Les quelques jours qui ont suivi l’annonce par la première ministre du recours au 49.3 pour le passage en force de sa contre-réforme des retraites, jusqu’au vote de la motion de censure du gouvernement -rejetée à 9 voix près-, ont donné à voir un peuple solidaire, organisé et combatif. Récit parisien et analyse, au cœur de l’émeute, de ces « Cinq Glorieuses » enflammées qui, pour le pouvoir, ont pris des allures de fin de règne.
Par Mačko Dràgàn, envoyé spécial sur le front avec la Grande Timonière.
Jeudi 16 mars, 17h30
Place de la Concorde. Quelques instants à peine après avoir posé mes valises -enfin, mon vieux sac de randonnée- à Paris, où je me trouve incidemment pour des raisons bassement sentimentales liées à la bonne marche de mon couple, j’ai appris sur les réseaux l’annonce, par Élisabeth Borne, devant une Assemblée- « camp-de-Gitans » zadisée à souhait, de son recours au 49.3 afin de faire passer en force, à la Guy Georges, une contre-réforme des retraites définitivement démonétisée. Même « dans le camp présidentiel, « les députés sont groggy » … Face à une situation qui leur échappe complètement, beaucoup se sont mis aux abris. Dès jeudi, les ministres ont annulé leurs déplacements, leurs rendez-vous, leurs déjeuners. Matignon a fait passer la consigne : à défaut de tout arrêter, il s’agit de « se mettre en lien avec les préfets pour voir si les conditions sont réunies » pour se déplacer » (Mediapart).
De notre côté, rendez-vous est donné face au Parlement. Mais celui-ci ayant été intégralement bouclé et ceinturé d’épais et disgracieux remparts de flics sur-armés, -métaphore navrante de la « démocratie » française contemporaine que cet amas de prétendus « élus du peuple » se fortérisant pour ne pas voir et recevoir ce même peuple venu lui demander des comptes-, c’est sur la place de la Concorde qu’une foule de plus en plus dense, à l’approche de la nuit, se rassemble. Rapidement, un feu de barrières est allumé face au mur policier. D’amples bouffées noire s’élèvent au-devant de la Tour Eiffel au loin. Puis, les premiers jets de slogans hostiles et de projectiles sur les gardiens de l’ordre macroniste : « ACAB ! » « Tout le monde déteste la police ! » Ils finissent par attaquer, brisant les rangs des manifestant·e·s.
A force de charges successives et d’envoi de grenades lacrymogènes, une large partie des personnes présentes sur la place, dont une fanfare festive, se retrouve acculée vers la rue Saint-Florentin, masse bien vénère coupée en deux par un cordon policier. Une poussée permet aux deux groupes de se rejoindre, et tout ce petit monde se dirige vers la rue Saint-Honoré. Les poubelles, nombreuses du fait du mouvement de grève des éboueurs Parisiens, avec le soutien notable de la mairesse -d’où ce tag aperçu sur un mur : « Soutien critique à Anne Hidalgo »- sont consciencieusement enflammées, et répandues en travers de la chaussée en guise de barricade, en compléments de divers morceau de matériel urbain arraché et brisé.
Semblant suivre -pour le moment- des ordres de relative mesure dans la répression, les flics évitent le contact, utilisant principalement le gaz. En grosses quantités. Dans cette rue étroite, et en l’absence de vent, un couvercle opaque et irrespirable flotte rapidement à mi-hauteur, nous poussant, M., P. et moi, à avancer à l’aveugle, à moitié baissé, nous donnant la main. Je donne le T-shirt qui traîne dans mon sac au type à côté de moi pour qu’il s’en serve de foulard. La douleur dans les sinus, les poumons, les yeux, est intense. Nous planquant dans le renfoncement d’une entrée d’immeuble, je m’agenouille pour respirer un peu d’air frais au plus près du goudron, et pour vomir. Ici et là, on distribue de quoi apaiser les brûlures.
