On retient souvent de l’Église son côté réac et la parole de politiques qui s’en réclament pour justifier leurs idées absurdes. Mais c’est oublier le combat mené par toute une partie cette Église durant le 20eme siècle au service de l’émancipation des travailleurs·euses : prêtres ouvriers, mouvements ouvriers religieux, syndicats, et autres abbés au service de la classe pop’.
Petit tour d’horizon et d’explication à travers la découverte d’un mouvement, la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC). Car, spoiler alert : les cathos ne sont pas tous des bourgeois et/ou soumis à la doctrine de l’institution !
Apparition et brève histoire du mouvement
La JOC est créée en 1925 en Belgique, par le prêtre Joseph Cardijn. Au départ, il fonde un syndicat des apprentis, et s’organise avec des jeunes travailleurs au sein des « jeunesses syndicalistes » (1919), affiliée à la fédération bruxelloise des syndicats chrétiens. Face aux problèmes rencontrés par les ouvriers dans le contexte de l’industrialisation à la fin du 19ème siècle, et venant lui-même d’un milieu très modeste -sa mère est domestique et son père, jardinier-, Cardijn est animé par le désir de consacrer sa vie à la justice sociale. Il fait des études de sociologie et s’inspire de ces méthodes pour les besoins du mouvement, utilisant ainsi l’enquête pour appréhender les problèmes sociaux et basant sa logique de pensée sur le triptyque : voir (prendre conscience des injustices) / juger (analyser et confronter les injustices) / agir (mener des actions collectives). Il fonde également un journal mensuel revendiquant le respect et la dignité de la classe ouvrière. En 1925, avec d’autres jeunes, il transforme le syndicat en un mouvement de jeunesse plus important. Ils s’organisent en association, et décident de se nommer la Jeunesse ouvrière chrétienne. On doit au Père la devise du mouvement, « un jeune travailleurs vaut plus que tous l’or du monde, car il est fils de dieu ». Le JOC apparaît en France en 1927 et 1928 sous l’impulsion du prêtre George Guérin (JOC) et de Jeanne Aubert (JOC-F).
Ainsi, au 20ème siècle, de nombreux ouvriers chrétiens prennent part aux mouvements sociaux et vivent leurs engagements politique et social au sein de ce mouvement, qui leur permet d’œuvrer pour défendre les droits des travailleurs et de les représenter, de porter leur voix. En 1955, la JOC crée des foyers de jeunes travailleurs avec hébergement et restauration, pour aider les jeunes issus de milieux ruraux venus à la ville à pouvoir se loger. Elle monte aussi ce qui deviendra plus tard les CIO, Centre d’information et d’orientation. En 1947, la JOC-F œuvre de son côté à faire reconnaître le statut de bonne comme un métier à part entière, nommé « employées de maison », en obtenant un statut de salariée et l’accès à la formation. Elle signe en 1951 la convention collective de ce secteur au côté de la Confédération générale du travail (CGT) et de la Confédération des travailleurs chrétiens (CFTC). La JOC est proche à l’époque des milieux militants, politiques et syndicalistes de gauche réformiste mais aussi d’extrême gauche. Dans cette même vague de catholicisme social, en 1940-1950, on assiste à l’apparition du mouvement des prêtres-ouvriers se mettant au travail dans les usines.
Aujourd’hui, la JOC existe toujours, bien qu’elle ait moins d’ampleur. Elle s’adresse aux jeunes du milieu populaire. Un travail et une réactualisation a été faite depuis sur le sens attribué au mot « ouvrières, ouvriers ». Le mouvement garde ce terme, car il permet selon lui de continuer à exprimer l’idée d’une conscience de classe, mais il essaye également de prendre en compte les diverses formes de d’exploitation des jeunes prolétaires : intérimaires, saisonniers, auto-entrepreneurs ubérisés, boulots dans le secteur tertiaire (aide à la personne etc.), précarité étudiante, les apprentis, les personnes au chômage…. La JOC est un mouvement d’éducation populaire et d’action sociale porté et géré par les jeunes eux-mêmes, qui visent à assumer la défense de leurs droits et à entrer dans le combat pour leur dignité, dans la lignée des luttes sociales.
