Ce 21 mai, la police a interpellé un masculiniste de 26 ans, qui envisageait une tuerie de masse lors du passage de la flamme olympique. Cet attentat déjoué n’est pas un cas isolé. Un rapport de l’Union Européenne sur les « menaces terroristes » semble cependant considérablement minimiser le risque de ces attaques. Sur la base de chiffres biaisés. Analyse. Et rappel : l’extrême-droite TUE.

Pour rappel, Marion Maréchal (nous voilà), nièce et petite-fille de actuellement en campagne, avait déclaré il y a quelques mois sur France Info, à propos de la menace que pourraient représenter les projets d’attentats de l’extrême-droite, que, tout simplement, « on s’en fiche », car « ça n’existe pas ». Circulez, il n’y a rien à voir.

Néanmoins, comme le rappelle Nicolas Lerner, directeur général de la sécurité intérieure (DGSI) dans un entretien pour le Monde (cité dans Slate, N’en déplaise à Reconquête, la menace de l’ultradroite existe bel et bien en France, Vincent Bresson, 8/12/23) «[ce] risque terroriste est allé croissant ces dernières années au sein des démocraties occidentales, en France en particulier», notamment depuis 2015, quand « une partie de l’extrême droite s’est radicalisée et a basculé dans la conviction que, pour protéger l’Europe du risque terroriste et de ce qu’elle désigne comme le “grand remplacement”, face à l’“incurie”, évidemment présumée, de l’État, il était nécessaire de se substituer à lui. »

Et ainsi, très récemment, de nombreuses enquêtes sont venues révéler l’ampleur de cette menace. Démantèlement d’un trafic d’armes d’un jeune militaire et d’un policier retraité fournissant divers militants fascistes, dont un adolescent proche de la Division Martel et une icône de l’ex-Manif pour tous (Trafic d’armes : révélations sur des marchands de mort d’extrême droite, Matthieu Suc, Mediapart, 22.12/23), gang de narcotrafiquants suédois refourguant du matériel de guerre à des groupuscules nazis (AK-47 et Hells Angels : en Suède, les gangs arment les motards d’extrême droite, Hussam Hammoud et Benjamin Jung, Mediapart, 28/02/24), procès de quatre personnes, dont un gendarme, ayant fomenté divers projets terroristes comprenant entre autres l’assassinat de Jean-Luc Mélenchon ou du rappeur Médine, l’un des membres estimant dans son « manifeste » que « une attaque réussie, c’est 50 morts » (WaffenKraft : le projet terroriste d’un gendarme néonazi, Nadia Sweeny, Politis 10/05/23)…

L’aveuglement -volontaire ?- d’Europol

Et pourtant, de récentes statistiques publiées par Europol, l’Agence de l’Union Européenne « pour la coopération des services répressifs », qui publie chaque année un « rapport sur la situation et les tendances du terrorisme dans l’UE », que l’on peut trouver sur un article en ligne titré « Terrorisme dans l’UE: faits et chiffres » se veulent…. rassurantes. Un graphique nous présente les attentats perpétrés, avortés et déjoués en Europe entre 2010 et 2021 et, de manière très surprenante, et somme toute très contre-intuitive, nous annonce que l’extrême-gauche… commet plus d’attentats que l’extrême-droite.

Mis dos-dos, ça ne paraît pas faire un pli : 28 attentats « de droite » contre 247 « de gauche et anarchistes ». Mais ceci soulève deux immenses problèmes, que l’on serait même en droit de considérer comme de la manipulation pure et simple.

D’une part, le « terrorisme de gauche et anarchiste » et la façon dont il est comptabilisé. Voyons donc : « La plupart des attaques terroristes de gauche ont été perpétrées au moyen d’engins incendiaires improvisés (EII), d’accélérateurs de feu et d’engins explosifs improvisés (EEI », le rapport nous précisant qu’en « en 2022, le personnel de police a été l’une des principales cibles des attaques violentes perpétrées ». Vous avez bien lu : le terrorisme d’extrême-gauche n’existant quasi plus depuis la fin des Années de plomb en 75, tout jet de molotov ou de truc vaguement enflammé, lors de manifestations, contre des agents répressifs lourdement protégés et armés est tenu pour… un attentat. Cela est si aberrant -pourquoi ne pas qualifier ceci, par exemple, de « délinquance » ?- qu’il semblerait que bon nombre d’États aient fait machine arrière depuis peu, Europol nous indiquant que « le nombre total d’attentats en 2021 est très inférieur à celui des années précédentes, en raison d’une baisse considérable du nombre d’attentats signalés comme relevant du terrorisme de gauche ».

Les « ethno-nationalistes », des terroristes… pas d’extrême-droite ?

Mais le vrai souci, au-delà du fait de tenter de faire passer un black bloc pour un terroriste, est de vouloir faire croire dans le même temps que les terroristes dits, dans leur classement, « ethno-nationalistes et séparatistes » ne sont… pas d’extrême-droite.

