L’on pourrait écrire le même article chaque mois, tant la situation du logement social à Las Planas, entièrement gérée par l’office HLM Côte d’Azur Habitat, est similaire à l’ensemble de la ville. Sourde-oreille, méprisants, les services conjoints de la mairie et du bailleur social, présidé par Anthony Borré également premier adjoint au maire Christian Estrosi, laissent les habitants dans des conditions de vie déplorables. A ce titre, le cas de Sylvie Badin décrit ici, locataire depuis 22 ans, est particulièrement révélateur du délaissement du parc social, malgré une communication se voulant rassurante. Reportage à Las Planas, belle cité tout au nord de la ville, où les résidents aimeraient simplement avoir « les prestations qu'[ils] pay[ent]. Par Edwin Malboeuf
Vendredi 6 octobre, quartier de Las Planas, à Nice nord, 9 heures. Situé sur l’une des collines niçoises surplombant la ville, à une quinzaine de minutes du terminus de la ligne 1 du tramway, le rendez-vous est donné au local municipal sportif et culturel du quartier par le conseiller municipal Karim Ben Ahmed, en charge de l’insertion professionnelle, le logement et la rénovation urbaine. C’est le jour de sa « déambulation » dans ce quartier, un projet lancé par ses soins depuis un an. Le principe est simple : venir tous les deux mois dans les Quartiers prioritaires de la ville (QPV) (1) recueillir les doléances des habitants avec les services municipaux et préfectoraux pour tenter de régler les problèmes. Ceux-ci sont récurrents, et similaires à tous les quartiers populaires de la ville. Les habitants formulent toujours les mêmes récriminations. Insalubrité des logements sociaux, de la voirie, trafic de drogue, squatteurs, office HLM défaillant (surtout en haut-lieu, certains habitants insistent sur l’investissement des agents de terrain), coût des charges galopant, abandon. Las Planas ne déroge pas à ce constat. Pourtant, et là aussi, dans chacun de ces quartiers, on nous répète l’envie d’y rester, l’attachement aux lieux, qui pour certains représentent une vie, une moitié de vie, une enfance. Alors pendant deux heures, Karim Ben Ahmed, lui-même issu du quartier populaire des Moulins, et ex-militant associatif passé depuis 2020 sur les bancs de la mairie estrosiste, fait le tour du propriétaire, « pour la première fois », avoue-t-il.
« On donne trop de doléances »
Le profil est tout trouvé pour recueillir la parole des habitants. Mais le ton demeure toujours celui du politique, hautain, paternaliste et autoritaire dès qu’une voix trop discordante se fait entendre face à lui. « Je ne veux pas qu’il y ait de conflit », peste Karim Ben Ahmed plusieurs fois. Soyez misérables, mais soyez courtois vous prie-t-on. La venue d’Anthony Borré, premier adjoint au maire et également président du premier bailleur social du département Côte d’Azur Habitat (c’est beau la confusion des pouvoirs), était annoncée. « Il ne vient jamais », glisse une habitante. Pour cause, par sa double fonction, et puisque l’intégralité du quartier est géré par les services de l’office HLM, il aurait sans doute été beaucoup moins bien accueilli. Une huitaine de policiers municipaux (dont l’un arbore un écusson à connotation fasciste, voir photo plus bas) est mobilisée pour sécuriser les officiels en visite, probablement apeurés de se retrouver face à des pauvres en colère. Services d’hygiène de la ville, sous-préfète en charge du logement sur le département, responsables associatifs et responsables techniques de Côte d’Azur Habitat (CAH). Tout ce petit monde vient découvrir la vie de cité.