L’équipée émeutière, toujours entre barricades improvisées, bris de vitrines publicitaires et feux de poubelles, se poursuit une heure durant, semant l’effroi dans les hôtels et les terrasses de cet éminent quartier bourgeois. On finit par apercevoir la BRAV-M (pour qui ne connaîtrait pas : groupes policiers ultra-violents de briseurs de mâchoires, constitués de binômes motorisés, un conducteur devant et un matraqueur derrière), qui parade mais ne charge pas. Les effectifs sont cependant de plus en plus dispersés. Nous quittons les lieux par le métro. Voulant descendre au premier arrêt, on nous prévient de contrôles à l’extérieur, et nous remontons dans la rame. Grand bien nous en a pris : on saura un peu plus tard que de nombreuses personnes ont été arbitrairement embarquées à toutes les sorties des métros avoisinants. Nous allons boire une bière à Châtelet, avant un bref nouveau passage dans les alentours de l’Élysée -mais nous n’y trouvons que de très nombreux barrages de flics, et quelques flambées d’ordures éparses. Nous apprendrons sur le retour l’arrestation du compère C., en compagnie du Gilet Jaunes Jérôme Rodrigues -comme quasi tous les autres (292), ils seront relâchés le lendemain sans aucunes charges. Mais un constat demeure : « Vous n’étiez qu’une foule, vous êtes un peuple maintenant » (Victor Hugo).
Vendredi 17 mars, 18h
Place de la Concorde, again. Au réveil, solide petit déjeuner en écoutant la radio et en regardant sur les réseaux des vidéos et photos des conséquences de l’absurde folie de Macron & Borne, décidément experts en pissage de fioul sur des barriques de TNT en flamme. Lyon, Nantes, Rennes, partout, le feu s’est généralisé. L’abject Darmanin s’en inquiète : « Les places des villes et des villages ne sont pas des ZAD, dit-il à RTL. Il faut savoir être ferme tout en étant à l’écoute. Le bordel et la violence, non. On ne laissera pas faire. On empêchera que la chienlit soit au rendez-vous. » Et pourtant, la « chienlit » -on mesure dans ces mots le respect que ce gouvernement a pour nous- est bien là. Ce matin, le périph’ a été bloqué à diverses portes. Une multitude d’autres actions sont prévues, notamment dans les secteurs clés de l’énergie. La grève générale reprend des couleurs -le noir et le rouge, pour être précis.
Retour à Concorde, donc, tandis que Macron, de son côté, arrive pour passer son week-end dans sa résidence de la Lanterne, à Versailles, en compagnie des 78 agents du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR). Aussi nombreux que la veille, ou peut-être un peu moins, difficile de savoir, vu la conformation de la place. Le mur de policiers et de canon à eau bloquant tout accès à l’Assemblée Nationale est toujours là, et à nouveau, une foule lui fait face. Le feu de barrière et de nombre de matériaux -dont, dans un moment de liesse, une reproduction grandeur nature de Macron en carton- piochés à droite à gauche est toujours là lui aussi, mais cette fois-ci, on lui ajoute également une barricade bien fournie constituée de barrières métalliques et de blocs de chantier. Dans la foule, la sociologie de ce mouvement social inattendu se confirme : il s’agit bien souvent de personnes jeunes, aux allures parfois même tout juste post-adolescentes. Beaucoup semblent inexpérimentées et, contrairement aux habitués les plus aguerris des cortèges de tête, se livrent à leurs blacko-bloqueries sans même chercher à respecter les consignes de prudence les plus élémentaires, comme ne serait-ce que dissimuler leur visage. Mais bref ; comme hier, il ne faut pas longtemps avant que projectiles et slogans hostiles ne fusent, sur fond de « Paris, Paris, soulève-toi » et de « Siamo tutti antifascisti ».
