Ce lundi, la police a réprimé le dernier bastion d’opposition au projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse. Connu nationalement pour ses actions pour protéger les arbres, Thomas Brail, grimpeur arboriste devenu l’une des figures de proue du mouvement contre ce projet absurde. En grimpant aux arbres notamment, comme dans son métier, et parfois jusqu’à la grève de la faim et de la soif. Entretien.
Tu peux résumer le projet de construction de l’autoroute A69 ?
Le projet de l’A69, c’est 23 kilomètres d’autoroute entre Castres et Toulouse. Ce projet va artificialiser 400 hectares de terre agricole. Il a déjà rasé 17 hectares d’espaces boisés. Au-delà de ça, il y a plus d’une centaine d’agriculteurs sur le carreau, qui peinent à joindre les deux bouts puisque leur exploitation est morcelée par rapport à ce projet-là. C’est 90% d’avis défavorables sur l’enquête publique environnementale. L’autorité environnementale a donné un avis défavorable, le comité national de protection de la nature également. Malgré cela, le projet, qui date de plus de 30 ans, voit le jour. Il est porté par les laboratoires Pierre Fabre, très implanté dans le secteur. Ce n’est pas un projet d’utilité publique, mais pour une entreprise privée, puisque l’autoroute prend naissance aux pieds de l’établissement de Pierre Fabre. C’est tout cela qu’on dénonce.
Est-ce que la contestation peut faire reculer le projet malgré les contrats signés ?
On avait un peu espoir avec le Nouveau Front populaire, car ils se sont positionnés contre (bien que Carole Delga, présidente de la région Occitanie, défend le projet – N.D.LR.). Mais on voit bien qu’il y a un net recul des politiques aujourd’hui. On a l’exemple de Sivens qui s’est arrêté car il y a eu une catastrophe (mort de Rémi Fraisse par une grenade – N.D.L.R.). On espère que ça ne va pas en arriver là, mais on a toujours espoir que les recours sur le fond nous donnent raison. Maintenant, il est vrai qu’on a un sérieux problème avec les juridictions de la région. Tous les recours que l’on porte au tribunal sont toujours déboutés. Il y a une forte pression politique et des laboratoires Pierre Fabre. Cela pose la question de la séparation des pouvoirs.
Ils ont commencé à abattre un certain nombre d’arbres. Une ZAD s’est créée. Tu y es allé j’imagine ?
Oui, il y a plusieurs zones qui sont déjà investies par des personnes qui luttent contre ce projet. Je suis très admiratif du travail qu’ils font. Parce qu’ils sont là en permanence. Moi, j’ai un travail, une maison, un fils, il y a l’école à gérer, il y a le boulot, j’ai une entreprise. Mais heureusement qu’il y a tous ces jeunes-là qui luttent sur le terrain. Et je pense que si j’avais leur âge, je ferais de même parce que parce qu’à partir du moment où on ne vous propose pas d’avenir, qu’est-ce qu’il vous reste ? Juste le fait de se battre pour se dire que c’était à nous de prendre les choses en main.
Pour toi la zone à défendre, cela a aussi été ton corps que tu as mis en opposition à plusieurs reprises, que ce soit devant le ministère de l’Écologie sur un arbre ou pour l’A69. Tu es un homme à défendre un peu, un HAD (rire).
Je ne suis pas le seul. Ce mouvement s’est quand même pas mal propagé. Il y a de plus en plus de grimpeuses et de grimpeurs qui suivent un petit peu ce qui a été fait. Après, il y a d’autres mouvements qui émergent aussi un peu partout. Et tant mieux, il n’y a pas que le GNSA [Groupe national de surveillance des arbres – N.D.L.R.]. Je pense que la défense des arbres, aujourd’hui, elle passe par le côté physique, l’action, il faut monter dedans. Parfois, il n’y a que ça pour arriver à les sauver quand les tronçonneuses arrivent.
Ça, ça a eu une efficience. La mairie de Paris a renoncé à un de ses projets suite à ton action.
Oui, ça, c’était pour le projet de la Tour Eiffel, avec une bagagerie qui allait être construite au pied d’un des plus vieux platanes, plus âgé que la Tour Eiffel, que Gustave Eiffel avait clairement protégé lors de la construction de la Tour. Quand je vois qu’en 2024, on n’est pas fichu d’avoir la conscience que Gustave Eiffel avait pour ses arbres lors de la construction de la tour Eiffel, alors que maintenant on a besoin des arbres… On fait tout l’inverse, c’est triste.