Pendant deux heures, l’équipe fait le tour du quartier en s’arrêtant à plusieurs endroits pour constater les problèmes. Karim Ben Ahmed donne quelques chiffres sur l’état des lieux : 604 logements, tous gérés par CAH, 17 vacants (9 ou 10 réellement avance-t-il), et 19 000 demandes en attente sur le reste du département. Sous ce soleil matinal chaud d’octobre, l’équipe continue de faire le tour avec une vingtaine d’habitants. Parmi les doléances, une demande de participation démocratique : « Avant, il y avait des réunions de quartier, on aimerait participer » lance une résidente historique de Las Planas. « On va le faire nous le comité de quartier », lui répond un autre habitant. Puis ils passent en revue les différents problèmes soulevés : les caves, un pigeon mort coincé en haut d’un échafaud, l’incendie criminel de février dans un immeuble dont les parties communes ont été nettoyés par les habitants, le stade cadenassé hors des horaires d’activité, donc inaccessible, les nouveaux dealers venus de Marseille, l’insalubrité de leurs logements et parties communes, les punaises de lit. « On donne trop de doléances », murmure une dame à une autre derrière le groupe. Rendez-vous est pris dans deux mois pour constater l’avancée de la résolution des problèmes. Pour une fois qu’ils se déplacent sur ces terres honnies par le pouvoir en place, le bénéfice du doute est permis. Bien que personne n’est dupe des visées électoralistes dans ces quartiers à l’abandon, où quelques mesures de forme permettront probablement d’éviter de traiter le fond.
Guerre ouverte entre locataire et bailleur
En juin dernier, nous avions rencontré Sylvie Badin, résidente dans l’un des bâtiments qui compose la cité construite dans les années 1960. Locataire depuis 22 ans, elle se retrouve dans une situation « inextricable », avec un logement de plus en plus invivable due à l’inaction de CAH. Elle raconte son calvaire. « Depuis deux ans, c’est la guerre ouverte. J’ai été infesté par les punaises de lit, il y a un peu plus d’un an et demi. Je l’ai signalé une première fois à Côte d’Azur Habitat. J’ai traité moi-même, j’en ai eu pour plus de 150 euros de produits, plus toutes les machines etc. Mais ensuite du jour au lendemain, j’étais infesté de nouveau. On les voyait courir, on se réveillait avec des piqûres de la tête aux pieds. On a tout jeté, le canapé, les meubles, j’ai pris des lits en fer… Cela fait huit mois que je dors sur des matelas gonflables. Je ne peux pas changer de matelas tous les deux mois. ». Elle en réfère de nouveau à l’office HLM qui lui propose cette fois un échéancier. « Ils avancent l’argent et je rembourse en dix fois. Ils ont fait deux passages. Mais j’ai fait 75 machines de linge en 15 jours et acheté de nouveaux matelas. Cela a marché pendant trois mois et c’est reparti. Fort. Avec des nids dans les murs sous le plâtre. On en a trouvé dans les parties communes », relate Sylvie Badin.
D’autres appartements de l’immeuble s’avèrent infestés. A partir du moment où l’infestation collective est entérinée, les frais sont pris en charge par le bailleur. Ils dénombrent quatre logements infestés, avec un doute sur le cinquième. « L’un des appartements, vide depuis l’expulsion de la dernière locataire, était un vrai capharnaüm, totalement infesté », poursuit-elle. Les logements laissés vacants par CAH ne sont pas seulement une injustice pour les demandeurs de logement social, ils peuvent aussi être des nids à punaises. Mais le jour J de la désinsectisation, les deux voisines du dessus, dont les appartements devaient être traités, se rétractent. « Comme par miracle, elle ont dit qu’elles n’avaient plus de punaises. Il y a une omerta là-dessus, car les gens s’imaginent que punaises de lit équivaut à crado. Ce qui n’a rien à voir ». Certaines personnes ne souhaitent également pas voir les services de la mairie débarquer chez elles, pour diverses raisons. Dès lors, rebelote, le traitement est à nouveau inutile. Et on fait remarquer à Sylvie Badin lors d’un entretien que la prochaine est à sa charge. « Je ne lâcherai pas le morceau. Ca fait 22 ans que j’habite là, j’ai toujours payé rubis sur ongle mon loyer, je refuse que l’on me traite comme ça. Ou alors déménagez-moi. J’ai fait une demande mais elle n’a pas été considérée comme prioritaire.». En tout, trois désinsectisations, dont deux à sa charge. Et le problème persiste.
