Le quartier des Liserons, composé essentiellement de logements sociaux, subit depuis des années l’abandon des services de la Ville. La mairie est venue annoncer fin novembre un projet de réhabilitation du quartier sur un ton paternaliste. Qui ne convainc pas. Par Edwin Malboeuf
Lundi 21 novembre, à 17 heures, une réunion publique est organisée à la salle Black Box, à Pont-Michel, à une vingtaine de minutes à pied du quartier des Liserons. La soirée est organisée par la mairie pour venir présenter le projet de rénovation des Liserons. A la table, Anthony Borré, 1er adjoint au maire en charge de la sécurité, du logement et de la rénovation urbaine, mais aussi président de Côte d’Azur Habitat, bailleur social de la ville en charge de 20 000 logements (1). A ses côtés : Fatima Khaldi-Bououghroum, adjointe au territoire rives du Paillon et à la médiation, Karim Ben Ahmed, subdélégué au logement et à la rénovation urbaine et Pierre Fiori, délégué aux bâtiments communaux et subdélégué aux travaux dans les écoles. Cinquante millions d’euros investis, 190 démolitions du parc social remplacé par 105 logements « diversifiés » (comprendre une partie pour le privé) , rénovation du bâti existant, arrêt de tramway, aire de retournement pour désengorger ce quartier scindé en deux par une bretelles d’accès à l’autoroute, construit dans une impasse. De quoi ravir tout le monde ?
Environ soixante habitants du quartier sont présents. Et le sketch démarre. Pendant deux heures, les représentants de la mairie se gargarisent d’avoir fait leur maximum pour ce quartier auprès de l’Etat, obtenant de nouveaux crédits pour la rénovation. Qu’ils n’oublient pas les Liserons, qu’après l’Ariane et les Moulins, autres quartiers populaires de la Ville, leur « tour est venu » et qu’ils doivent être encore patients. Les élus présents n’oublient jamais non plus d’être méprisants voire intimidants quand des critiques leur sont adressées, et paternalistes et doucereux, quand certains les brossent dans le sens du poil, Anthony Borré en premier chef. A écouter cet ex-directeur de cabinet de Christian Estrosi, lancé dans le grand bain politique sous cette mandature en 2020, on pourrait croire que l’équipe municipale est arrivée hier, et qu’elle « paie donc les pots cassés des anciennes politiques ». Pourtant, Christian Estrosi est maire de Nice depuis 2008. Les habitants rappellent qu’ils ont vu passer un certain nombre de projets sous leurs yeux. Aucun n’a été réalisé. Des promesses, ils en ont eu. Ils veulent des actes, qu’on les écoute et qu’on les respecte. Sur ce dernier point, difficile d’y trouver une occurrence en deux heures de réunion. Pour exemple, Karim Ben Ahmed se permet, s’adressant à une mère qui venait de lui poser une question : « Vos enfants sont très bien éduqués, ils n’ont pas bougé pendant deux heures. ». C’est bien connu, dans les quartiers populaires on n’éduque pas ses enfants, et lorsqu’ils se tiennent bien, c’est un miracle qu’il faut pointer.
L’élu sait mieux que vous ce qui est mieux pour vous
Question écoute, cela pêche également. Dernier événement en date : l’école maternelle, fermée jusqu’à nouvel ordre. En octobre, le garde-corps en acier du balcon d’un immeuble situé en face de l’école s’est effondré. Après expertise des immeubles voisins, dont celui de l’école maternelle l’Aquarelle, la mairie a décidé de fermer celle-ci par mesure de prévention. Les élèves ont été relocalisés au groupe scolaire Bon Voyage, à une quinzaine de minutes à pied à partir du bas de l’impasse, « usine à enfants » selon une parent d’élève, dans laquelle leurs enfants font classe dans des salles inappropriées comme la bibliothèque. La mairie promet qu’à la rentrée, une nouvelle classe leur sera dédiée, que ce groupe scolaire permet de concentrer les moyens, et que donc, par la magie de la rationalité économique, leurs enfants seront mieux lotis à Bon Voyage. Qu’importe si les parents souhaitent que leurs enfants aillent à la maternelle en bas de chez eux pour tout un tas de raisons évidentes. La proximité à la fois géographique et humaine, les meilleures conditions d’enseignement. Selon eux, « ce balcon a été du pain béni. Cela fait des années qu’ils n’attendent que ça pour la fermer ». Les habitants ne cessent de dire à quel point ils sont attachés à cette école, « dernier bastion de la République » qui subsiste dans ce quartier entend-on. Une école où leurs enfants sont en petit nombre avec des enseignants disponibles pour s’occuper à la fois de leurs élèves, mais aussi des parents, parfois allophones. Mais la mairie joue la sourde-oreille. Pourtant propriétaire des murs des écoles communales, elle renvoie la balle à l’Etat et l’Académie de Nice, en charge de la carte scolaire et l’attribution des postes, hors-sujet sur la fermeture de l’école.
Il a fallu attendre la fin de la réunion pour qu’une déléguée des parents d’élève, Elodie Balcells, finisse par descendre devant la table des élus et dise avec panache ses quatre vérités à Monseigneur Borré, après une énième remarque désobligeante. « Nous avons droit comme tous les quartiers à notre école. Ce n’est pas vous qui vivez là. Je vous invite une semaine sur mon canapé, vous allez à l’école de mes enfants et ensuite vous pourrez vous moquer ouvertement de nous avec vos grands airs ».