Ce soir-là cependant, les charges ne viennent pas d’en face, mais de derrière. La Concorde est intégralement nassée -même si je rappelle à tout hasard que cette technique d’encerclement est toujours formellement interdite-, et la police repousse, à la matraque et au gaz, les manifestants d’un côté de la nasse, puis de l’autre, sans que l’on comprenne bien, de notre côté, où ils veulent en venir. Nous tentons de sortir côté Élysée -c’est, bien évidemment, un échec. Revenus côté Rivoli, nous constatons que le cordon laisse sortir au compte-goutte, moyennant une fouille. Méfiants, nous préférons tenter le métro, mais un jeune homme nous prévient : « Gaffe ! Ils ont balancé du gaz là-dedans, c’est irrespirable ». Masque sur le nez, nous tentons notre chance ; l’air, quoique épicé, est néanmoins tout à fait respirable, et nous partons prendre l’apéro à Ménil’. A nouveau, comme la veille, nous avons esquivé de peu les ennuis : une poignée de minutes après notre départ, nous voyons passer sur Twitter des vidéos d’arrestations et de tabassages à l’endroit même où nous étions quelques instants plus tôt. La répression passe à la vitesse supérieure.
Et je le précise d’emblée, à l’attention de tous les clowns des chaînes de palabres inutiles en continu : les « émeutiers » visent des objets, la répression cible les personnes, jusque dans leur intime le plus fragile. Entre « briser des vies et briser des vitrines », comme l’a joliment formulé mon collègue Edwin, il n’y aura jamais d’égalité dans l’équation.
Samedi 18 mars, 14h30.
Place de la République. En me levant ce matin, c’est avec une tristesse immense que j’apprends, par mes copaines de Nice, que la permanence de mon député bien-aimé, Éric Ciotti, s’est pris une caillasse, assortie de cet avertissement : « La motion, ou le pavé ». Le chef des Républicains avait en effet annoncé -contrairement à d’autres LR comme Pradié- son intention de ne pas voter la motion de censure du gouvernement. Une pensée émue me vient alors pour ce pauvre pavé, obligé de passer de longues heures dans la permanence de Ciotti.
Cet acte inadmissible est bien évidemment dramatique et tout le gratin (de nouilles) politique et médiatique est consterné, mais pour l’heure, pour nous le petit peuple, c’est une autre forme de violence qui nous préoccupe : la violence d’État. En ce jour, à Répu, c’est en effet la marche en soutien des familles des victimes de crimes policiers. De nombreux collectifs sont là, enchaînant les prises de paroles, émouvantes et dignes, disant leur douleur et leur colère de leur deuil impossible en raison de l’impunité de ces crimes. Accompagné par une batucada africaine pétaradante et bon nombre de Gilets Jaunes -un cortège, principalement étudiant, de Révolution Permanente se greffe également à la dernière minute en cul de cortège-, nous déambulons jusque dans les alentours de Clichy, près du canal, où l’on se murmure la suite en sirotant une bière pour se remettre de la marche : le « zbeul » sera place d’It’.
C’est donc vers 18 heures 30 que nous arrivons Place d’Italie, d’où le cortège sauvage, constitués dirait-on de quelques milliers de personnes, s’est déjà élancé. Il y a là beaucoup de jeunes, mais aussi des familles, des grands-pères, des grands-mères, quelques enfants. Le boulevard, ample, donne l’impression -peut-être pas si fausse- d’un fleuve implacable, inarretable, bordé de fenêtres d’où jaillissent, la plupart du temps, cris, bruits de casseroles, slogans, applaudissement en guise d’encouragement. On leur crie : « Rejoignez-nous ! » Selon la toute récente tradition d’ores et déjà solidement implantée, les poubelles isolées -non celles donnant sur des habitations- sont systématiquement brûlées sur le trajet. Une dame de passage, à l’allure proprette, s’écrie, outrée : « Vous n’avez pas honte ! Ce sont mes impôts qui payent ! » Les manifestant·e·s à côté d’elle la raillent gentiment, et lui demandent le ticket de caisse. Il est vrai néanmoins qu’ici et là, on se lamente, sans doute à raison, de ces dégâts dans un quartier populaire et non chez les bourgeois, comme le premier soir. Mais Concorde a été bouclée. ..
