Une amie vit en Cisjordanie depuis quelques mois. Elle nous raconte son quotidien et celui de ses compères palestiniens, par quelques brèves, dans les territoires occupées par les colons israéliens. Récit glaçant de la terreur infligée par l’armée coloniale, les checkpoints, et le cauchemar permanent. Avec un mot qui revient : impunité. Par Lina (textes écrits en juillet 2024)

« Je fais le bilan depuis ma naissance.

En cas de désespoir, je me rappelle qu’il y a une vie après la mort.

Je n’ai aucun problème. Mais je demande : Oh Dieu, y a-t-il une vie avant la mort ? »

Mourid Al-Barghouti, écrivain palestinien (1944-2021)

Aujourd’hui à Burin, village au sud de Naplouse,devait avoir lieu un festival de cerfs-volants. Comme un hymne à la liberté des enfants, malgré le génocide en cours à Gaza, malgré les massacres incessants.

Mais les flammes des oliviers auxquels les colons israéliens ont choisi de mettre le feu aujourd’hui (comme hier et a priori comme demain) ont remplacé le spectacle.

Aujourd’hui, alors que les oliviers de Burin partaient en fumée, la Knesset (le parlement israélien) votait à l’unanimité contre la reconnaissance de tout Etat palestinien.

Normal. عادي, 3adi, comme disent, résistant, les Palestinien.nes face aux faits absurdes, impensables et impunis dont ils sont témoins et victimes au quotidien.

Aujourd’hui, en réponse à la réaffirmation par la Cour internationale de Justice (CIJ) de l’illégalité de la colonisation israélienne sur l’ensemble des territoires occupés de la Palestine, Benjamin Netanyahu a sans surprise réagi immédiatement, le sourire du monstre collé aux lèvres, piétinant la décision et vomissant son cynisme : « C’est absurde, les juifs ne peuvent pas être occupants sur leur propre terre ». Impunité. 3adi.

La colonisation serait donc illégale, devrait être démantelée et les préjudices réparés, dixit la plus haute juridiction au monde? Ah ouais ? Pour de vrai ? Pour de vrai, Israël s’en contre-fout et tous les pourris qui profitent de l’absurdité et du carnage aussi. Depuis plus de vingt ans, depuis la seconde Intifada en 2002, Israël n’a jamais cessé d’étendre la construction du mur de l’apartheid et de la colonisation. Selon l’Ocha (Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires) 85% de la longueur du mur est en Cisjordanie et non sur la Ligne verte, (autrement appelée ligne d’armistice de 1967 prétendant séparer Israël d’un futur Etat palestinien).

Ladite frontière est toujours en mode liseré vert sur les cartes, Israël se dit donc qu’il y a sûrement moyen de continuer à traverser, à grapiller, à piller, à installer chaque jour un peu plus de colons en zone occupée et ainsi continuer de commettre, tranquilles, des crimes de guerre…

Dans un avis consultatif rendu le 9 juillet 2004, la CIJ avait pourtant jugé le mur illégal et exigé son démantèlement 2024 : 20 ans ont passé, le mur est seulement beaucoup plus long.

Le mur (qui prend des formes architecturales diverses mais toutes aussi laides, violentes et carcérales les unes des autres) sépare des milliers de Palestinien.nes de leurs terres agricoles, de leur lieu de travail, du reste de leur famille. Ce mur en perpétuelle construction est censé s’étendre sur 712 km de long. La ligne verte mesure, elle, pourtant seulement 320 km. Un ptit souci dans la compta ? J’ai une petite horreur de 392 km supplémentaire qui s’est glissée. Bon, pas grave, ça devrait passer.

Quel Palestinien, quelle Palestinienne, peut encore croire à ce mensonge crasse de deux Etats? Je n’en ai rencontré aucun.e.

Brèves du réel et voix de ces invisibles qui vivent la dystopie :

Sheikh Jarrah, Jérusalem-Est

J’y étais il y a douze ans avec Souleymane, Fatma et leurs enfants. Ils vivaient sous une tente à cinq mètres de leur maison qui venait d’être envahie par des colons armés. Toute la famille avait été expulsée en pleine nuit, sous la menace des fusils Tavor (nommés en dédicace au Mont Tabor, #ArtMetaphoriqueSioniste). Les cris que les colons dégueulaient en sautillant autour de la maison dans une chorégraphie macabre résonnent encore dans ma tête. Je suis retournée là-bas. Souleymane, Fatma et leurs enfants n’y sont plus. Leur maison, douze ans après, est toujours occupée, peut-être toujours par les mêmes tarés.

Pas loin de ce drame, Najjat, une Palestinienne de Sheikh Jarrah est cernée par les colons, elle me dit qu’elle doit chaque fois présenter des nouveaux papiers introuvables pour prouver la propriété de sa maison, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus capable de les obtenir et qu’elle soit démise de sa propriété. La quantité et le type des papiers qu’elle énonce sont insensés. « Expulsion légale » diront les tenants du système illégal d’occupation.

