Avez-vous remarqué que plus les alertes scientifiques se multiplient sur la catastrophe climatique et la chute de la biodiversité en cours, et plus les promoteurs du surtourisme -tout particulièrement sur une Côte d’Azur en pleine overdose- sortent les pinceaux verts pour camoufler les impacts croissants de leurs obsessions affairistes et de leur déesse Attractivité ? Il est temps de dire stop.
Au gouvernement ou sur la région PACA et à Nice, que nous racontent les Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, Renaud Muselier, président de Région, Christian Estrosi, président délégué et maire de Nice, François Barou de La Lombardière de Canson et Rudy Salles, deux factotums faisant fonction de couteaux suisses du surtourisme et autres Franck Goldnadel, directeur des aéroports de la Côte d’Azur, qui se prend pour un directeur d’agence touristique ?
Ce landernau d’illusionnistes et de bonimenteurs nous berce de promesses d’un tourisme devenu vert, durable et soutenable. Qu’aux grands dieux, jamais, on ne les reprendra plus à promouvoir le surtourisme comme naguère. Comment ? En se félicitant, à coups de séminaires, de colloques et d’interviews auto-satisfaites, du fait que le tourisme se porte à merveille et que les touristes n’ont jamais été aussi nombreux ou n’ont jamais autant dépensé (dans les tiroirs-caisses de quelques-uns)… En nous pondant des plans hypocrites nous promettant d’« annualiser » les flux touristiques, de gérer plus habilement ces flux sur les sites très fréquentés, de travailler sur l’acceptabilité sociale de ces flux (si, si !), d’« accompagner en ingénierie les territoires » (beau verbiage technocratique), et de miser sur le tourisme vert… Le fameux « tourisme vert et durable » !
Un « vert » à moitié vide, parce que la téléportation n’existe pas…
Vous-êtes vous interrogés sur ce que pouvait être leur tourisme vert ? Un tourisme soucieux des territoires, où les gentils touristes européens, asiatiques (notamment Chine et Japon) ou américains (préférentiellement ceux qui ont un bon portefeuille de devises à dépenser dans nos hôtels 4 et 5* ou dans nos restaurants) vont pratiquer du vélo dans les collines de l’arrière-pays, visiter nos musées, pratiquer la plongée sous-marine. Tout cela est bucolique. Mais il y a un petit problème ! Et le petit problème est en fait gigantesque : ce vert tire sur un « caca d’oie » malodorant. Parce que la téléportation n’existe simplement pas !
Il est que tous ces flux touristiques, qui ramènent des milliards de devises (le tourisme international a atteint 1 400 milliards de dollars en 2023 !), sont transportés à coups de milliers d’avions de ligne et de paquebots de milliers passagers (extrêmement polluants pour l’air et la mer). Le tour de passe-passe est très simple pour les bonimenteurs : tous ces engins à kérosène ou à fuel lourd ont l’énorme avantage de disparaître rapidement dans les nuages d’altitude ou au-delà de la ligne d’horizon maritime. Mais leurs effets ne sont pas magiques : ils sont surtout très durables et problématiques…
Ces éléphants sont énormes, mais personne ne veut les voir. Ils vont pourtant finir par casser toute la porcelaine du magasin climatique, environnemental et social.
Quelques exemples. Une grande part des presque 100 millions de touristes annuels en France (1ère destination touristique au monde !), ou des 10 millions sur la Côte d’Azur, ou encore des 5 millions sur le territoire niçois, prennent l’avion, cet outil magique et rapide. Le secteur aérien sur la région PACA a émis (en 2019) plus de 1,6 million de tonnes de CO2, soit 4% des émissions de la région. Sur la seule ville de Nice, les avions ont émis 0,9 million de tonnes de CO2, soit … 48% des émissions totales de ladite ville. Ces émissions ne cessent de croître (à l’épisode Covid près), et tout est fait par les dirigeants locaux pour développer l’attractivité du territoire. L’aéroport de Nice, arc-bouté sur son business et ses profits (ahhh, les actionnaires, vous savez !), compte d’ailleurs sur son extension T2.3 pour augmenter encore de 50% son trafic passager d’ici 2030 (soit 20 000 vols supplémentaires par an). Engoncés dans leur costume cravate, sont-ils devenus complètement fous ?
Pour résumer, on vante les circuits vélos ou les randos pédestres de nos touristes (quel tourisme vert), dont la seule venue va émettre des millions de tonnes de gaz à effet de serre (cachez cette plaie que je ne saurais voir).
Pour tenter de réduire la taille de ces éléphants, les arguments technosolutionnistes sont légion : ne changez rien, puisque l’ « avion propre » arrive, avec l’hydrogène vert, les carburants SAF, l’avion électrique, l’amélioration des rendements, blabla…
Nous ne développerons pas ces sujets ici, mais une chose est sûre : l’aviation propre, à l’échelle mondiale et à temps (au regard de la catastrophe climatique), est un leurre total. Ca n’est pas nous qui le disons, mais les scientifiques (et même les académies des sciences) et industriels (honnêtes). Un leurre d’autant plus important que l’effet rebond et l’effet non-CO2 des émissions aériennes sont généralement passés discrètement sous le tapis.