La sauvage retourne vers la Place d’Italie. A un croisement, on entend crier : « A droite, la manif normale ! A gauche, l’autre manif’ ! » « L’autre manif’ » a peine le temps de s’engouffrer dans sa rue qu’elle est aussitôt brutalement chargée, poussant tout le monde à reculer en fredonnant le chant « On marche tranquillement, on marche tranquillement », qui vise à aider les gens à ne pas inutilement courir dans un mouvement de panique. Bouche couverte, baignés dans les gaz, nous nous plaquons contre les murs. La tête du cortège a été annihilée en quelques instants ; et les charges continuent. Les BRAV-M déboulent, et cette fois, ce n’est pas pour parader, mais pour dérouiller tout ce qui passe. Leurs motos vrombissent ici et là, fonçant dans les rues, terrorisant les îlots de manifestants disséminés par les lacrymo et les déploiements de boucliers. Descendus de leurs véhicules, ils créent un barrage en face de nous, et s’avancent rapidement dans notre direction, matraque à la main ; nous rebroussons chemin.
Finalement, nous tombons sur une sortie de métro, où nous nous engouffrons, assez lucides sur la suite des événements. Effectivement : des vidéos des violences policières circulent déjà. Pour beaucoup, ce samedi soir ne passera pas par la case apéro, mais par celle des bavures, des coups de poings gantés en pleine figure, des insultes et de la GAV injustifiée. « On est à la veille d’une insurrection. J’ai peur qu’un de mes gars tue un manifestant », affirme ainsi un commandant de compagnie de CRS à Mediapart.
Dimanche 19 mars, 18h30
Les Halles. Tout le contre commercial a été fermé, et un message diffusé à la station encourage tout le monde à quitter les lieux. Dans la journée, Aurore Bergé a exprimé ses craintes à France Inter et France Info : « Je ne veux pas qu’on rebascule dans ce qu’on a connu avec les Gilets jaunes ». Est-ce déjà trop tard ? Mélenchon, de son côté, estime que compte tenu de la violence macronienne, « le mouvement est calme… d’un calme et d’un pacifisme remarquables ».
Le rassemblement spontané de ce soir, après avoir été chassé de l’entrée des Halles, s’est réfugié dans les petites adjacentes de l’église Saint-Eustache de Paris. « Louis XVI, on l’a décapité ! Macron, peut recommencer ! » Nous sommes arrivés un peu en retard, et le gros de la manif’ est déjà nassé. Des lignées de flics vont, viennent, interdisant en rangs d’oignons successifs l’accès à Montorgueil. Après une heure à stagner, nous décidons de partir : la police semble commencer à procéder à des arrestations au petit bonheur la chance. Des camarades pris au piège nous raconterons plus tard s’être fait offrir des falafels et autres mets savoureux par un restaurant situé dans la nasse, dans laquelle ils sont restés plus de deux heures. Une amie y a été arrêtée, avec 11 autres personnes, rue Marie Stuart, ne ressortant que le lendemain -sans charges. « Notre faute ? Avoir exprimé, comme nous en avons le droit, notre désaccord. Notre peine ? 20h dans une cellule, le droit d’aller aux toilettes la porte grand ouverte, une prise d’empreintes et d’ADN, l’intimidation des manifestant·e·s » (compte Twitter d’une gardée-à-vue).
La macronie se tend toujours plus. « « Tout le monde fouette ! », rapporte un député macroniste qui, comme ses collègues, a reçu un coup de fil de son préfet pour le dissuader de s’afficher trop ostensiblement dans sa circonscription, et le prier de reporter sine die les réunions publiques et la présence sur les marchés » (Mediapart).
