« Elle est visée parce qu’elle incarne un grand courage, et car elle fait le lien avec beaucoup de combats, et contre beaucoup de discriminations, donc elle a, même dans son pays, une reconnaissance des Arméniens, des Kurdes, des homosexuel·les, des femmes… » Entretien avec Colette Mô, militante communiste féministe, membre du Comité de Soutien à Pinar Selek 06, avant son départ pour Istanbul.
Pinar Selek, sociologue turque naturalisée française, écrivaine, militante infatigable pour les droits humains, féministe et antimilitariste, vit en exil depuis 2009, victime de la persécution de la « justice » turque, accusée d’avoir participé à un attentat terroriste. Elle vit à Nice, où elle est soutenue par nombre de militant·es de tous les combats qu’elle mène assidûment. Elle a été acquittée lors de trois procédures criminelles au long des 25 années de persécution politico-judiciaire qu’elle continue à subir. Le 21 juin 2022, l’agence de presse publique turque a annoncé l’annulation par la Cour suprême de Turquie de son quatrième acquittement, prononcé le 19 décembre 2014 par le Tribunal criminel d’Istanbul. Ce 31 mars, son procès a été renvoyé au 29 septembre, et son extradition réclamée.
Tia Pantaï : Peux-tu déjà nous dire comment se sent Pinar à l’approche de cet énième procès ?
Colette Mô : Elle est toujours aussi courageuse. Anxieuse bien sûr, car c’est un stress terrible, d’autant plus qu’il y a toujours des nouvelles terribles concernant ses ami·es resté·es en Turquie, qui vivent des répressions importantes. Je crois aussi que le fait d’être éloignée de sa famille, de son père et sa sœur, accentue tout ça et la rend triste, mais elle est toujours aussi courageuse.
TP : Concernant le procès, qu’est-ce qui attend Pinar ?
CM : Je suis allée déjà deux fois aux procès de Pinar, que je connais depuis longtemps (2006), avant qu’elle arrive à Nice. Ce que je vois comme différence en tous cas avec les autres procès, c’est qu’il y a beaucoup plus de monde prévu, du monde entier, qui fera le déplacement, les délégations sont plus grandes. La dernière fois, il n’y avait pas eu de conférence de presse par exemple. On sent qu’il y a une énorme mobilisation devant cette injustice, qui est toujours la même mais à répétition, et c’est insupportable.
TP : Elle est toujours accusée de la même chose, ce soi-disant attentat ?
CM : Elle a été acquittée, et chaque fois on repart sur les mêmes accusations. C’est un peu sans illusions, car Erdogan est sur sa fin électorale, et on peut imaginer que sentant la fin arriver la bête morde. Mais je sens quand même une tension différente, par exemple là on nous dit qu’on doit avoir le téléphone du consulat sur nous, qu’il ne faut pas arriver avec des t-shirts militants… il y a des mesures de sécurité qui n’étaient pas là avant, ce qui veut bien dire que le régime d’Erdogan est encore bien pire, la répression de plus en plus violente.
TP : Pourquoi Pinar ? Pourquoi ce tel acharnement sur elle ?
CM : Elle est visée comme ça d’abord parce qu’elle incarne un grand courage et une détermination importante, et puis parce qu’elle fait le lien avec beaucoup de combats, et contre beaucoup de discriminations, donc elle a, même dans son pays, une reconnaissance, que ce soit des Arméniens, des Kurdes, des homosexuel·les, des femmes… Quand je l’ai connue, elle était déjà sur tous les terrains. C’est d’après moi la seule voie pour sortir de ce monde pourri, et elle touche vraiment à tout ce qui peut attirer la haine des fascistes, des nationalistes etc.
TP : Est-ce que la question kurde peut aussi expliquer cette persécution ?