Il existe une loi discriminatoire qui permet aux organisations de colons de revendiquer des terres dont elles affirment qu’elles appartenaient à des juifs à Jérusalem-Est avant 1948. Sheikh Jarrah et Silwan, sont touchées de plein fouet par cette absurdité. A l’opposé (le fameux double-standard peut-être?) il est impossible pour les Palestinien.nes aux termes de la loi israélienne, de récupérer la propriété de terres qu’iels possédaient, dont iels ont été ethniquement nettoyés en 1948, et ce sur quoi s’est construit Israël. Impunité. 3adi

Brèves du Nord :

Abdallah vit à 3Assira, village au sud de Naplouse, il travaille à Ramallah. Ce soir il a mis quatre heures pour faire les 45 km qui séparent les deux villes, toutes deux pourtant en Cisjordanie mais, 3adi, cernées par les checkpoints. Un des soldats au checkpoint d’une des quatre entrées de Naplouse est français. Les mercenaires français qui servent dans l’armée d’occupation représentent le deuxième plus gros contingent derrière celui des Etats-Unis. Leur nombre est évalué à plus de 5 000, en progression constante depuis le 7 octobre 2023.

Début 2023, selon l’OCHA, 645 postes de contrôle et autres obstacles permanents traversaient, quadrillaient toute la Cisjordanie. S’ajoutaient à cela des points de contrôle « volants » complètement arbitraires. Un checkpoint répond à la fonction première de retarder et d’humilier les Palestinien.nes. Les mouvements des colons israéliens sont quant à eux illimités. Depuis le 7 Octobre, ces points de contrôle indéfinissables se sont démultipliés et sont de fait indénombrables.

Hakima, l’épouse d’Abdallah vient d’apprendre la mort de son oncle à l’hôpital de Naplouse. Un checkpoint fermé la sépare du défunt : très probable qu’elle ne puisse pas le voir une dernière fois.

Sabra (“patiente” en arabe), est ma voisine dans le bus pour Tulkarem, elle travaille à Tayibe au sud de la ville. Question au chauffeur : « C’est quoi la route aujourd’hui? Quel est le temps de trajet prévu ? »

Le chauffeur, au royaume de l’arbitraire, n’en a bien sûr aucune idée. Un canal Telegram existe bien pour s’informer en temps réel sur la présence de coupeurs de route. Quelle serait donc la différence entre, d’un coté, un gars ayant décidé de se poster sur la route pour racketter quelques passants et serait identifié comme brigand ou coupeur de route et de l’autre côté, ces mercenaires de l’occupation, colons ou soldats? Aucune, l’illégalité est la même. Mais posséder Telegram sur son téléphone, ici, sous occupation de la « seule démocratie du Moyent-Orient » (haha) est un motif, en cas d’interpellation et de fouille, d’arrestation par l’armée coloniale. Cela en dissuade certain.es.

Sabra passera une dizaine de coups de fils pendant le trajet qui aura duré trois heures (pour couvrir 25 km : trajet qui prendrait dans une Palestine libre, 30 minutes) pour négocier que des clients l’attendent, pour quémander un sursis, pour s’excuser platement pour finalement voir son petit magasin s’effondrer petit à petit sous les bottes de l’occupant.

Shirin, à Naplouse, mère de trois enfants, rêve pendant ce temps là, qu’un jour elle les laissera partir à Ramallah chiller avec leurs potes sans avoir la peur au ventre qu’ils ne reviennent pas à cause d’un mercenaire posté à un checkpoint qui aura eu la gâchette et l’esquive faciles.

Le chiffre de prisonniers palestiniens détenus par Israël selon Addameer (organisation de défense des droits des prisonniers palestiniens) est de 9 700 dont 3380 sont des prisonniers administratifs sans aucune charge connue. Plus de 1 400 plaintes relatives à des actes de torture commis par Shabak (l’Agence de sécurité israélienne) ont été déposées auprès du ministère israélien de la Justice depuis 2001. Résultat de la lutte judiciaire : trois enquêtes criminelles et aucune inculpation (selon le Comité public contre la torture, une organisation israélienne de défense des droits) 1400 vs 0. Impunité.3adi.

Aujourd’hui comme tous les jours des vacances d’été, Jouri, 7 ans, est au centre aéré Yaffa, dans le camp de réfugié.es de Balata à Naplouse. Aujourd’hui, elle y restera cloîtrée, effrayée par les tirs de l’armée coloniale, qui résonnent dans les ruelles étroites de ce camp surpeuplé.

L’invasion armée d’aujourd’hui s’est conclue par deux blessés graves, par 4 arrestations et par des habitant.es condamné.es à vivre en alerte et à porter les traumatismes des exactions de l’état colonial.

Une autre invasion armée du camp, la semaine dernière a plongé Amer dans le coma. Amer, 15 ans, est bénévole au sein du centre aéré où va Jouri. Amer était sur le pas de la porte de sa maison. Un sniper, depuis « Al Nouqta » (le point en arabe) situé sur le Mont Gerizim (Mont associé à la Torah #ArtMétaphoriqueSioniste) surplombant le camp Balata, a tiré à l’aveugle, assurément. Impunité. 3adi.