Lundi 20 mars, 13h30
Assemblée Nationale. On y est. C’est cet après-midi que la fameuse motion de censure transpartisane, déposée vendredi dernier par le groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) pour protester contre le 49.3, au motif que « si cette méthode venait à prospérer, elle créerait un précédent dangereux qui permettrait aux gouvernements de faire passer de vastes réformes sociales par des procédures détournées, contraintes, et dangereuses pour notre démocratie », va être soumise au vote du Parlement. Nous errons donc dans le huppé VIIème arrondissement de Paris, celui de l’Assemblée Nationale, de Science-Po et de divers ministères, haut lieu du pouvoir intégralement barricadé -mais pas des barricades à nous. Tout est vide, les boulevards ont des allures de ville-fantôme, sauf aux terrasses des cafés intello-bourgeois du Flore et des Deux Magots. M. croise par le plus improbable des hasards le député NUPES de sa circo savoyarde, seul avec sa petite valise à roulette. « On compte sur vous ! -Vous inquiétez pas, j’appuierai sur le bon bouton ! »
Finalement, un appel à se rassembler à la place Vauban, en face des Invalides, germe sur les réseaux, et c’est donc là-bas que nous nous rendons, bière à la main. Au pied de la statue de Gallieni, ancien ministre de la guerre, tout un symbole, et non loin du tombeau de Napoléon Ier, tout un symbole aussi, quelques centaines de personnes, allongées sur la pelouse, sont en train d’écouter, grâce à une sono amenée par Sud Solidaires, les prises de parole au Parlement. Aurore Bergé, qui ressort l’élément de langage « motion de censure = alliance avec le RN », comme si ce n’était pas le gouvernement qui s’était livré à un perpétuel massage avec finition de l’extrême-droite dès le premier quinquennat, est conspuée. Mathilde Panot est quant à elle applaudie, qui signale qu’un conseiller de Macron a laissé fuiter que « seul un mort » en manif’ pourrait le faire changer d’avis (« il exige un sacrifice ! »), et conclut en affirmant que le président « ressemble à Caligula, ivre de pouvoir. Qu’il contemple son reflet, il y verra bientôt sa chute. »
Un peu après 18 heures, le rassemblement bruisse d’indignation (même si ce n’est pas vraiment une surprise) : on vient d’apprendre que la motion de censure était rejetée, à… 9 voix près, un poil de cul. On a manqué de peu de virer la Borne. Presque aussitôt, la foule s’élance pour partir en sauvage. « Louis XVI, on l’a décapité ! Macron, on peut recommencer ! » « Nous aussi, on peut passer en force ! » Mais nous n’allons pas bien loin : à nouveau, la place est intégralement et hermétiquement nassée. Quelques minutes après être arrivé face au rempart policier de l’avenue de Villars, nous sommes repoussé·e·s par une charge. Nulle part où aller ; nous faisons donc longuement des ronds sur la place, tandis que la nuit tombe. A chaque barrage, avenue de Tourville, de Lowendal, de Ségur, de Breteuil, les CRS nous empêchent le passage et lancent les sommations d’usage ; on le sait, la grosse charge finale est pour bientôt. On se prépare mentalement à perdre quelques dents avant de dormir en GAV.
C’est alors qu’un plot twist survient dans la nasse : les député·e·s de la France Insoumise -Clémentine Autain, Carlos Marten Bilongo, Louis Boyard…-, écharpe tricolore en bandoulière, intègrent le rassemblement, retardant, je le suppose du moins, le nettoyage au gaz-matraque de la nasse. « Députés, aidez-nous à sortir ! » C’est d’ailleurs à la suite de Boyard que nous-mêmes parviendrons à quitter le piège à rat, quelques temps plus tard, nous rendant à Barbès, qui pour une réunion CGT, qui pour un apéro bien mérité.
