Le Mouais du mois de décembre est paru ! Retrouvez sur notre site, ici-même, l’édito et le sommaire, et n’oubliez pas : le meilleur moyen de nous lire, c’est encore et toujours de vous abonner, parce que notre seule ressource, c’est votre soutien !

Petit, j’aimais bien les poèmes de Prévert sur les cancres et les oiseaux, mais j’aimais aussi bien l’école. Il faut dire, après la mort de mon père, quand j’avais trois ans, l’école, je vivais dedans : ma mère, institutrice de village, avait obtenu un appartement de fonction, et nous avons donc posé nos valises au-dessus du préau, avec mon frère, ma sœur et nos deux chats. Et dans cette école, du directeur aux maîtres et maîtresses en passant par les dames du ménage et de la cantine, c’était un peu comme une grande famille.

Puis, suite à un énième déménagement, les choses se gâtent un peu : isolé, gamin rêveur, angoissé, à part, je découvre progressivement la violence de la sociabilité quotidienne imposée avec mes frères et sœurs humains ; avec mes « frères », surtout, je dois dire, ces petites choses fières et viriles si pressées de s’imposer à tout ce qui les entoure ; comme ces mâles en costume qui, en d’autres classes sociales et en d’autres lieux, viendront plus tard me hurler comment vivre et répandre leur béton sur nos plaines fertiles (voir ma grande enquête sur la bétonnisation de Nice, à partir de la p.14)

Car ce qu’on appelle « éduquer », c’est ça, trop souvent, malheureusement : nous rendre aptes à la vie, ou à la survie, dans un monde capitaliste délirant. Celui que j’ai découvert plus tard en classe préparatoire, moi maigre représentant du quota obligatoire de boursiers dans une usine à « élite », blanche et bourgeoise, trop souvent bête à manger du foin, où je n’ai évidemment pas trouvé ma place. Puis, de l’autre côté du miroir, comme professeur de français remplaçant en ZEP (enfin, on dit désormais REP++), à l’Ariane, dans un bahut où j’ai découvert que primait la logique de « rééducation » à la pensée dominante de gosses des classes populaires encore et toujours tenus, comme le disait déjà Bourdieu il y a longtemps, comme des classes dangereuses à mater, à re-façonner, à maintenir dans leur statut de dominé.e.s « qui ne seront jamais rien » (merci Macron) mais qui le seront en parlant bien et en se tenant droit, s’il vous plaît. Professeur trop « prolo » et anti-autoritaire aux yeux de la directrice de l’époque, j’ai d’ailleurs été viré (et à propos de l’éducation en REP et ailleurs, voir la grande enquête de Tia Pantaï sur la start-up éducation, p. 6 à 8).

Ce monde aussi dont, dans ce numéro, nous parlent crûment l’ami Kawalight, éducateur à et dans la rue (p.4), Larsen, auxiliaire de vie scolaire (p. 20 et 21), ou encore Mahault, thésarde précaire, chargée de Travaux dirigés à la fac et pionne à mi-temps (p. 16 et 17), tous et toutes confrontées à une machine prétendument « pédagogique » occupée à broyer les chairs, esprit et corps, qu’elle ingurgite, celles des enseignantes et des enseignants autant que celles des apprenantes et des apprenants (avec fort heureusement de nombreuses exceptions, et vous retrouverez ainsi p. 10 et 11 des témoignages positifs de profs et de parents d’élèves).

Et pourtant, comme toujours, des alternatives existent. Ici et là, sur les traces de l’incroyable Janusz Korczak, pédagogue juif que j’ai découvert en travaillant sur ce numéro, et qui poussa son amour des gosses avec lesquels il travaillait jusqu’à les accompagner dans les chambres à gaz de Treblinka (voir l’article de Brume, p. 9), ici et là, donc, des nuées d’hommes et de femmes pratiquent des formes d’éducation qui respectent en tous et toutes, enfants comme adolescents ou adultes, cette chose si étrange, en tous les cas pour Jean-Michel Blanquer, qu’on appelle l’autonomie –et qui, malgré ce qu’on pense, ne se conçoit jamais sans le collectif, car on est toujours plus libres ensemble que tout seuls. Comme dans ces trop peu nombreux établissements publics où l’on applique les préceptes du grand pédagogue anarcho-syndicaliste Célestin Freinet (voir page suivante et p. 5), ou comme chez certaines personnes pratiquant l’instruction en famille (p. 18/19).

Tout n’est donc pas perdu ; partout dans le monde, l’éducation, ce n’est pas celle au monde malade d’avant, mais celle au monde vivant d’après. Comme je l’ai écrit il y a peu à ma nièce, Nina, qui vient tout juste de nitre (Ce sera pas facile, Nina, mais on y arrivera. Lettre à ma nièce, blog Mediapart de Macko Dràgàn, 22/11/21) : « Une chose est sûre, ma nièce, ma petite Nina : il y aura toujours des gens qui ne renonceront pas, quitte à tout perdre, même la vie, même le moindre espoir, même la raison, mais qui resteront là à faire en sorte, toujours, de génération en génération, que la génération suivante puisse au moins vivre en croquant la peau d’un vrai fruit, et enseigner à ses enfants la joie qu’il y a à poser sa joue contre la fraîcheur de l’écorce d’un chêne en plein été, dans les champs de coquelicots. » 

Alors, toutes les tatas et tous les tontons du monde, donnons-nous la main, prenons celles et de nos gosses, et allons de l’avant, car demain, c’est peut-être pas si loin, finalement, et l’anarchie, c’est pour bientôt.

Un édito de Macko Dràgàn

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