CM : Oui, et ça depuis très longtemps. D’ailleurs, à l’origine de son emprisonnement, ce n’était pas cette histoire de soi-disant attentat, lorsqu’elle a été emprisonnée et torturée, c’est qu’elle refusait de donner ses sources kurdes, parce qu’en tant que sociologue elle avait fait un travail important. L’acharnement vient aussi de là, on voit bien ce qui se passe pour les Kurdes, c’est gravissime, une vraie persécution, la misère et l’isolement, et puis on les tue même en France ! On n’arrête même pas les coupables. « Notre » Darmanin est complice.
TP : Justement, y a-t-il un soutien à Pinar au niveau de l’État français ?
CM : Il y a un soutien « obligatoire », disons. Je ne vois quand même pas comment ils pourraient dire « on n’en a rien à faire », elle a la nationalité française, et on sait qu’elle n’est vraiment pas une délinquante (rires). Et des députés et des sénateurs, qui ne sont vraiment pas des révolutionnaires, peuvent la soutenir, ainsi que des universitaires. Humainement, il y a des gens qui la soutiennent, et c’est le cas de l’État français.
Pour l’instant du moins, parce que je n’ai aucune confiance dans les institutions actuelles de la France, donc il faut quand même se méfier, parce qu’on a pu voir pour certaines Italiennes ex-Brigades Rouges comment ça a pu être remis en question. Donc nous avons intérêt à toujours rester vigilant·es, proches d’elle, et très au courant de ce qui se passe.
TP : Pinar dit que ce qui la fait tenir, c’est particulièrement les comités de soutien qu’elle a dans toute la France.
CM : C’est vrai. Partout où elle va elle est accueillie. C’est aussi dû à sa personnalité, qui est vraiment attachante ; elle en fait beaucoup, et elle a intérêt d’ailleurs, car la pire chose qui pourrait lui arriver serait qu’on l’oublie ; mais bon, elle est inoubliable (rires). Et on est avec elle et partout en France et dans le monde.
TP: Sais-tu si elle a du soutien en Turquie aussi ?
CM : Oui, il y a des militant·es qui ont à voir avec le peuple kurde, et puis beaucoup de féministes, qui luttent aussi, beaucoup de lesbiennes, de militant·es LGBT. Elle cristallise beaucoup de luttes, on l’a d’ailleurs vu à Nice lors de l’événement Toutes Aux Frontières, le 5 juin 2021, la première manifestation européenne féministe et antiraciste qui a rassemblé des milliers de personnes venues de l’Europe entière. Pinar fédère, elle était à l’origine de cette manifestation qu’elle a vraiment portée, et on n’avait jamais vu une manif qui dure jusqu’à 20h ! Tellement de femmes et de jeunesse.
TP : Selon les issues possibles du procès, que peut-il se passer pour Pinar ?
CM : Déjà, quoi qu’il soit décidé à ce procès, il va falloir continuer. Si elle est acquittée, il faudra se battre pour qu’il n’y ait pas encore un recours. Si malheureusement la sentence est mauvaise, il faudra se battre encore plus pour la soutenir, pour assurer sa sécurité, et pour voir quelles sont les possibilités de recours et de protection par le gouvernement, parce que c’est quand même terrible pour une internationaliste d’être interdite de sortie du territoire, c’est très violent. Elle fait déjà l’objet d’un mandat d’arrêt international, elle est « protégée » par le gouvernement français parce qu’elle est Française, mais elle ne peut pas aller en Italie, en Allemagne etc.
TP : Court-elle le risque d’être extradée ?
CM : Il faudrait vraiment que le gouvernement se plie aux ordres d’Erdogan, mais on n’est jamais à l’abri de rien. Rien n’est à exclure de notre gouvernement. Il faut toujours rester vigilant·es.
TP : Aujourd’hui, que peut-on faire pour soutenir Pinar ?
CM : Et bien déjà, faire partie d’un de ses comités de soutien, participer aux événements qui sont organisés pour la soutenir. Il va falloir aussi en parler, faire des communiqués, tout faire savoir. La pire des choses, c’est le silence. Mais comme elle est de tous les combats, je pense qu’il n’y a pas trop de risques.
Propos recueillis par Tia Pantaï.
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