Sylvie, travailleuse handicapée dans un logement insalubre
En plus des punaises, un dégât des eaux issu de l’étage du dessus est venu alourdir la situation, rendant l’appartement partiellement insalubre. Les murs de la salle de bain sont totalement moisis, et l’air y est irrespirable. « Ils m’ont dit que les prestataires ne voulaient plus intervenir dans les logements de cet immeuble, car certains sont venus et ont vu des punaises chez des gens. Ce qui montre bien que je ne suis pas la seule à en avoir. Les salariés font valoir leur droit de retrait. On est dans une situation inextricable. » L’assurance de Sylvie Badin vient tester l’humidité de la salle de bain. Résultat : 70% d’eau dans le mur. « Comment avec vos problèmes de santé peuvent-ils vous laisser là-dedans ?», lui demande l’assureur. Sylvie est reconnue comme travailleuse handicapée, souffrant d’une cardiopathie ischémique, d’une arthrose aiguë et d’une fibromyalgie. Soit des problèmes cardiaques, respiratoires et articulaires. A cause de l’humidité dans sa salle d’eau, elle refait des crises de spasmophilie et d’asthme. « Pour la salle de bain, ils ont proposé de simplement repeindre et de changer le meuble. De faire du cache-misère. Le lino s’en va derrière les WC. La chambre de mon fils, on a enlevé la porte. » Finalement, courant octobre, les services compétents sont venus réparer la plomberie. Pour le reste, voyez avec votre assurance lui dit-on, et celle de la voisine du dessus, avec laquelle les relations se sont tendues. A tout cela s’ajoute un chauffe-eau défectueux qui s’éteint régulièrement.
Handicapée mais délaissée par Côte d’Azur Habitat
Sylvie vit avec son fils et sa fille. Elle bénéficie d’une aide à la gestion du budget, « car j’ai plus de choses à payer qu’il ne rentre d’argent ». Elle insiste que ce n’est pas une tutelle, une simple formalité qui permet d’obtenir des échéanciers plus facilement en cas d’imprévus, ou de facture lourde. Par l’entremise de son avocate, Maitre Marie Padellec, un référé va être déposé. Celui-ci exigera un traitement immédiat de la totalité de l’immeuble, parties communes et privatives, une demande de relogement ou de diminution de loyer, ainsi qu’un remboursement des frais engagés par la locataire. Ceux-ci (matelas, produits, désinsectisations etc) équivalent à plus de 5 000 euros en deux ans. Sachant que Sylvie Badin gagne 1 300 euros par mois pour trois personnes dans le foyer. Anthony Borré, lui, reste silencieux, malgré des messages envoyés sur ses réseaux par la locataire. Alors que nous nous étions rendu chez elle en juin dernier, en octobre à l’heure de ces lignes, tout est resté en l’état. Engagé dans la vie associative du quartier, Sylvie, comme la plupart des personnes présentes le jour de la « déambulation » du conseiller municipal, répète qu’elle aime son quartier malgré tout. Qu’elle ne souhaite pas déménager d’endroit, simplement de logement au sein de la cité.
Petits trafics, grande attention
Las Planas, cité populaire, n’échappe pas au trafic de drogue. Mais comme souvent, et contrairement à l’instrumentalisation politique (et médiatique) qui en est faite, le sujet n’est pas le problème majeur rencontré ici ou là, bien que la situation ait quelque peu empiré du fait d’une appropriation du trafic par des dealers marseillais. « Avant, c’était géré par un gars du coin, et on n’avait pas de problèmes. Ils faisaient leurs affaires, étaient courtois, et ça ne gênait pas. Maintenant, il y a des gens qui viennent de Marseille, qui ne respectent plus rien. Ils squattent des logements et veulent s’approprier le quartier », nous confie Sylvie, dont l’appartement voisin du sien a été investi dernièrement par ces Marseillais. Une réappropriation du quartier par une entreprise de deal extra-locale : le capitalisme débridé fonctionne de la même manière dans l’illégal. Et l’on peut compter sur notre cher quotidien local Nice-Matin pour ne s’intéresser à ce quartier, comme pour les autres, uniquement lorsqu’il s’agit de dénoncer ces trafics. A en croire la lecture des articles sur le sujet, Las Planas serait une plaque tournante de la drogue, où ne régnerait que la loi du trafic de drogue. Pour exemple, voici les quelques titres consacrés au quartier depuis 2018 : « Clip de rap à Las Planas : les armes étaient factices » (2018) ; « Des mères de famille s’élèvent contre “la loi des dealers” dans leur quartier de Nice » (2019) ; « La préfecture autorise les drones à survoler un quartier de Nice pour lutter contre le trafic de drogue » (2023) ; « Dans les quartiers nord de Nice, une mamie qui “n’aime pas les trafics de drogue” harcelée par des dealers » (2023), ; « La mamie harcelée par des dealers à Nice a été relogée, le bailleur veut faire expulser l’un de ses agresseurs » (2023). Selon Sylvie Badin, la mamie en question est une proche de la mairie, et son agresseur est une personne de 27 ans en situation de handicap, sous tutelle financière, avec de graves problèmes encéphaliques, qui « ne sait même pas compter jusqu’à dix, ne deale absolument pas et vend des scoubidous pour se faire de l’argent de poche ». Tout de suite, l’affaire est moins sexy, et binaire, de la gentille mamie qui s’élève contre les méchants dealers.