Un mouvement fondateur de nombreux parcours militants
La JOC est un lieu de débat, de retour sur soi, et d’interrogation sur l’engagement. Elle permet à ses membres de « relire » leurs vies, autour de la méthode du « voir / juger / agir ». Régulièrement, les jeunes se réunissent en petit groupe autours d’un thème qu’ils ont eux-mêmes choisi (santé, logement, travail, quartier, écologie, féminisme, amitié, violence…). L’une ou l’un d’entre eux a préparé en amonts des questions pour animer la discussion. Puis, ils et elles discutent autours de la lecture d’un texte en rapport avec la thématique -qui peut être tiré des Évangiles ou non. Ensuite, ils et elles voient comment, à l’échelle individuelle ou collective, ils peuvent agir sur les problèmes évoqués et s’engager pour changer les choses. C’est ce qu’ils appellent une « révision de vie », qui pousse celles et ceux qui y participent à être actrices et acteur de leur vie, et de la société. Ce qui fait que la JOC est souvent évoquée dans des travaux sociologiques sur les trajectoires d’engagement, car elle est le point de départ de nombreuses « carrières militantes » -je peux moi-même en témoigner. Pour ce qui est de figures politiques connues, Cécile Duflot, ou encore Pierre Dharréville (actuellement députés communiste) sont par exemple passés par la JOC.
La JOC souhaite permettre à celles et ceux qui en font partie de penser leur foi comme pleinement inscrite dans la société. Elle se rapporte à un courant de l’Église, et une vision de l’Évangile, vigoureusement humaniste. Pourquoi veut-on changer le monde ? Qu’est-ce que cela nous apporte ? Qu’est-ce qui, très concrètement, nourrit et donne du sens à notre existence et à notre vie ? C’est un mouvement qui insiste sur la rencontre de l’autre avec ces différences, et prône l’ouverture. Et donc également une ouverture sur les autres religions, croyances ou non-croyances. Lors du dernier rassemblement national, à Porto, une cérémonie inter-religieuse a ainsi eu lieu. Et certains membres du mouvement ne se privent pas pour gentiment étriller le conservatisme d’une partie de leur co-religionnaires : pour l’anecdote, un niçois, ancien jociste, actuellement à l’association catholique ouvrière (ACO) blaguait en parlant d’autres croyants dans sa paroisse, qu’il surnommait « les visseurs d’ampoules », et me disait que son prêtre le surnommait « le rouge » …
Entre campagnes d’actions et formation militante
La JOC propose des cercles d’études sur des thèmes socio-économiques, des formations pour apprendre aux jeunes à s’(auto-)organiser… Ils et elles apprennent ainsi à agir collectivement en montant par exemple des ciné-débats, spectacles, actions militantes et autres activités pédagogiques. Participer à la JOC c’est ainsi apprendre à prendre des décisions collectives, à parler devant les autres, à participer à une assemblée générale (AG), à rédiger un tract, réaliser une affiche, à faire remplir des enquêtes, à analyser, et enfin à formuler des revendications à partir des divers thèmes portés par la JOC : les droits des travailleurs, les conditions de travail des apprentis dans les lycées pros, la précarité, le chômage, la vie dans les quartiers populaires, les discriminations, les violences policières, l’écologie…
Les actions menées par la JOC sont variées. Les jocistes mènent depuis quelques années des actions auprès des travailleurs saisonniers, des intérimaires et des jeunes privés d’emploi. En particulier, en créant des « perm’saison ». Ces permanences, tenues par des jeunes pendant 2 semaines, permettent à la fois d’aller informer les travailleurs sur leurs droits, et à d’autres de partir en vacances et de se former sur le droit du travail. Sur ce sujet, la JOC a sorti d’ailleurs un livre à partir de témoignages : La vie devant nous. Récit de jeunes privé.e.s d’emploi, et mis en place un comité de jeune privés d’emploi digne pour rompre l’isolement, s’informer et s’entraider. Et certaines antennes mènent des combats pour ainsi dire presque anarchistes. Ainsi, en 2014, la JOC belge a changé de nom, passant ainsi de « jeunesse ouvrière chrétienne » à « jeunes organisés et combatifs ». Ils conservent ainsi l’acronyme, mais abandonnent les références exclusives au christianisme et au monde ouvrier, bien qu’ils maintiennent des liens avec le mouvement à d’autres échelle, et avec leur histoire. Ils disposent de lieux autogérés à Bruxelles où se retrouver, et d’un journal mensuel nommé « Organise toi ! ».