L’ethno-nationalisme, nous disent donc très sérieusement les experts très sérieux de la très sérieuse agence Europol, ne sont pas des terroristes d’extrême-droite. Ils sont nationalistes, peut-être, ils commettent des attentats, d’accord, mais rien à voir avec cette autre catégorie à part et bien différente qu’est le « terrorisme de droite ».

Et pour bien mesurer l’ampleur de cette menace retirée sans plus de justification du spectre de l’extrême-droite, il faut bien voir ce chiffre : 1043. Mille quarante-trois, c’est le nombre d’attentats terroristes « ethno-nationalistes et séparatistes » comptabilisés en Europe entre 2010 et 2021.

Bien évidemment, en se renseignant bien, et en lisant en détail par exemple la « liste des mouvements autonomistes ou séparatistes » de Wikipédia, l’on constate bien que de nombreux mouvements indépendantistes, et même une bonne majorité, qu’ils soient de la droite nationaliste réactionnaire ou de la gauche, voire de l’extrême-gauche, indépendantiste, sont généralement, et quoi qu’on pense d’eux, des partis totalement inscrits dans le circuit démocratique de leurs pays respectifs, participant aux élections, etc.

Mais pour ceux pratiquant l’action violente… les Basques et le Sinn Fein ayant -officiellement- désarmé et les indépendantistes catalans, par exemple, ne prônant pas la lutte armée, des Balkans jusqu’à la France en passant par l’Europe Centrale, l’idéologie des groupes encore en activité va bien souvent de la droite extrême xénophobe à l’extrême-droite raciste.

Photo de Philippe Pernot

Si des mouvements comme le Elsässische Kampfgruppe Die Schwarzen Wölfe (« Groupe de combat alsacien des Loups Noirs »), qui a procédé à divers incendies et dynamitages, n’existent plus, ce n’est pas le cas des suprématistes blancs de Alsace d’abord (ADA), des nazillons du Front de libération de la Bretagne (FLB), qui avait deux branches armées dans les années 70 et a menacé en 2022 de reprendre le combat, incendiant également en janvier 2023 une résidence secondaire et revendiquant en juillet suivant 6 incendies et sabotages, ou encore des fascistes du Front de Libération Nationale de la Provence, qui avait réalisé une tentative d’attentat à la bombe en 2013, toujours actifs aujourd’hui semble-t-il. Et pour être originaire des Balkans et y avoir vécu, je sais bien que les tensions violentes qui la meurtrissent sont le fait d’identitaires ultranationalistes qui fascinent d’ailleurs nos fafs hexagonaux (1).

Ajoutons à ceci l’attaque meurtrière de Macerata, en février 2018, quand un ex-candidat du parti ethno-nationaliste de la Ligue du Nord a ouvert le feu sur des personnes d’origine africaine dans une petite ville, tuant 6 d’entre elles, ou les attentats de Hanau, en Allemagne, en 2020, qui ont vu un suprématiste blanc s’en prendre à deux bars à chicha, prenant 9 vies… Ces horreurs étaient-elles le fait de la droite, ou de l’ethno-séparatisme ? Impossible, pour l’heure, de le savoir, mais nous avons bien hâte qu’Europol nous donne accès au détail de ses données.

Face à la montée de la violence fasciste, un devoir de transparence

La question aujourd’hui n’est pas de savoir si le danger fasciste risque de resurgir, mais de savoir comment et quand, à court ou moyen terme, il reviendra au pouvoir. Il ne frappe pas à la porte : il est déjà entré et se sert dans le frigo [NB : et ceci a été écrit avant l’annonce de la dissolution…].

Voir ainsi des « experts » de l’Union Européenne dûment mandatés et financés pour étudier la question minimiser et invisibiliser la menace terroriste concrète, avec son lot de vies brisées et de peurs quotidiennes, principalement pour les membres des diverses minorités, que représentent les groupes qui gravitent dans ce vaste réseau, qu’ils soient « ethno-nationalistes » ou plus sobrement néo-nazis, doit nous interroger. Les instances politiques nationales et internationales ont-elles bien compris que la sanglante guerre civile rêvée par ces fanatiques devient chaque jour plus tristement tangible, et que personne ne pourra dire, tel l’autre : « qui aurait pu prédire ? »A moins qu’ils n’aient déjà choisi leur camp -ce que je ne saurais, évidemment, penser…

Par Mačko Dràgàn

Un article tiré du dernier Mouais, actuellement en vente, abonnez-vous : https://mouais.org/abonnements2024/

Illustration 3

Et on se retrouve ce samedi 22 au Festival Pop Molotov à Paris, à la Gare XP (porte des Lilas) pour causer émancipation, en en a bien besoin.

Source et notes :

https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/terrorism-eu-facts-figures/

(1) Lire à ce sujet L’extrême droite française, les Balkans et le fantasme du « grand remplacement », Jean-Arnault Dérens et Simon Rico, Mediapart, 8 avril 2022