Nous continuons cependant à suivre les mouvements sur les réseaux : dans le XIIIe, les étudiant·e·s de l’université de Tolbiac se sont prononcé·e·s pour l’occupation des lieux. Dans le IXe, vers la gare Saint-Lazare, du côté de la place de l’Opéra, où les CRS sont massivement présents, ça flambe. « Un cortège a ensuite arpenté les rues …, suivi par les policiers de la BRAV-M en moto, tandis que d’autres étaient au Châtelet, non loin de l’Hôtel de Ville. Renversant sur leur passage trottinettes électriques et vélos, ou mettant le feu à des poubelles, les manifestants ne cherchaient pas la confrontation avec les forces de l’ordre, selon les journalistes sur place, mais plutôt à se livrer au jeu du chat et de la souris. Les forces de l’ordre ont utilisé à plusieurs reprises des gaz lacrymogènes. En tout, 234 personnes ont été interpellées, a annoncé la police » (France Info, le lendemain).
Il est mercredi matin. Je suis rentré à Nice hier soir, pendant qu’à République, à Paris, c’était à nouveau le feu -et même, le feu d’artifice. Au dépôt pétrolier de Fos-sur-Mer, la situation commence à prendre une tournure de grève émeutière. Comme l’a dit l’inénarrable Oliver Mateu à Mediapart, « à la première réquisition, c’est la guerre. Vous touchez un camarade dans une raffinerie, on vous met le feu au département. Mais pas le feu “on s’énerve”. On vous met le feu, les flammes. » Et Manu s’apprête à parler au 13 heures de TF1 et France 2, au motif, tenez-vous bien, que « en province, le retour au domicile pour la pause méridienne est une tradition, tout comme est une habitude le déjeuner devant le journal télévisé ». Sa connaissance du peuple français est tout bonnement stupéfiante, car tout le monde sait bien que là bas, dans les « territoires », comme ils disent, tout le monde fait l’aller retour en calèche tous les midis pour aller manger la poule au pot devant le journal.
Que va-t-il dire ? « Comme d’habitude… rien », raille un ancien soutien du Prez, cité par Ellen Salvi. L’article poursuit : « De toute façon, rappelle à juste titre la même source, la colère qui s’exprime dans la rue dépasse le seul sujet de la réforme des retraites. Elle se cristallise autour de la personne d’Emmanuel Macron et de sa façon d’exercer le pouvoir : brutale, méprisante et solitaire. Soit le contraire de la fameuse « méthode refondée » qu’il avait promise au soir de sa victoire, le 24 avril 2022 ». Qui aurait pu prédire…
On en est ou ? « Schématiquement, une crise de gouvernabilité peut avoir deux grandes polarités, en bas, chez les gouvernés, ou en haut, chez les gouvernants, et deux grandes modalités, la révolte ou la panne : gouvernés rebelles ou gouvernants impuissants -les deux aspects pouvant bien sûr se combiner » (Grégoire Chamayou) (1)
Inutile de dire qu’en ce moment, nous sommes en plein dans ce doux croisement des feux de position. Le deuxième quinquennat de Macron est déjà terminé. Ça va être long, jusqu’à la fin : mais au vu des derniers jours, on ne risque pas de s’ennuyer. La « guérilla des poubelles » ne fait que commencer.
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Nota bene : Le texte qui suit ne constitue en aucun cas une incitation à quoi que ce soit. Il s’agit du récit analytique et circonstancié, volontairement subjectif, de manifestations dont on peut approuver ou non le mode d’action, mais c’est un autre sujet.
(1) Dans La société ingouvernable, très bon livre paru à La Fabrique, et cité dans Science-Po, l’école de la domination, que je suis en train de lire et qui est bien chouette, du camarade de Mediapart Mathieu Dejean, et qui est paru (ou paraîtra ? Je sais plus) à la Fabrique également.