Selon Anthony Borré, les questions de salubrité étaient problématiques et récurrentes pour les enfants de l’Aquarelle. « J’ai été sollicité des dizaines de fois, où l’on me disait “comment est-il possible que vous laissiez ces enfants dans de telles conditions d’insalubrité”. Le toit était rempli de déchets ! J’ai nettoyé à plusieurs reprises». « Nous parlons de deux classes…», minore l’élu. Puis le ton monte sur la question de la propreté du quartier plus généralement. « C’est pourri ! », s’écrie-t-on dans la salle. « Je vous remercie pour les agents d’entretien qui font leur travail. Il y a des incivilités », rétorque le 1er adjoint. Rengaine classique du politique dans ces quartiers : si c’est crade, c’est de votre faute.
« On paie plus de charges que de loyers »
L’école a fait peau neuve il y a deux ans. Des travaux ont été réalisés. D’où l’incompréhension générale quant à la fermeture annoncée pour y installer une association de plus. Concernant la propreté des lieux, malgré ce que martèle Anthony Borré, une simple visite dans le quartier suffit à attester du manque d’investissement en la matière. La Ville et le bailleur social ne font pas leur travail, notamment sur la salubrité du bâti. Parmi les dizaines d’exemples recensés, un locataire nous confie qu’il n’a pas de chauffage depuis deux ans. Cassé, pas de réponse, pas de réparation. Pourtant, on continue à lui prélever des charges, et lorsqu’il y a des retards de paiement, le bailleur ne se fait pas attendre. Une autre fait remarquer que sa fenêtre est cassée depuis 22 ans. « On paie plus de charges que de loyers », affirme au micro une habitante. « Jusqu’à 2 200 euros par an ». Et pour des logements insalubres, humides, avec des dégâts des eaux récurrents. Certains viennent montrer des photos de murs moisis. Le quartier compte son lot de rats, mais aussi de sangliers. En repartant du quartier, nous en avons effectivement croisé un énorme, dans la nuit, pas du tout apeuré par l’environnement urbain. En bas du quartier, les trafics. Mais plusieurs habitantes et habitants nous ont dit : « Ce n’est pas notre problème ça. Ils font leur truc, ils ne dérangent pas et sont même polis ». Un décalage avec les rodomontades de M. Borré, fier d’appliquer une double peine aux occupants de logements sociaux condamnés pour trafic, comme cette mère expulsée par l’action de son fils âgé de 19 ans. Une première en 2020. Sa « contribution » à la lutte contre le trafic, pérore-t-il.
Face à tout cela, les habitants s’organisent. En réunion publique lundi, Zohra Briand, membre de l’association Droit au logement (DAL 06) depuis dix ans, et plus récemment du conseil d’administration de Cote d’Azur Habitat, annonce une autre réunion, prévue par et pour les habitants dans les locaux de l’association Galice. Une des membres de cette dernière est présente dans la salle. Le lendemain, Zohra reçoit un message lui indiquant l’annulation de la réunion, sans fournir d’explication. Contactée par nos soins, on nous répond au téléphone : « Désolé, on ne répond pas aux journalistes, ordre de la direction ». En allant sur la site de Galice, on note parmi les soutiens : la Ville de Nice, la métropole Nice Cote d’Azur. De là à imaginer d’éventuelles pressions, il n’y a qu’un pas que nous ne ferons pas…
Un climat de peur
C’est donc au stade en haut de l’impasse, stade transformé en dalle de béton il y a dix ans soit dit en passant, que se réunissent dehors ce samedi 26 novembre, une quinzaine d’habitants du quartier pour réfléchir ensemble aux actions à mener. Certains de la copropriété privée le Belvédère située tout en haut de l’impasse se joignent à la lutte pour la salubrité du quartier. Mais aussi pour défendre leur foncier, lequel est menacé par le projet de rénovation présenté par la mairie. En effet, une partie des travaux prévoit de casser un pan de la roche, l’impasse étant accolée à une falaise, puis de s’arroger une partie commune de la copropriété pour y construire un giratoire de retournement, faisant défaut au quartier. Zohra confie : « J’ai travaillé en prison, à Sainte-Marie [hôpital psychiatrique N.D.L.R.], dans pleins d’endroits, c’est la première fois que je vois un tel climat de peur », parlant de Côte d’Azur Habitat. Quand elle prend la parole lors de la réunion publique du 21 novembre pour dénoncer la priorisation des fonds avec le renouvellement du parc automobile en électrique pour Côte d’Azur Habitat, alimenté en partie par les locataires, elle se fait sermonner par Anthony Borré. « Quand on siège, ce n’est pas pour faire de la politique à deux balles. C’est un mensonge et je vous demande de présenter des excuses. La prochaine fois, préparez mieux vos dossiers. Voilà, ça c’est dit et ça fait du bien », termine-t-il, fier de lui, en posant le micro sur la table.
Pour le moment, il y a donc ce projet de réhabilitation du quartier annoncé en grande pompe, avec des travaux à venir pour les cinq prochaines années. De l’autre, une détresse des habitants nourrie par l’abandon, le mépris et les fausses promesses. Une pétition, listant tous les problèmes des logements et du quartier, va être lancée et adressée à qui de droit. Le fidèle porte-serviette de Christian Estrosi a estimé durant la réunion publique du 21 novembre qu’il n’avait pas « de leçon à recevoir sur qui souffre de quoi». Et pourtant…
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