A 25 km de là, Ayat, Raed et leurs enfants survivent dans une maison à moitié détruite par l’armée d’occupation dans le camp de réfugiés Nour Al Shams, à Tulkarem. Quatorze personnes ont été tuées parmi leurs voisin.es proches depuis le 7 octobre dans les raids soudains et terrorisants de l’armée coloniale. Les nuits des enfants de Ayat et Raed sont envahies de cauchemars. Au total, 80 habitant.es ont été executé.es depuis le 7 octobre. (rectification alors que je relis cet article deux jours après l’avoir écrit : 85 ont été exécuté.es, un drone a tué 5 habitant.es hier.)

Les raids et les mort.es se multiplient. Les habitant.es du camp de Jénine ont été les 3 et 4 juillet 2024, victimes d’une des attaques les plus meurtrières en Cisjordanie depuis 2005 : douze habitant.es dont quatre enfants sont mort.es, 3 500 personnes déplacées selon l’Ocha, les décombres jonchent le camp.

Quatre cent soixante Palestinien.nes en Cisjordanie sont mort.es en 2023 et selon l’Ocha, au moins 554 palestinien.nes y ont été tué.es par l’occupation entre le 7 octobre et le 15 juillet (s’ajoutant aux plus de 40 000 Gazaouies massacré.es). L’Ocha ajoute que plus de la moitié des morts enregistrées sont survenues lors d’attaques israéliennes qui n’incluaient pas d’affrontements armés. Impunité. 3adi

Jenine. Depuis la colline de Burqin, je vois Haïfa et la mer à moins de 50 km à vol de drone ou d’hirondelle. Youssef à coté de moi, les voit aussi. Il est d’Haïfa, ses parents ont été chassés de leur maison lors de la Naqba en 1948. Il sent l’humidité de la mer mais ne l’a jamais touchée. Il sent Haïfa mais il n’y est jamais allé et ne pourra pas tant que la Palestine est occupée. On voit le checkpoint de Jalama, à 6 km d’ici, frontière infranchissable pour qui n’a, comme Youssef, qu’une carte d’identité palestinienne. On voit les avions de chasse et les gazaoui.es genocidé.es.

Impunité.3adi.

Brèves du Sud :

27 juin 2024, village d’Um Alkhir. Naram, 12 ans est réveillée par les bulldozers qui dévorent sa maison. Trois autres maisons voisines ne seront aussi plus que décombres, deux heures plus tard, laissant plus de 40 personnes sans abri dans le village.

La majorité des habitations de ce village du sud de la Cisjordanie sont sous ordre de démolition. La vidéosurveillance par drone est constante: si une bétonnière s’active, l’armée d’occupation débarque sur le champ. La plupart des bâtiments détruits en Cisjordanie chaque jour (incluant des écoles) le sont pour absence de permis de construire, impossible à obtenir par les Palestinien.nes.

Le droit international interdit pourtant à une puissance occupante de détruire les biens de l’occupé. Droit quoi? Hum. Connait pas… Impunité. 3adi

La « zone de tir » (ndlr : si tu es palestinien.ne, que tu t’approches, moi colon ou soldat israélien, je peux te shooter et c’est mon droit) qui couvre les zones de pâturage autour du village d’At-Tuwani, s’est soudainement étendue à l’ensemble du village le 13 octobre 2023. Zakaria, sortait de la mosquée du village, un colon escorté par un soldat attentif, veillant à la sécurité de son acolyte criminel, a débarqué, a braqué son fusil et a tiré une balle à fragmentations dans l’abdomen de Zakaria.

Zakaria, dix mois après le tir, est alité 22 heures sur 24 et a subi quatorze lourdes opérations chirurgicales. Le colon criminel vit à MA’on, colonie établie illégalement à 3 km de chez Zakaria. Le criminel est libre, souriant sûrement, en pensant à l’impunité dont il jouit : aucune poursuite n’a jamais pu être engagée contre lui.

Les actes de violence et d’intimidation commis par les colons sont quotidiens. Selon Human Rights Watch, les 1257 Palestinien.nes déplacé.es depuis le 7 octobre mentionnent les violences des colons et le fait qu’ils les empêchent d’accéder à des pâturages comme étant la principale raison pour laquelle ils ont été forcés d’abandonner leurs maisons. Le nettoyage ethnique s’est considérablement aggravé depuis le 7 octobre 2023. Impunité. 3adi

Human Rights Watch (HRW) déclare aussi que la répression des Palestinien.nes de Cisjordanie exercée par Israël équivaut aux crimes contre l’humanité d’apartheid et de persécution. Impunité. 3adi.

Mais ? La Knesset a déclaré l’UNRWA organisation terroriste le 23.07.2024. Est-ce que l’HRW ne ferait finalement pas partie de la même faction ? Mmm….sûrement.

« L’un d’eux l’entendit à peine lorsqu’il énonça sa dernière sentence :

« L’important n’est pas que l’un de nous meurt, l’important est que vous puissiez continuer. »

Et il rendit l’âme »

Ghassan Kanafani, auteur de « Retour à Haïfa », 1936-1972, mort assassiné

All Palestinians (juif.ves, musulman.es, and so on…) will be free from the river to the sea.

Impunité ? Intifada.