C’est la trêve hivernale ! Enfin, plus pour les « squatteurs », merci Macron… L’occasion d’un retour personnel d’une fille de toto, ayant grandi en partie à la ZAD, sur le squat de La Grande Ourse à Angers (2018-2021) où elle a vécu. Et réflexion sur ces « expérimentations sociales d’utilité publique », ces lieux-radeaux où se regroupent des sans-maisons. Un squat, c’est dur, mais c’est déjà ça….
C’est quoi une maison ?
Quand j’étais petite, mon livre préféré c’était Les Barbapapas construisent leur maison, parce qu’elles étaient toutes rondes, toutes pas comme les immeubles HLM. Alors quand je suis arrivée à la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, encore enfant, en 2012, avec mon père, j’avais l’impression d’être une Barbapapa. Chacun se construisait son chez moi en forme de chez nous, c’était trop beau, on pouvait faire de la place pour tout le monde. Et puis de toute façon j’avais toujours plein de chez-moi, moi. Ça dépendait des heures, des weekends, des vacances…
Dans chaque chez nous, il y a des règles, pour que tous nos chez moi intimes soient à l’aise. Ma première maison, c’est mon corps, et je suis la seule à y poser mes règles. Ma deuxième maison, c’est le cœur des autres : parfois il y fait chaud et ça fait du bien, parfois c’est tout froid, alors il faut leur rappeler le goût de la tendresse… dans tous les cas, j’y vis là-bas aussi. Ma troisième maison, c’est des valeurs, des cultures, des choses sur lesquelles je peux me reposer et m’y réfugier, un espace où je suis d’accord. Ma dernière maison, bien sûr, c’est des lieux précis et géographiquement concrets.
Ne pas avoir ces maisons, c’est un effondrement, un gouffre, c’est violent, puissamment déchirant. La dissociation, le déracinement culturel et spatial, l’isolement, l’absence d’un lieu précis et géographiquement concret… s’il ne manque ne serait-ce qu’une maison, on peut difficilement avancer. Comme on ne sait pas vraiment où on est, on sait pas vraiment où on va, c’est pas grave hein, de tourner en rond, c’est beau les ronds, mais c’est épuisant, puis déprimant. Alors, comme des îlots dans le bouillonnement citadin, il y a des lieux-radeaux, où se regroupent des sans-maisons.
La vie à la Grande Ourse
À Angers, pendant un temps, notre maison c’était le cœur d’une Grande Ourse. Un squat, c’est dur, mais c’est déjà ça. C’était une maison où on essayait de trouver les règles, entre dissocié.es, déraciné.es, isolé.es et SDF, entre étudiant.es, travailleur.ses, RSAistes, et « irrégulier.es », entre drogué.es, fous, folles, artistes et circassien.nes, entre militant.es, combattant.es et effondré.es, entre celleux qui avaient eu le choix de cette maison et celleux qui ne l’avaient pas.
Le premier squat de la Grande Ourse a été ouvert en septembre 2018, dans un ancien local de la CPAM, à Angers. Une décision de justice est prise rapidement et elle est expulsée en juillet 2019. Elle refait surface quelques rues plus loin, environ trois mois après, dans un ancien -et gigantesque- magasin de meubles, vide depuis 2017 et racheté par le patron de la chaîne La Boucherie, pour en faire un parc immobilier guindé. En octobre 2020, un an après l’ouverture, la décision tombe : la deuxième Grande Ourse est expulsable sans aucun délai, peu importe la trêve hivernale. Grâce à une grosse mobilisation occupative de soutien, elle ne sera expulsée qu’en janvier 2021, lorsque l’effervescence de l’expulsion imminente fut retombée et que le lieu devenait un château, assiégé et épuisé.