Et surtout, toi, en plus, tu es jardinier, c’est ça, de profession ?
Ouais, je suis jardinier et puis après j’ai dévié vers grimpeur arboriste. Mais bon, je sais faire les deux, je connais les deux. Je sais planter des arbres, j’en ai planté des milliers dans ma vie.
Ils n’arrivent pas à comprendre la différence entre un arbre centenaire et un arbre jeune. Clément Beaune, ministre des Transports a dit en substance : « oui, on supprime des arbres, mais on en replante dix fois plus ».
C’est ce qu’on dit aujourd’hui dans les médias, et tout le monde l’a bien compris ; le discours qu’on porte aujourd’hui, il fait écho. Clairement, on dit que quand on coupe un vieil arbre qui a 200 ou 300 000 feuilles, quand vous implantez un jeune, il n’y a que 20 ou 30 feuilles, ça ne marche pas. C’est le ratio qui importe, c’est le nombre de feuilles qui importent dans un arbre. Si vous coupez un arbre de 100 ans, il va falloir attendre cent ans avant que celui que vous avez planté donne les mêmes bénéfices. Tout ça aujourd’hui, on le démonte clairement.
On dit aussi qu’à partir de 40 degrés, quand c’est des épisodes qui durent plus longtemps, un arbre n’est plus en capacité d’absorber l’eau, ni par les poils absorbants qui sont sous les feuilles, ni par les racines, ni par les lenticelles au niveau des écorces. Il n’y a plus rien qui absorbe l’eau, parce que l’arbre ferme son système hydrique. Vous avez beau arroser un arbre, s’il fait trop chaud, il ne prend plus l’eau. C’est pour ça que nos arbres crèvent aujourd’hui.
Et toi, ça a démarré comment ta lutte pour l’A69 ? Par des vidéos que tu as partagé aux pieds des arbres ?
Oui, j’avais déjà commencé depuis bien longtemps, ça faisait déjà 2-3 ans que j’étais actif. J’ai grimpé l’arbre et puis j’ai commencé à faire une vidéo en disant voilà, je suis dans un arbre. Puis la mobilisation s’est mise en place.
Pourquoi à ton avis ton profil a séduit médiatiquement ? Parce que tu avais une expertise sur le sujet ?
Je pense que le discours que je porte, il est cohérent parce que c’est mon métier déjà, je sais de quoi je parle. J’ai fait des conférences avec les plus grands, avec Francis Hallé. Je côtoie beaucoup de personnalités et je suis reconnu, je pense, aujourd’hui dans le milieu. C’est assez affligeant parce que c’est un peu comme le discours que portent les scientifiques. Je n’aimerais pas être un scientifique aujourd’hui, m’être tapé dix ou douze ans d’études pour produire un rapport et qu’on vous dise, ben non, oui, finalement, d’accord, mais bon, merci. Ça n’a aucun sens. Et je préférerais toujours suivre les avis d’un scientifique que les avis d’un politique qui nous disent on va s’en sortir, ne vous inquiétez pas, tout va bien. Après, je pense que je coche un peu toutes les cases qui plaisent aux médias : père de famille qui porte un discours parce qu’il a peur pour son gamin, chef d’entreprise.
Oui, parce que tu incarnes une figure presque irréprochable pour les médias.
Je ne suis pas militant, je ne suis pas écologiste, je ne suis pas activiste, je ne suis rien du tout. Moi je suis un père de famille qui est sur cette planète avec son gamin et qui se dit, demain qu’est-ce qu’on fait si on ne se bouge pas aujourd’hui ? C’est tout. Donc moi j’essaie de casser cette image de l’activiste, écologiste et militant. Mais ça veut dire quoi en fait ? Ça ne veut rien dire, on est tous dans la galère. Donc arrêtons de nous mettre tous les uns et les autres dans des boîtes pour mieux nous diviser. Je suis dans des arbres pour les sauver et si tout le monde faisait un peu pareil, on s’en sortirait, je pense.