Cet aveuglement devient criminel alors que le climat commence à bouillir
La nouvelle, récente, est passée presqu’inaperçue, dans cette période de campagne pour les Européennes : le climat terrestre se réchauffe, non pas de +0,18°C par décennie, mais de +0,26°C ! La pente devient mortelle : alors que nous atteignons déjà +1,5°C par rapport à l’ère pré-industrielle, cela signifie que nos enfants et les leurs vont connaître une température moyenne de +3,5°C d’ici 2100, et probablement davantage. « Moyenne » signifie que cette hausse atteindra probablement les +4°C, voire +5° ou 6°C de moyenne sur nos pays européens, et notamment notre région méditerranéenne, qui est reconnue comme étant un hot spot climatique ! Traduction extrêmement concrète : les canicules vont devenir fréquentes et dangereuses (sur terre, comme dans les océans), la sécheresse va devenir critique, les mégafeux vont se multiplier, et les épisodes méditerranéens et autres tempêtes vont ravager nos territoires (le taux d’humidité de l’atmosphère augmente de 7% par degré supplémentaire)… Pas en 2100 : bien avant, dès à présent ! Et nous ne parlons pas des impacts de ce changement climatique sur la biodiversité, ou encore des flots immenses de populations qui vont migrer pour cause de survie (les murs anti-migrants du RN ou de LR n’y changeront rien), et des crises et des conflits croissants partout sur la planète.
Les néolibéraux, les affairistes et autres conservateurs d’un capitalisme jusque-boutiste, climatosceptiques, voire climatodénialistes, nous propulsent vers un monde invivable ! Eux qui ne veulent prétendument rien changer de nos modes de vie, vont finir par les bouleverser… Une belle bande d’hypocrites !
En attendant, les flots de bermudas à fleurs et de crème solaire vont continuer à se déverser
Puisque nos dirigeants publics et privés développent sans cesse les campagnes de promotion touristique auprès de nombreux pays lointains (« Le Soleil se lève au Sud ! », « Winter is the New Summer », etc.), nous devrons encore supporter les désagréments de ce surtourisme, qui se cache derrière son petit doigt grassouillet.
Le surtourisme multiplie les affres : il accroît notre dépendance à la mobilité fossile, la surconsommation des ressources naturelles (énergie, alimentation, eau), crée toujours plus de déchets qui polluent la nature (en mer Méditerranée, la moitié des détritus seraient liés au tourisme balnéaire selon WWF), augmente la pollution de l’eau et des sols qui nuit à la biodiversité (substances chimiques comme celles contenues dans les crèmes solaires, rejet des eaux usées), détruit les écosystèmes (bétonisation des côtes, déforestation), fait disparaître la biodiversité (perturbation des espèces, destruction de la végétation) et contribue fortement à la pollution de l’air et au réchauffement climatique. Des emblèmes locaux : ce projet totalement inepte de Canua Island sur nos côtes, un petit exemple représentatif de cet affairisme suicidaire, ces courses de Formule 1 dans nos villes, ces Jeux Olympiques d’hiver que Muselier, Estrosi et Wauquiez veulent nous imposer en 2030, alors que le climat de nos montagnes est déjà bouleversé, et que tous les climatologues se rongent les sangs.
Rappelons aussi que, d’après l’Organisation mondiale du tourisme, 95% des touristes mondiaux visitent moins de 5% des terres émergées. À l’échelle de la France, 80% de l’activité touristique se concentre sur 20% du territoire. Et que dire de notre littoral méditerranéen ?
Cette économie est aveugle, irresponsable et assassine. Elle nous mène droit dans le mur. Ecologiquement, mais aussi socialement, avec l’extraordinaire pression du tourisme sur le foncier, le marché locatif et les prix, alors que notre territoire connaît plus de 20% de taux de pauvreté. Ayons bien conscience que depuis le début, nous ne parlons que du « tourisme institutionnel ». Sachez qu’il existe aussi un « tourisme humanitaire » (assez détestable dans les faits), un « tourisme d’affaires », ou même un « tourisme de l’apocalypse », appelé plus poliment « tourisme de la dernière chance » : visiter, en paquebot ou en avion, les calottes glaciaires et les derniers ours blancs sur la banquise avant qu’ils ne disparaissent, par exemple… Et passons sur le « tourisme sanitaire » ou celui de la « prédation sexuelle »…
STOP (vraiment) au surtourisme ! Que tous les irresponsables et « parrains du chaos climatique »* qui nous mènent au désastre soient certains d’une chose : des comptes leur seront demandés ! Nous demandons une remise en question complète de ce tourisme industriel, un arrêt des extensions d’aéroports, une taxation du kérosène et des transports maritimes de loisirs, un moratoire sur l’ensemble des campagnes de promotion touristique, un plan de diversification économique pour les territoires très dépendants de ce tourisme du XXème siècle, et cætera. Il est temps de siffler la fin de la récré.