La vie à La Grande Ourse, c’était beaucoup de choses. Il y avait les espaces à gérer, la cuisine, le bar asso, la freepicerie, la bibliothèque, les dortoirs, la salle de concerts… Il y avait les personnes à gérer, les engueulades, les agressions, les grosses déprimes. Il y avait le travail militant, savoir qui et comment accueillir, aider dans les démarches administratives, construire et entretenir des assos de services pour que les potes sans pap puissent avoir un revenu, faire tourner le RAARE (1), organiser les réunions, participer aux actions. Il y avait, aussi, le travail juridique, essayer de faire surfer cette ourse dans les failles des bouquins de Droit, gagner du temps, toujours. Un taf à temps plein, rémunéré par un toit qui menaçait de s’écrouler.
C’était clairement pas parfait, mais ça avait le mérite d’être, et d’être utile dans l’urgence de la ville. Même les assistantes sociales, avec le 115 (2) blindé, finissaient par nous envoyer des familles. Puis il y a des lois anti-squat qui sont passées, le propriétaire, boucher capitaliste, avait coupé la communication avec nous et préparait un dossier pour nous faire virer… On savait que la Grande Ourse, au centre d’une constellation d’autres squats habitatifs, allait sur la fin. On essayait d’ouvrir d’autres lieux pour y loger les gens qui allaient être mis à la rue, mais la répression et les expulsions illégales se succédaient et la constellation a fini sur le pavé. Tas de matelas par terre et canap dans la benne, tmtc (3).
L’expulsion, la destruction intime et l’exposition médiatique
J’ai jamais assisté en direct au fracassage de ma maison, structure de vie, territoire de souvenirs. J’ai toujours vu ça par les médias. Vidéos de pelleteuses qui défoncent la cabane où on dormait avec mon père, vidéos de portes explosées au bélier, vidéos de nos souvenirs dans des bennes, la fresque de l’ami décédé maintenant uniquement sur les murs de nos mémoires, avec les articles qui expliquent à quel point tout était si sale et infecté…
Avec beaucoup de surprise je tombe aujourd’hui sur des articles plus complaisants avec notre ancien squat, écrits un voire deux ans après, comme si le temps était un vernis d’acceptabilité sur celleux que les journaux locaux désignaient à l’époque comme des jeunes drogués de gauche vivant en harmonie avec les cafards de la patchamama. Reconnaissance d’une utilité sociale à titre posthume, on aura au moins eu ça.
A la suite de la vague d’expulsion début 2021, la mairie a résilié son contrat avec l’autre lieu culturel associatif angevin, nommé L’Etincelle, et notre ville s’est vidée de ses ilots alternatifs. Au final, ça a laissé de la place à la ruralité, et les assos nées dans le ventre de la Grande Ourse ont persisté, construisant en dehors, quand la ville se renforçait en « sécurité »… mais il est évident et visible que ça a laissé un vide face à a crise du logement urbain.
Ces îlots illégaux, les squats, les zads, sont des prototypes de sociétés, des « expérimentations sociales d’utilité publique », des lieux où on explore la vie collective dans la précarité, ce sont des refuges et des tourbillons de créations, des marches-pieds pour repartir mais qui, parfois, se dérobent sous nos pieds.
On aura toujours besoin de ces radeaux où se raccrocher, nous les dérivés, des maisons sans autre accroche que les cœurs de celleux qui les foulent. Des étoiles présentes même dans les ciels pollués, des grandes ourses. Squat partout.
Par Coyotte, illustré par Jeanne Colineau
Un article tiré de notre Mouais n°43, dont le dossier central est consacré au logement, en accès libre en ligne mais soutenez-nous, abonnez-vous à la version papier ! C’est ici : https://www.helloasso.com/associations/association-pour-la-reconnaissance-des-medias-alternatifs-arma/boutiques/abonnement-a-mouais
(1) Ravitaillement Alimentaire Autogéré et Réseau d’Entraide
(2) 115 : Hébergement d’urgence (nuit par nuit), dans des conditions difficiles, réservé en priorité aux femmes et aux enfants, mais il arrive que les familles ne veuillent pas être séparées et finissent par dormir ensemble dans la rue
(3) tmtc : Toi-même tu sais traduction pour les gens nés avant les années 2000, NDLR