmans. Les occidentaux pensent que les Palestiniens sont antisémites mais c’est faux, nous ne sommes contre aucune religion. Nous voulons vivre en paix, avec des droits et de la dignité. »
Pour compléter, quelques mots de Zeinab Naser, étudiante gazaouie qui étudie à l’université américaine de Beyrouth depuis un an. Mouais l’a rencontrée à plusieurs manifestations de soutien à Gaza.
« Mes parents, frères et sœurs sont encore à Gaza. Pour l’instant, ils vont bien – mais pour combien de temps ? L’immeuble à côté a été bombardé, tous mes voisins sont morts. Cette guerre a réactivé tous mes traumatismes des guerres passées : 2008, 2012, 2014, 2016, 2021… Sauf que cette fois-ci, je suis à Beyrouth, loin de ma famille, et je suis seule à vivre dans l’anxiété. Je dors mal, fais des cauchemars, n’ai aucun repos… Et j’hésite vraiment à rentrer là-bas. Ma famille ne me dit pas exactement ce qu’il se passe et comment ils vont pour me protéger, mais je vois bien les vidéos et c’est encore pire. Je ne suis avec aucun parti politique, aucune organisation. Je viens aux manifestations en tant que citoyenne gazaouie, pour ne pas rester seule et trouver du soutien. »
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