La vérité, c’est que, du trafic il y a, « pour arrondir les fins de mois » de certains habitants, qu’il y a effectivement eu un mort par balle il y a un an, mais que ça ne peut être l’unique biais de traitement des problèmes du quartier. A de nombreuses reprises, les habitants répètent qu’ils aiment leur quartier et s’y sentent bien. « C’était un beau quartier, mais ils l’ont tué », déplorait l’une des habitantes pointant la responsabilité de la mairie. Par rapport à d’autres quartiers populaires de la ville, ici subsistent une école primaire, un collège, un stade, des associations, des activités. Et une vue surplombante de la baie de Nice. En bref, une vie de quartier à peu près normale. « On ne demande pas le luxe. On demande simplement les prestations que nous payons », a déclaré une dame à l’adresse de Karim Ben Ahmed durant la déambulation. Que les services compétents s’exécutent désormais.
Notes :
(1) Les QPV ont pris la suite des Zones urbaines sensibles (ZUS). Ils correspondent aux zones les plus pauvres à l’intérieur des villes, avec pour critère unique le revenu par habitant par rapport au revenu médian de la ville et du pays. Les entreprises qui s’y installent peuvent bénéficier d’exonérations de cotisations fiscales.
Post-Scriptum :
Un rapport de la fondation Abbé Pierre étrille l’état du logement dans la métropole niçoise
Le 18 octobre, la fondation Abbé Pierre a publié pour la première fois un focus sur le logement dans la métropole Nice Côte d’Azur. Il rappelle aux bourgeois qui peuplent notre belle contrée, qu’elle est une des plus, si ce n’est la, plus pauvres de France. « Dans la Métropole Nice Côte d’Azur, près d’une personne sur cinq vit sous le seuil de pauvreté », établi à 1128 euros par mois (soit 60% du revenu médian français). Le rapport pointe également les manquements à la loi SRU, obligeant les communes à proposer un parc locatif composé de 25% de logements sociaux minimum. Nice en est à 14%, soit l’une villes les moins dotés en France. Pour autant, elle évite les amendes de sanction, au vue des efforts fournis depuis plusieurs années selon ses dires. Dans les faits, le Canard enchaîné révélait le 1er novembre qu’une amende de 11 millions d’euros a mystérieusement disparu et souligne « une étonnante bienveillance de la part du préfet ». D’après l’Observatoire des inégalités, « environ 170 000 habitants vivent dans ces quartiers prioritaires, soit près d’un tiers de la population de la métropole », indique le rapport. A Nice, on trouve même le quartier le plus pauvre de France : « avec un taux de pauvreté de 81 %, le quartier « Résidence Sociale Nicéa » à Nice est le plus pauvre des quartiers prioritaires de France », peut-on lire juste après. En somme, le rapport fait état d’une situation extrêmement contraignante pour se loger. A Nice les habitats sont en moyenne plus petits, plus rares, plus chers, plus dégradés que dans la plupart des grandes villes françaises. L’accès à la propriété y est impossible pour les classes populaires, le marché locatif touristique réduit considérablement l’offre, malgré des vaines tentatives de la mairie de contraindre les locations Airbnb. A ce titre, New York fait figure d’exemple avec une récente législation imposant un minimum de 30 jours consécutifs de location pour contrer l’emprise du géant américain sur le logement. Enfin, le rapport conclut sur « la singulière appréciation du respect des droits fondamentaux des personnes sans abri sur ce territoire ». Formule euphémisée pour exprimer ce que les locaux avec un brin d’empathie savent : à Nice, les sans-abris sont traités comme des verrues à expulser.