Durant les Passeurs d’humanité [festival estival dans la Roya, où nous nous sommes rencontrés – N.D.L.R.] tu as mis en avant aussi le côté médiatique, le fait d’interpeller, notamment sur les réseaux, les politiques. D’ailleurs, je vois depuis le début de notre conversation, tu parles beaucoup du collectif et tant mieux parce qu’on n’a pas envie d’individualiser les luttes. Pour autant, c’est vrai que d’avoir des incarnations parfois, ça permet aussi d’attirer la focale médiatique. Et malheureusement, parfois, on est obligé d’en passer par là. Comment tu as accepté ou endossé ce rôle ?
C’est le cœur qui a parlé. Je suis allé m’accrocher dans un arbre en 2019 à Mazamet (Tarn). C’est la première action que j’ai faite. Je l’ai faite parce que c’est mon métier, parce que j’aime les arbres. Mais je reste persuadé qu’il faut des têtes. Il faut des personnes qui incarnent, des personnes vers qui l’opinion publique puisse se se retrouver, s’identifier. Je ne sais pas en quoi c’est mal. Alors après il ne faut pas idéaliser, il ne faut pas glorifier non plus C’est clair que ça m’est tombé dessus. C’est un peu comme dans Spider-Man, son oncle lui dit qu’un grand pouvoir implique de grandes responsabilités. Donc quand on a les micros qui viennent vers vous et que vous devez porter une parole, il faut que cette parole soit légitimée au niveau du collectif. Il est vrai que j’ai fait l’objet d’attaque parfois en disant que je personnifiais la lutte mais je n’ai rien voulu de tout ça. Si quand je fais une vidéo il y a 60 000 ou parfois jusqu’à 1 million de vues, why not ? Et tant mieux si ça sert à la lutte. Donc, il ne faut pas non plus cracher dans la soupe. Dans quelques années, j’ai dit que quand le GNSA sera bien stable, je me retirerai parce que je ne me sens pas indispensable. Je me retirerai, d’autres prendront le relais et la machine sera lancée.
Surtout que tu as mis ta santé en péril, avec une grève de la faim et grève de la soif. Pendant 40 jours, j’ai lu… Quel impact cela a eu ?
Pendant 40 jours, j’ai fait une grève de la faim. La grève de la soif, j’ai fait 14 heures, et puis après, j’ai perdu connaissance. Ce n’est pas des choses que je préconise de faire et je ne les recommande à personne et surtout pas aux jeunes qui ne savent plus quoi faire aujourd’hui. Je leur demande de ne pas faire ce qu’on a fait. Mais l’impact que ça a eu, c’est qu’aujourd’hui, tu me demandes une interview et c’est que tout le monde me demande à ce qu’on puisse parler, à ce qu’on puisse dénoncer ces projets écocides. Donc, oui, c’est réussi, clairement, puisqu’on est sur le devant de la scène médiatique. Quand je me dis qu’il faut chaque fois en arriver là pour qu’on soit entendu, c’est triste.
C’est aussi la construction d’un rapport de force avec les politiques, parce qu’il n’y a que ça qu’ils comprennent malheureusement. Du coup, ça en est où aujourd’hui ? C’est surtout sur le terrain juridique que s’est déplacée la contestation ?
Non, il y a toujours une contestation. Il y a les deux, il y a le juridique qui est en cours. Il se passe toujours des choses. De toute façon, ce projet-là, il va traîner des casseroles au cul pendant longtemps parce que personne n’en veut et parce qu’il fait du bruit à l’international. L’idée, c’est que même si on venait à ne pas arriver à le stopper et qu’il voit le jour, je pense qu’ils vont quand même réfléchir à deux fois maintenant s’ils veulent nous coller des projets comme ça, parce que les citoyens, ils en auront ras-le-bol. Voilà, c’est ce qu’il faut se dire. Il faut aussi donner un peu d’espoir pour l’avenir.
Est-ce que tu sais à quel hauteur Pierre Fabre participe au projet ?
Ils ont investi au capital de l’A69. C’est vraiment leur bout de route. On l’a su par l’enquête qu’a menée la cellule d’investigation de France Inter. Ils ne sont pas tout blancs.
C’est toi d’ailleurs aussi qui a publié la dernière fois, qui montrait qu’il y a une nationale qui est assez peu empruntée et qui longe le tracé de l’A69 : il y a déjà une route qui existe.
Oui, c’est pour ça qu’on est vent debout, c’est que cette nationale n’est pas du tout saturée, elle est fluide. Moi je suis à Toulouse pour prendre le train. On ne fait pas une autoroute alors qu’il y a une nationale qui n’est pas saturée. Ils ont foutu une douzaine de ronds-points, ce qui signifie que nous, utilisateurs de la nationale, on va perdre maintenant du temps en l’empruntant, puisqu’il y a des déviations de partout.
Tu as écrit un bouquin sur l’importance des arbres dans l’écosystème il y a quelques années, c’est ça ?
« Trouver les arbres », ça s’appelle. C’est un portrait de comment un simple citoyen, à un moment donné, se retrouve en première ligne médiatique au niveau national. C’est mon histoire. L’importance des arbres, leur rôle essentiel. Ce n’est pas le but de parler que de moi. C’est de dire qu’on a besoin des arbres, tout simplement.
Mais maintenant, on commence à en avoir une vision un peu utilitariste. Qu’est-ce que tu penses des solutions fondées sur la nature, par exemple la plantation d’arbres en ville pour créer des îlots de fraîcheur. Est-ce que les agroforêts comme ça peuvent remplacer un petit peu ce qu’on a détruit ?
Le problème aujourd’hui, c’est qu’on a compris qu’il fallait remettre des arbres dans les villes, donc on en remet. Mais en fait, ce qui nous intéresse avant tout, c’est comment les arbres vont pouvoir nous être utiles. Donc oui, on plante des arbres parce qu’on veut qu’ils fassent frais dans les villes. Mais moi, ce que je dénonce aujourd’hui, c’est qu’il faudrait planter des arbres pour qu’ils nous servent, c’est sûr, mais aussi de savoir comment ils vont être bien dans ce milieu-là, comment ils vont être bien entretenus, comment on va les chérir, tout simplement. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. On plante des arbres parce qu’il faut planter des arbres, parce qu’on sait qu’il fait chaud dans les villes. Ça s’arrête là, en fait, la pensée aujourd’hui.
Est-ce que notre expertise a un peu avancé sur ce sujet ? Il y a quelques années aussi un documentaire a été sorti même sur la communication entre les arbres.
Je pense qu’il y a une vraie prise de conscience quand même. C’est aussi pour ça que nous on fait du bruit médiatiquement parce que je pense que n’importe quel citoyen lambda, il a compris aujourd’hui que quand il est en ville, il vaut mieux se promener sous une allée d’arbre plutôt que dans une avenue, une rue où il n’y a que du goudron et du bitume. Des livres comme celui de Peter Wohlleben, « La vie secrète des arbres » nous aide. Mais en fait, j’ose le dire, on ne connaît rien des arbres. Il n’y a pas de cerveau, on ne sait pas comment ça fonctionne c’est un truc qui me fascine au plus haut point. Alors qu’un animal, on sait que c’est un peu foutu comme nous. Tu as plus le cerveau, tu tombes, il n’y a plus rien et tout est terminé. Mais un arbre, on ne sait rien. Et ce alors que, ils sont bien plus résilients face aux épisodes climatiques. Ils ont subi tellement de changements. Ils essayent de s’adapter alors que les animaux ou les êtres humains, on périclite vite fait. Je trouve que le végétal, le vert, a une résilience assez impressionnante. Il faudrait que ce soit enseigné dans les écoles, pour que ça marque, pour que ça fonctionne mieux plus tard.
Tu as l’air un peu, je ne sais pas, blasé, résigné ?
Non, je ne suis pas blasé, je suis en colère. Mais la colère, elle est moteur. Et par contre, je ne suis pas haineux parce que la haine, elle est destructrice. Moi, je suis juste en colère. J’en ai besoin, cette colère, pour avancer. Sinon, ça ne fonctionne pas. Je fait ce que j’ai à faire et si personne ne s’y met, tant pis, c’est pas grave. Comme je dis, j’avais lu un bouquin sur la guerre 39-45, c’est à peu près 200 000 résistants qui ont sauvé la France. Il y avait pas mal de personnes qui attendaient que ça se passe. Il ne faut pas les attendre. Les résistants, ils ne sont pas nombreux. Mais en tout cas, ce sont eux qui œuvrent pour que demain, les personnes qui ne font rien puissent profiter un petit peu encore de cette planète. Une fois qu’on a bien agréé ça dans notre cerveau, on n’est plus dépité. Voilà, on avance, on s’est dit qu’il faut le faire, c’est comme ça.